Ça pourrait être l'acronyme de n'importe quoi, celui d'une émission de télé qu'on affuble souvent de son #hashtag pour que les téléspectateurs réagissent en direct sur les réseaux sociaux, ça pourrait être aussi tout simplement l'anagramme de "Bone", l'"os" en anglais, un mot apprécié et pas mal considéré dans la majeure partie des musiques du diable. On ne saura rien de tout ça, l'important c'est que peu importe sa signification, le nom d'un groupe soit facile à prononcer. Et ENOB est parfait dans ce cas de figure, ça rime même avec "zob" en plus. Ce groupe de noise-punk shoegaze parisien - définissons-le ainsi - a sorti en avril dernier un nouveau disque au nom mémorable, La fosse aux débiles, par le biais de plusieurs maisons de disques indépendantes dont Atypeek Music. Un vinyle doté d'un magnifique artwork représentant une baleine ailée dessinée par l'artiste Mika Pusse (chanteur dans Schlaasss).
La fosse aux débiles a tout de l'œuvre dérangée qui pratique au fil des morceaux le changement de rythmes et d'atmosphères. L'ambiance générale qui s'en dégage a ce petit quelque chose d'insalubre et de glacial dont on raffole bien dans le terrier, et en même temps, il donne l'impression d'être ni très mesuré, ni calculé. Comme si ses titres avaient été commencés en répétition et terminés en studio sans l'intention de leur donner une issue définitive. À défaut d'être d'émérites musiciens (ses membres le sont certainement dans d'autres formations), les ENOB sont en revanche de véritables savants artificiers quand il s'agit de manier l'électricité de leurs instruments et amplis. En somme, ça peut virer au gros bordel (comme sur "De la viande" ou leur titre éponyme) et le quatuor est très bon pour occuper l'espace sonore surtout quand le riffing est absorbé par ce que certains appellent le shoegazing et le bruit.
C'est justement pour cette raison là qu'on aime ENOB, pour ce côté organique, surtout quand Yakoo et ses comparses poussent la chansonnette. Capable de passer d'une vocalise nonchalante ("Damien & la baleine") entre français et anglais, jusqu'à l'égosillement le plus extrême (par moments, on est même pas loin d'ailleurs du timbre de Guy Piccioto de Fugazi), la formation met au même niveau d'expression et de volume tout son arsenal sonore. Que cela soit par de nébuleuses boucles type rock-indus ("Amour", "Le supplice de Damien"), au morceau le plus post-rock qui soit ("Azul") tout en prenant soin de bien napper le tout d'ondes saturées dégoulinantes de guitares, ENOB charme assez vite tout en évitant l'écueil des compositions filandreuses. L'anti-hype par excellence !
Publié dans le Mag #34