Le confinement n'aura pas eu la peau de Forest Pooky. Alors que les sessions de studio pour l'enregistrement du deuxième album étaient calées, la pandémie mondiale a rebattu les cartes, et c'est finalement un disque aussi inattendu que réussi que Forest Pooky sort chez Kicking Records en attendant la suite de Every key hole has an eye to seen through . Encore un bon prétexte pour échanger avec cet excellent artiste.
Salut Forest. Rentrons dans le vif du sujet. Tu sors ce 1er juin Cover stories, un album de covers collaboratif. Quelle a été la genèse de ce disque ? Aurait-il existé si la Covid n'avait pas empêché tes tournées ? Finalement, tu aurais pu appeler ce disque Covid Stories, non ?
Salut Gui, merci pour cette question particulièrement pertinente ! Sans Covid, ce disque n'aurait pas existé. Il est né de mon envie irrésistible de ne pas tomber dans une sorte de folie en novembre 2020. Depuis le mois de mars, on a annulé tellement de concerts, nourri tellement de faux espoirs, annulé/reporté tellement de fois l'enregistrement de mon nouvel album solo, que je crois avoir touché Dame dépression du bout du doigt.
Il me fallait une activité musicale à partager avec quelqu'un, que ce soit rapide, efficace et surtout, que ce soit FUN !
J'ai branché mon ami ingé son Alex Borel de Warmaudio, Lyon qui a transformé sa chambre en plein cœur de Lyon en studio et on s'est bien marré. Un jour, on devait s'arrêter à cause de mecs qui gueulaient dans la rue, l'autre à cause d'un hélicoptère qui faisait du sur place au-dessus de l'immeuble... ça repissait trop dans les micros, impossible d'enregistrer ! Sur un des titres, si tu écoutes bien, on entend un scooter qui passait par là.
Les artistes contactés pour arranger tes chansons ont-ils été faciles à convaincre ?
Tous les potes qui ont participé à la conception de ce disque « Frankenstein-esque » ont accepté dans les 24h. Et d'ailleurs, aucun ne savait qui d'autre était invités. Personne ne me l'a vraiment demandé. J'ai attribué les titres un peu comme je l'ai senti. Il fallait que ça aille vite. Très compliqué de mener à bien ce type d'entreprise mais tous ont (quasi) tenu la deadline.
Les explications contenues dans le livret indiquent que l'affaire a été pliée en deux mois : ce n'est pas pour entretenir la légende ?
Pas de "légende" ! Juste des gens qui ont partagé des moments de vie, des tournées, qui s'apprécient, en proie aux mêmes contraintes sanitaires et qui ont trouvé un super jeu pour partager un bon moment ensemble. Ceci dit, je les interviewe tous en compagnie de mon excellent ami Olivier Portnoi (Dead Pop Club, Maladroit, Punk Rawk.) dans la série "Covers stories video podcast" dispo sur Facebook, Instagram, YouTube et Bandcamp. Une série de 15 épisodes dans laquelle chaque invité répond à ta question en y ajoutant des anecdotes assez cool sur leur vécu dans cette expérience et les origines de notre relation. J'y apprends moi-même pas mal de trucs fous ! L'envers de mon propre décor, si j'ose dire.
J'écoute ce disque en même temps que je prépare cette interview (tu as de la chance, le précédent disque qui a tourné sur ma platine était aussi un album de covers mais par le groupe Saxon !), et il y a des arrangements disons étonnants, voire surprenants (je pense naturellement à "Atlantic City" arrangé par Frank Turner). Ce qui est frappant, c'est que, sans faire exprès, tu es à l'aise vocalement dans tous les styles et toutes les configurations ! Avais-tu une idée, selon le background des arrangeurs, que ça pourrait partir un peu "dans tous les sens" ?
Je suis ravi de ta remarque et j'accepte bien volontiers ton compliment. Tu dis "sans faire exprès"... je fais tout de même exprès de chanter du mieux possible quand j'enregistre ! (Rires)
Aurais-tu chanté différemment si tu avais eu à poser tes voix en dernier ?
Oui, c'est certain que tu interprètes ton chant par rapport à la musique sur laquelle tu la poses. Mais le truc vraiment fun avec ce concept, c'est que l'on se retrouve sur un terrain de jeu parfaitement libre. Je me suis fais plaisir en testant des choses à la voix, sans vraiment de pression puisque ce ne sont pas mes chansons, et les arrangeurs ont pu faire la même. J'ai bien sûr pensé : "Et si l'un d'eux me renvoie un truc tout pourri. ???" Mais voilà, j'ai branché des gens qui ont du bon goût normalement. Et si quelque chose ne m'avait pas plu, je pense que je l'aurais tout de même mis sur le disque. C'était un peu le jeu du concept initial. Si tu dis "Fais ce que tu veux", il faut t'attendre à tout. Bon. Je ne m'attendais pas à tout. J'ai été très surpris, et parfois j'ai dû faire plusieurs écoutes de certains titres qui ont fait bugger mon cerveau au début. Mais tout était vraiment génial et bien senti je trouve.
