Eiffel : en interview Vous avez derrière vous un album plus léger Abricotine qui sonne plus pop, pourquoi à présent radicaliser et vous tournez vers un son plus agressif, plus "bourrin" ?
Romain : On ne voulait pas s'enfermer dans un son ou des textes spéciaux dans un seul style... même si on utilise ce premier album où on explore certains recoins, on se sert de propos ou de textes ici plus "engagés". Mais ce n'est pas gratuit, pas juste pour faire du rentre-dedans... c'est pour cela que le mot "engagé" me fait un peu chier !
Vos influences pour cet album ?
R : Pas de changements d'influences, seuls les propos ont changé. On a tourné, on a rencontré des gens... on s'est un peu tous intéressé un peu en même temps aux choses qui nous entouraient, à l'actualité en fait...
Damien : Ce qui s'est passé c'est que Romain a écrit les textes avant la musique.
Estelle : On avait du mal à dire les choses "gentiment", sans s'énerver...
Il y a beaucoup d'effets sur cet album, une atmosphère lourde, d'ou vient ce choix ?
R : Abricotine c'était les aigus, ici les effets sont plus gras pour avoir en quelque sorte un son plus "viril" puisqu'Abricotine avait à sa façon un son plutôt féminin qui était voulu, sachant que même quand on veut on y arrive pas forcément ! (rires)

Vous venez de Bordeaux, on vous compare facilement avec cette scène là...
R : justement c'est ce qui est chiant car on n'est pas de Bordeaux. Depuis tout récemment on habite Bordeaux mais on n'y a jamais vraiment vécu avant, on venait de Paris ou d'ailleurs !!!

Mais vous avez quand même des liens évidents avec Noir Désir [arrangements de cordes, même réalisateur du clip, H-J Debon ], qu'avez-vous à dire à ceux qui vont vous comparez avec eux ? Vous ont-ils beaucoup influencé ?
D : Le fait qu'on ait eu Henri-jean pour le clip vient du fait qu'on ait adoré son travail pour Noir Désir ! On s'y prépare forcément, c'est chiant, car c'est clair que Noir Désir agit avec parcimonie sur Eiffel et aussi parce qu'ils foutent la patate pour faire les choses, on a pour cela entre autre un énorme respect pour eux.
E : Aussi parce que forcément quand on fait une comparaison de rock en rock français on retombe toujours sur eux.
R : Sauf que nous on ne peut pas arriver à leur cheville. C'est une référence Noir Désir, car c'est les seuls qui ont allié le rock et la langue française aussi bien.

Justement en parlant de langue sur Eiffel on parle d'une ligne de chant binaire avec une rythmique a l'anglo saxonne...
R : Ouais c'est un journaliste qui l'a dit pour un morceau où on alterne comme ça en binaire les mots... mais je pense que les avantages de la langue anglaise pour le rock sont les désavantages du français, pour le rock [lol logik !]. C'est à dire qu'il y a des choses vachement bien pour l'anglais qu'on ne peut pas faire, c'est beaucoup plus doux, la langue française fout vraiment la merde, surtout pour les consonnes ! Moi j'étais vraiment emmerdé car j'avais donc écrit les textes avant et je voulais mettre les consonnes en valeur dans les titres. Je trouve que ça peut exprimer beaucoup de choses et cela peut-être très violent. C'est carrément pour moi capital dans le son d'Eiffel.

Vous avez d'ailleurs beaucoup joué sur le son avec cet album...
R : Oui mais pas dans ce sens là, on voulait le traiter sans le mettre non plus trop en évidence. C'est plus pour servir un tout, pour rendre une masse assez brute assez rock en somme mais ce n'est pas du son brutal tout seul !

