eye_hate_god_in_the_name_of_suffering.jpg Le Sludge. La boue. La crasse. Rarement une étiquette aura aussi bien collé à une musique. En l'an de grâce 1992, une bande d'affreux rednecks de la New Orleans, Louisiana, (NOLA pour les intimes) nous balancent à la gueule une déjection sonore ayant pour nom In the name of suffering. Prenez le groove et les riffs de Black Sabbath, la lenteur et la lourdeur des Melvins, la haine et le nihilisme de Black Flag, rajoutez le contexte d'une vieille baraque pourrie dans la chaleur moite du bayou, sentant le mauvais bourbon frelaté, l'herbe et le crack de supermarché et ça vous donnera peut-être une idée de la teneur de cette immonde galette. Ici toute idée de beauté, de paix, d'amour de son prochain est totalement bannie. Ce disque est laid, hideux même. Le but assumé est de mettre en musique tout ce qu'il y a de moche dans la nature humaine et de nous foutre le nez dedans sans préavis. D'ailleurs on s'en rend compte très vite. Dès les premières secondes du premier titre "Depress", nos oreilles sont agressées par les larsens de Jimmy Bower, la rythmique pachydermique et ce cri... mon dieu, mais qu'est-ce que c'est que ce chanteur ?! D'entrée de jeu, Mike Williams nous vomit au visage d'incompréhensibles beuglements dans un nuage de salive, de sang et de vapeurs d'alcool(s). "Ca commence fort !" se dit-on. Et ben mes amis, rassurez-vous, ça va être comme ça tout le long ! Ce disque est proprement dégueulasse, une trentaine de minutes nauséabondes de haine de l'humanité, de violence et de dégoût de soi même. Les ignobles larsens nauséeux de Jimmy Bower (par ailleurs batteur dans Down) sont quasiment omniprésents, les riffs sont rampants et vicelards, la rythmique est d'une lourdeur d'outre tombe, et Mike Williams vient apposer sur ce gâteau douteux sa bile de saoulard à l'alcool violent. Les textes sont infâmes. Drogues, violence domestique, viols, meurtres, tout y passe (il n'y a qu'à regarder les titres des chansons). La prod est complètement cradingue. Même les zicos semblent parfois un peu à côté de la plaque... Bon, après une telle énumération, certains d'entre vous seront en droit de se demander comment on peut écouter une telle horreur. Et ben, franchement j'ai beau chercher, je vois pas comment expliquer rationnellement pourquoi j'aime ce disque. Un petit côté masochiste peut-être. Parce qu'il est bon ce disque, il est excellent même ! Déjà, ça a beau être très lent et très laid, les riffs sont particulièrement accrocheurs et l'ensemble est imprégné d'un groove bluesy à faire danser les morts (c'est que ça danse pas vite un mort...). Et puis il y a ce qui fait tout le charme de cet album : le rythme. Les changements de rythme de In the name of suffering sont complètement erratiques, inattendus et jouissifs ! Il se dégage de ce disque un sentiment de danger permanent qui fait qu'on ne s'ennui pas une seconde. L'exemple le plus flagrant est sans aucun doute la bien nommée (et terriblement fun) "Run into the ground". Ca commence sur un bon gros riff de base (un seul accord) qui va ralentir à l'extrême en quelques mesures, un peu comme si on essayait de courir dans des sables mouvants, en s'enfonçant un peu plus à chaque pas. Puis s'en suit un gros passage "doom mammouthesque" (copyright déposé) à deux à l'heure, et sans prévenir, le tout s'achève sur un gros hardcore "Black Flaggien" à fond les gamelles ! (je me rappelle encore avoir explosé de rire à la première écoute de cette piste). Je pourrais continuer encore longtemps à déblatérer sur chaque petit bout de l'infect hymne à la misanthropie qu'est ce disque, mais ça ne servirait bien sûr pas à grand-chose. In the name of suffering est un tout. Un gros "fuck" à la face de l'humanité triomphante, histoire de bien lui rappeler toutes les casseroles qu'elle traîne et quelle est sa vraie place. Ca fait du bien d'entendre ses quatre vérités de temps en temps. Toujours est-il que malgré une disco qui sera par la suite plus aboutie et "propre" (toutes proportions gardées bien sûr... c'est pas très dur de faire plus propre), EyeHateGod aura quand même profondément marqué les esprits avec ce monstrueux premier album, jetant par la même occasion la première pierre de ce genre bâtard qu'est le Sludge et ouvrant la voie à tout un tas d'autres rockeurs cramés, du sud et d'ailleurs.