Quels sentiments as-tu eu quand, en proposant de "simples" pistes guitare/chant, tu as reçu le produit fini et sublimé par tes amis (car oui, tous ces morceaux sont sublimes !) ?
Tous ont reçu la piste chant, la piste guitare et parfois des chœurs en plus. C'était Noël pour moi à chaque nouvelle réception de titre ! J'hallucinais que tous s'y soient collés avec autant de sérieux, et de talent.
As-tu rajouté des choses (voix, arrangements) une fois les morceaux réceptionnés ?
Rien n'a été ajouté en termes d'enregistrements. On recevait les pistes séparées, plus un mix de l'arrangeur pour donner une direction artistique, puis Alex Borel mixait tout ça pour y apporter une cohésion globale.
Pour ceux qui connaissent ton background musical, certains choix d'artistes sont évidents (Samiam, The Lemonheads, Nada Surf, Dag Nasty.). D'autres sont plus surprenants comme Elvis Presley ou Tear for Fears. Chaque choix est expliqué dans le livret, mais tu as volontairement choisi certains artistes pour sortir des sentiers battus, ou chacun de ces artistes ont façonné ton univers musical ?
Comme je l'ai expliqué, faire ce disque s'est décidé très spontanément, en quelques jours. L'idée au départ était de faire un enregistrement rapidement. Tous les titres du disque sont donc des chansons que j'avais déjà jouées en privé, ou en concert. J'ai interprété certains de ces titres comme cadeaux d'anniversaire ou de mariage. Ce n'est donc pas un répertoire de "Les chansons qui ont bouleversées ma vie, par Forest Pooky", mais plutôt un album photo. Le titre du disque est Cover stories, littéralement Histoires de Reprises. Chaque chanson me rappelle un moment, une personne, des souvenirs marquants que je raconte dans le livret du disque. Je n'avais que quelques jours de préparation, donc il fallait que ce soit des chansons que je sache jouer avec peu de répétition en amont.
Deux reprises de Bowie ? Explication ? (J'ai un faible pour "Space oddity" arrangé par Chris Gordon, morceau pour lequel ta voix est très grave sur les couplets, et très lyrique sur les refrains)
En 2017, des potes se sont mariés. Ils m'avaient demandé de jouer au repas alors je leur ai proposé de préparer une reprise. Ils m'ont soumis une liste incluant un titre de David Bowie. Je bosse le morceau, je découvre de nouveaux accords, je me prends bien le chou... et le jour arrive enfin. On m'installe sur une botte de paille en guise de tabouret et je joue le concert et termine sur "Life on Mars". Fier de moi, je me rapproche des mariés pour les féliciter et savoir si la reprise leur a plu. Ils me disent que oui, c'était très cool "mais on t'avait demandé de faire "Space oddity". C'est un peu un mea culpa pour le coup.
Tu peux nous en dire plus sur la pochette ?
Je voulais que le côté Frankenstein du disque soit visible avant d'être audible. L'idée était de fabriquer la typo pour mon nom à partir de lettrages, issus des pochettes des disques sur lesquels se trouve l'originale de chaque reprise. J'avais aussi la pochette de No code de Pearl Jam en tête. Les photos ont un lien plus ou moins abstrait avec les artistes/chansons originales. J'ai branché David Basso qui a su retranscrire parfaitement cette idée. Elle est très 90's finalement. En plus, David étant photographe, toutes les photos quasiment sont de lui. Il a posé cette image d'asphalte au centre, qui ajoute encore au côté nostalgique du voyage. Plus j'y pense, plus je trouve que cette pochette représente assez bien l'état d'esprit dans lequel il a été pensé et conçu.
Ce disque sera-t-il défendu sur scène (en solo ou en full band) ?
Il n'en était pas question au premier abord. Bien sûr, mon interprétation vocale joue son rôle, mais la particularité de ce disque réside dans le côté collaboratif avec les arrangeurs. Et comment restituer ça sur les titres que j'inclurais dans le set ?
Après discussion avec Thib' de Pressure Tour et Mr Cu! de Kicking Records, on s'est dit que ce serait cool de se lancer quand même. Du coup, oui, on prévoit de faire 10/15 dates à partir de cet été, en trio. Je n'ai joué en full band que sur une tournée en 2015. C'était vraiment fun, alors on remet ça avec Fred (The Pookies, Malboro Twist, Le Blues Incroyable) et Le Bazile (Supermunk, Not Scientists). En plus, ça ferait du bien à tout le monde de monter un peu dans le van et de raconter un peu le trop-plein d'anecdotes que je me traîne depuis mars 2020.
Pendant le premier confinement, tu proposais sur les Internets des lives un dimanche sur deux depuis ton salon. Dans la Champi House on regardait ça en famille et c'était vraiment sympa. De l'autre côté, comment as-tu vécu ça ? Drôle d'expérience quand même, non ?
