Gonzaï, tu connais ? Non ? Il s'agit pour faire vite d'un magazine (contre)culturel et anti-promo qui, depuis 2012, publie tous les deux puis trois mois de supers dossiers et articles sur la musique, la littérature, les arts, le lifestyle en imposant un piquant parti-pris et souvent avec beaucoup d'humour. Après un suicide en 2022 et une pause liée à la réflexion, Gonzaï se relance cette année en changeant sa formule. Il deviendra en septembre prochain un grand journal trimestriel tout en continuant ses soirées musicales Gonzaï Night. Le 20 janvier, il en organisait justement une avec le tourneur 3C à La Maroquinerie, et pas n'importe laquelle puisqu'il s'agissait du grand retour de Forever Pavot à la Maroquinerie, après 11 ans d'absence dans ce lieu important de la musique indépendante.
Forever Pavot à la Maroquinerie (janvier 2024)
L'affiche n'est pas surprenante, elle est même évidente, tant on sait que Gonzaï soutient la bande d'Émile Sornin depuis les débuts de son aventure avec Forever Pavot. Annoncé comme le dernier concert de la tournée de son troisième album, L'idiophone, sorti en février 2023 chez Born Bad Records, il apparait après vérification que ce n'est pas tout à fait le cas puisque la formation de pop prog-psyché inspirée des BO de films 60's/70's faisait encore quelques dates après ce show parisien (à Niort notamment). Toujours est-il qu'il s'agissait d'une des dernières chances à saisir pour voir Forever Pavot en live. Pour ouvrir les festivités, le Rochelais d'origine a invité Charif Megarbane, un Libanais fraichement signé sur le label berlinois Habibi Funk, dont la particularité est de ressusciter le patrimoine musical en rééditant de vieux disques du monde arabe allant du funk au reggae en passant naturellement par le rock. Il n'y a pas que du vieux puisque le prolifique Charif Megarbane (plus de 100 albums à son compteur !), fondateur du Cosmic Analog Ensemble ou encore de Heroes & Villains, y a sorti son récent Marzipan.
On découvrait donc avec grand intérêt cet artiste venu en formule classique "rock" (guitare-clavier-basse-batterie) pour présenter au public parisien ce nouvel album pourvu de sensations funk et orientales avec un groove contagieux. Il partage d'ailleurs avec Émile Sornin ce goût prononcé pour les sonorités sixties et le psychédélisme. Il y a un vrai respect et une admiration mutuelle entre les deux, Charif n'a pas oublié de remercier "le plus grand arrangeur musical actuel" pour son invitation, avant de lancer un set évidemment moins orchestral que son nouveau disque. À la manière de sa stature, un grand bonhomme un peu raide et penché remontant souvent ses lunettes sur son nez entre chaque partie de solo, la musique de Charif semble régulièrement sur le fil du rasoir. On a cette sensation bizarre d'avoir peur que le groupe se loupe, que ça soit sur un solo, un "loop" en contretemps (Charif sample ses parties rythmiques de guitares) ou tout simplement une fausse note. C'est principalement ce qui fait le charme de ce quatuor habité par cette soif de mettre ses influences sur la table, que ce soit le funk, la musique orientale et africaine, le rock, la pop psyché ou le jazz, pour en réaliser un truc unique qui nous a fait oublier le temps qui passait. Charif Megarbane en a même dépassé le temps de son set à force de vivre intensément son art. Une première partie au goût raffiné que le public a visiblement très apprécié.
Charif Megarbane a assuré la 1ère partie
Le changement de plateau s'exécute en mode guerrier pour rattraper le retard, quelques réglages de bases s'opèrent, et Forever Pavot est déjà présent sur la scène en même temps qu'une projection d'images avec des sons d'horloges suggèrent l'arrivée du premier morceau, "L'idiophone du Moyen Age". Ce titre, donnant une sensation de tourbillon, n'est pas le plus incontestable pour commencer un show, mais il a le mérite de rentrer direct dans le vif du sujet. En toute logique, Forever Pavot consacre majoritairement ce soir son set aux chansons de L'idiophone, une petite dizaine. Un album pas facile à reproduire, à cause des surcouches d'instruments en studio (dont les idiophones), comme La pantoufle également, si bien que beaucoup de morceaux sont réarrangés, comme cette guitare d'Antoine qui reprend des parties à l'origine réalisées au clavier. Des versions adaptées pour le spectacle qui ne trahit pas vraiment les compositions du Pavot. L'âme de sa pop cinématographique est bien intacte, on vibre sur la tension du polar musical de "Dans la voiture" puis sur l'excellente "Soupe à la grolle" où le groupe est accompagné par deux invités : Theo Glass aux percussions (Chyzm) et la flutiste Margot Mayette. Forever Pavot, c'est une grande famille, et la formation a voulu fêter cette fin de tournée avec les potes. Plus tard, c'est Benoit Hasboun, le guitariste d'Arun Tazieff - l'ancien groupe d'Émile et du batteur, Cédric - qui viendra "featurer" sur un mémorable "Le pénitent le passe".
La joie et la camaraderie sont palpables, Émile communique souvent avec ses compères, tels que le "Ça va les gars, je vous dérange pas ?" en s'adressant à Maxime (basse) et Cédric (batterie) qui étaient surement en train de se mettre d'accord sur le début du prochain morceau qui, je crois, a foiré ! Il sait aussi saisir l'instant propice pour balancer des mots sympas au public, parfois sur le ton de la plaisanterie ("Ça vous dit du rock ? OK, mais pas maintenant !"). Quelques titres marquent le show, pour différentes raisons, comme "Le beefteak", "Joe & Rose", "La soupe à la grolle" et "Les cigognes nénuphars", devenus des morceaux cultes du groupe, et puis des chansons qui paraissent anecdotiques en album et qui en live prennent tous leurs sens, tels que "Les informations", "La main dans le sac" ou encore "La mer à boire", le titre qui a conclu ce concert solide. On a particulièrement aimé le choix de Forever Pavot de rejouer deux très anciens morceaux plutôt rock pour le coup, issus de son tout premier EP, "Christophe Colomb" et "Le pénitent le passe", ainsi que cette version personnalisée du générique du dessin animé de Tintin. Tout était parfait lors de cette soirée, hormis peut-être le manque cruel de chœurs, assez présents sur les albums, que seul Antoine a tenté de combler avec faiblesse. Les défauts arrivent même aux meilleurs, même si c'est un détail qui reste presque insignifiant je pense pour la plupart des gens présents à cette Gonzaï party.
Set list
L'idiophone du Moyen Age
Dans la voiture
La soupe à la grolle
Les enjambées
Les cigognes nénuphars
Au diable
Au bal des traîtres
Joe & Rose
Le beefteak
La belle affaire
La main dans le sac
The most expensive chocolate eggs
Les informations
Décalco
Cancre
Rappel
Le pénitent le passe
Christophe Colomb
Les aventures de Tintin (reprise du générique du dessin animé)
La mer à boire
Gonzaï: Site officiel (4 hits)
Merci à Rodolphe de La Maroquinerie
Photos : © Ted / W-Fenec
Publié dans le Mag #59