Fleuves Noirs, c'est ce rock chamanique qui te prend par le bras et qui ne te lâche plus pour t'emmener dans son tourbillon no-wave/noise. On peut en témoigner après avoir croisé récemment leur chemin lors un spectacle désarçonnant à Paris. N'ayant pas eu le temps de préparer des questions à cette occasion, on a pris le temps de se remettre de nos émotions et de questionner Manuel, son chanteur, par claviers interposés.
Salut Manuel, la forme ? Bien rentré à Lille après qu'on se soit vu au Glazart le 18 janvier ? D'ailleurs, fais-moi partager tes impressions sur votre concert et cette date avec Extra Life.
Hallo ! Et bien ça va et toi ? C'était notre deuxième date avec Extra Life ce mois de janvier, la précédente était au Black Lab à Wasquehal, c'est un groupe que j'ai beaucoup écouté et je suis très fan du travail de Charlie Looker en général, donc c'était un honneur de partager l'affiche deux fois de suite avec eux. Le concert s'est bien passé, sachant qu'on avait un blessé... mais ça on a l'habitude, il y en a toujours un qui arrive à se blesser, à quatre bras-cassés, on arrive des fois à faire un bonhomme sain presque complet ! Sinon, j'avoue qu'on a beaucoup tendance à fermer les yeux au début du concert et à les rouvrir à la fin mais j'ai l'impression que c'était un bon set, non ?
Tiens, je te livre mon impression après ce show : j'y ai ressenti la même énergie que sur le disque. Je m'attendais à un live peut-être plus intense par rapport au disque qui est déjà très vivant. C'était le plan de départ quand vous avez enregistré "Respecte toi" de faire un disque pensé pour le live ?
Ah, ça c'est une bonne nouvelle... enfin j'espère ! On nous dit généralement que nos concerts sont beaucoup plus fous et intenses que les enregistrements, ou du moins qu'on est un "groupe de live". Je pense que ce n'est pas faux, mais ça tient surtout sur nos morceaux. Après, j'avoue que l'on a tendance à les peaufiner encore et encore, même bien après la sortie du disque. Mais pour répondre à ta question : il n'y a pas d'autre plan au départ de ce disque que de produire ce qu'on a créé. Le disque n'est donc pas spécialement conçu pour le live. C'est plutôt le live qui se construit avec la matière du disques. On cherche à raconter quelque chose de cohérent, à construire un chemin pour y promener tout le monde pendant plus d'une heure.
On est d'accord pour dire que Respecte toi est la suite logique de Respecte moi et forme un diptyque ? Si tel est le cas, qu'est-ce qui différencie les deux ? Et pourquoi ne pas les avoir sortis ensemble ou plutôt à une date plus rapprochée entre les deux ?
Disons que ce n'était pas volontaire à l'origine, il y a eu beaucoup d'événements entre les deux disques, du temps de pause, du temps de travail, des questions sur les formes qu'on voulait explorer... On a failli partir sur quelque chose de très différent, puis naturellement les nouvelles compositions sont apparues comme similaires thématiquement et stylistiquement, mais plus poussées et plus sèches, plus exagérément Fleuves Noirs, on apprenait et reconnaissait nous-même qui on était en jouant. Et puis, ça nous a juste fait rire de continuer et de répondre au disque précédent, parce qu'on adore la rigolade dis donc, pouêt. Et puis aussi, produire un disque ça prend du temps dis !
Question chiante mais intéressante : Comment qualifierais-tu votre musique ?
Shamanic Noise Pulp Weird Avant Retrograde "Rock" No Prog Punk : Musique 0.0
À ton avis, ça donnerait quoi si Fleuves Noirs jouait une musique lumineuse ou joyeuse ?
Fleuves Roses ? Fleuves Jaunes ? Ça donnerait sans doute à peu près la même chose sinon. L'envie de faire des pas de côté, des trucs sans queue ni tête. Ce n'est pas impossible qu'on fasse des choses joyeuses, mais je pense qu'on préfèrera toujours créer une sorte de confusion des émotions dans un même morceau, donc difficile de rester dans une même couleur ou une même sensation trop longtemps.
Savais-tu qu'un film français nommé "Fleuve noir" existait ? Pourquoi avoir choisi le patronyme Fleuves Noirs ?
Oui, c'est rien que des tricheurs le cinéma français. On attend nos droits d'auteur d'ailleurs. Au début, on était tristes qu'ils ne nous aient pas demandé de faire la BO, mais apparemment le film est très mauvais, donc on s'en sort plutôt bien finalement. Mais sinon, ils sortent sans doute leur nom du même endroit que nous : les éditions Fleuve Noir, maison d'édition de romans de gare, policiers et anticipation, un peu pulp. Les pochettes de nos disques sont des hommages aux couvs de vieilles éditions de cette série et notre musique pourrait être qualifiée de relecture post-moderne et ésotérique du roman de gare. La vie est un film de série Z.
Je saute un peu du coq à l'âne, mais c'est quoi le background des membres de Fleuves Noirs ? Des ex-Berline033, mais pas que, c'est bien ça ?
Un ébéniste, un contrôleur qualité, un géomaticien et un informaticien angliciste.
Quand on écoute Fleuves Noirs, on pense à pas mal d'ambiances ou d'éléments déjà plus ou moins vécues à travers nos précédentes découvertes musicales. Qu'est-ce qui aurait pu vous influencer directement ou indirectement pour arriver aux idées qui ont forgé ce dernier disque ?
C'est très difficile de répondre à ça. On est 4, on a nos influences respectives qui viennent constamment se mélanger quand on improvise en répète pour donner de gros bouillons musicaux. De ces bouillons naissent les morceaux. Et on s'en fout un peu du style, des influences, on ne mentalise pas tout ça. C'est l'énergie des ondes qui nous intéresse. On crée dans la liberté et dans la joie d'avoir ce moyen d'expression à notre disposition. Et dans ce processus, pour le moment, nous n'y avons pas intégré l'idée préconçue d'un disque. Le disque vient ensuite et se construit avec les morceaux composés.
Est-il plus difficile de se respecter ou de vous respecter ?
C'est toujours bien plus difficile que ce qu'on croit de se respecter. Nous respecter nous, Fleuves Noirs ? Vous faites comme vous voulez, mais respecter un son, un objet, des formes de vie par contre, c'est un contrat.
Quel message voulez-vous faire passer à travers Respecte toi ?
Que tout va mal mais que tout va bien. Qu'on a à la fois si peu de contrôle sur ce qui nous affecte et en même temps tellement de moyens de changer ça. Que tout peut basculer à tout instant, ou par incréments, mais qu'il faut s'accrocher et tout remettre en question tout le temps pour avancer. On n'a pas l'orgueil d'imaginer faire passer un message qui change le monde, du moins de manière consciente et volontaire, mais transmettre la parcelle vibrante à l'intérieur de soi et espérer que par résonance, tout le monde vibre à une plus haute fréquence, ce serait déjà beau.
Merci à Adrien et Manuel.
Publié dans le Mag #55