De mon côté, j'ai eu pas mal de problèmes techniques entre la carte son qui déconne, l'ordi qui rame ou par la suite, le smartphone qui filme en miroir. J'ai appris que lorsque tu lances un live FB, la rotation de l'image ne se fait plus (rires). Les sept ou huit live streams m'ont donné un rendez-vous à tenir, je crois que ça m'a aidé à avoir un horizon pendant le premier confinement. Les premiers étaient excitants, je ne l'avais jamais fait auparavant. J'ai même eu l'impression que c'était un rendez-vous de potes plus qu'un concert. Les échanges sur le chat étaient super drôles et ça faisait du bien. La nouveauté passée, c'est devenu un peu moins fun. La solitude d'un concert en live stream se fait sentir. Déjà que je privilégie l'interprétation à l'exécution, l'exercice était compliqué par le fait que j'essayais de suivre les commentaires tout en jouant. Je suis très content de l'avoir fait. Je ne pense pas, à moins qu'un concept cool se présente, que je me relancerai dans ce genre d'entreprise.
Ça fait plus d'un an que tu n'as pas repris la route, et à part quelques concerts sporadiques, tu n'as pas rejoué en public. Comment tu appréhendes le fait de reprendre la route et de ne jamais être chez toi, alors que tu as été bloqué de nombreux mois, confinement(s) oblige(nt) ?
Depuis le 14 mars 2020, ma dernière scène avec Supermunk, j'ai donné deux concerts, dont un le 26 mars 2021 sur le parvis de l'Opéra de Lyon, en soutien aux occupants. Mon pote Nils Rougé m'a branché et j'ai accepté avec grand plaisir. C'était super bizarre. Trente minutes de set. Après plus d'un an sans faire de scène, j'ai eu du mal à retrouver mes repères. J'avais mal placé mon micro, mon tabouret était trop reculé, l'échange avec les gens était rouillé. Mais c'était une bouffée d'oxygène de pouvoir chanter un peu fort sans me préoccuper des voisins. Pour ce qui est de ne jamais être chez moi, j'ai pas mal bougé ces 6 derniers mois avec les cinq albums studio enregistrés entre Lyon et les Pyrénées (deux albums pour Forest Pooky, Maladroit, Panic Monster et Supermunk). Sans compter que depuis le confinement, je propose de l'accompagnement vocal pour les groupes francophones pro comme amateurs, qui veulent bosser leur prononciation/diction en anglais. Dans les mois qui viennent, je vais me rendre à Dunkerque et Bordeaux notamment, donc je n'appréhende pas tant de bouger. J'ai même hâte !
Quand nous avons pris contact pour cette interview, tu me disais que tu finissais de mixer le quatrième des 5 disques de l'hiver confiné. On peut en savoir un peu plus ?
C'était la guerre des neurones mec. Littéralement. C'est le bordel à expliquer, mais j'aime les défis ! Accroche-toi à ta grand-mère, j'attaque. Je joue de la basse dans Maladroit depuis fin 2018 et je suis guitariste-chanteur de Supermunk depuis 1832. Olivier Portnoi (Dead Pop Club) caresse l'idée de faire un disque solo depuis avant le premier Fast and Furious, et mon seul album solo date de 2012. Tous ces disques devaient être enregistrés sur l'année 2020 entre février et décembre. Et tous ont été reportés sur janvier et février 2021 ! Mon cerveau fumait. Mais dans le vide sidéral que ces reports ont laissé, j'ai eu cette impulsion de survie mentale qui m'a poussé à entreprendre ce Cover stories. Donc pendant que j'enregistrais les prises de mon album solo début janvier, Alex Borel m'envoyait des mixes de Cover stories. Pendant les prises de Panic Monster (Olivier Portnoi), j'écoutais les mises à plat de mes titres solos et ainsi de suite. Sans parler des visuels à bosser, les chansons à répéter pour chaque session. C'était un peu comme sauter dans la neige en sortant du sauna, je pense. Huit mois dans le doute à tourner en rond et PAF ! Trois mois de speed mental. Violence dans tes chaussettes. Particulièrement stimulant tout ça.
Merci pour le temps accordé à répondre à ces quelques questions. Un truc à rajouter ?
De toute évidence, j'ai hâte que tous ces disques sortent et de pouvoir les partager avec tout le monde, de reprendre la route pour revoir les potes un peu éparpillés dans le monde. La situation sanitaire est naze, pénible pour tout le monde, mais parfois je me dis : "J'ai voyagé autour du monde, des USA à Hong Kong en passant par l'Australie et Saint Julien Molin Mollette grâce à ma guitare, j'ai vu un volcan en éruption, fait des splits et devenu pote avec Blackie des Hard-Ons ou Kepi Ghoulie, dormi chez Bill Stevenson de Descendents, joué de la guitare dans Uncommonmenfrommars, dormi dans une voiture dans le Colorado sur le parking d'un Pizza Hut pour choper du Wifi, je me suis fait engueuler par un élève diminué de 4ème lors d'une intervention musicale en collège parce qu'on avait changé de salle... et vécu une période de pandémie mondiale." Ça me remonte le moral de me dire que c'est une expérience de plus dans tout ce qui peut nous arriver. Sans compter que je suis bien entouré. La vie n'est pas si mal. Merci pour ton intérêt et ton soutien costaud.
Merci Forest, merci Mr Cu!
Photo : David Basso
Publié dans le Mag #47