Vous avez dit vouloir et avoir fonctionner à la "DIY" (Do It Yourself) en enregistrant dans un squat aménagé, en faisant tout vous mêmes... c'est pas un peu contradictoire avec la grosse promo, la grosse major etc... ?
R : Non c'est la preuve que non. Tout dépend comment on signe. Nous on n'a pas signé comme ça. On sait très bien qu'un groupe comme nous, ne marchera pas sur un label indépendant français et que ces labels galèrent un maximum et que la plupart sont rattachés à des grosses boites. L'indépendance c'est très important pour nous, au niveau artistique. On a besoin de liberté et on a gagné cela. On a attendu un an avant Abricotine à cause de cela. Il faut savoir que la boite dans lequel on a signé c'est Labels, qui est une boite particulière, les gens sont impliqués musicalement et à long terme sur le groupe.

"je suis un arbre" ("Il pleut des cordes") pourquoi l'arbre ? Quelle est cette image pour vous ?
R : C'est descriptif, c'est un morceau qui pose un regard sur les prostituées de Saint-Denis et ce que les gens qui sont là bas, de gauche, ont fait en les mettant dehors. L'arbre permet d'avoir du recul par rapport à tout cela, comme si on mettait un zoom à l'arrière. Tout ce qui n'est pas dit est dit. Cela donne de l'importance à un végétal...
Vous posez un regard tranché sur l'extérieur, dans quelle mesure pensez vous être justement "extérieur" a cet extérieur ?
R : Justement on fait partie de ce monde extérieur, on est dans le système, à fond. Le monde est celui d'ahuris, d'où le titre de l'album. On est tous des ahuris, nous les premiers, des salopards consommateurs. On montre pas du doigt, on est dedans. Par contre quand on est dans le système et quand on est dans la merde rien ne nous empêche d'avoir un regard sur cette merde là. Et c'est un peu le cas.
D : C'est pas une histoire de bons et de mauvais...
R : Ca peut être une histoire de mauvais et on serait mauvais ! On a un regard mais on sait qu'on est partie prenante de ce coté là. L'album c'est pas tout noir, tout blanc, c'est ambigu.

Justement dans la "condition humaine" tu dis "t'as tout tu profites de rien", on dirait que vous vous rendez compte que c'est aussi votre cas et que vous le regrettez sans pouvoir rien faire finalement ?
R : Complètement.
Ce n'est donc pas contradictoire avec cette envie de réussir à tout prix ?
R : C'est toujours par rapport à la manière dont ont va présenter les choses. Ce n'est pas en contradiction. Il n'y a rien de mieux que d'être dans le trou du cul du système pour mieux pouvoir le baiser.
D : Pour l'instant on reste un petit groupe, on pense au succès pas comme si c'était nous. On essaie de pas faire de trucs trop promotionnels.
R : Par exemple je pense que Noir Désir, Higelin, Manu Chao n'ont pas dépareillé. Nous on trouve que jouer les détracteurs c'est trop facile. Après c'est quelque chose de personnel, à toi de te débrouiller avec ça. Dans ce milieu c'est clair que ou tu as tout ou tu as rien. Pour nous le plus important est de rester indépendant artistiquement. Et puis même si une action semble plus commerciale c'est aussi peut-être une question d'accessibilité. S'exprimer plus clairement, toucher un plus grand public c'est pas forcément faire du commercial.

"la grande traversée des illusions" (sur "Sombre) ... les gens d'Eiffel sont des désillusionnés ?
R : Non pas du tout. Il y'a des choses qui montrent après qu'on croit en la masse, aux générations futures. C'est plus une phrase d'espoir. On n'est pas non plus des utopistes.
D : Plus des humanistes..
E : On croit qu'on peut encore changer les choses..
R : Moi un jour je me sens super cynique et nihiliste et un jour c'est le contraire. C'est les changements d'humeurs qui donnent la cadence, c'est une sorte de moyenne et tu te raccroches à un truc.

Toujours dans "Sombre", "c'était en 2001 on nous trouvait trop exaltés, bandes de petits cons" des regrets, des rancunes, un évènement précis ?
R : En fait c'est de l'humour et c'est à double sens. On a dit de nous, surtout la voix sur Abricotine, que cela faisait maniéré, à cause de la voix aiguë et c'était gonflant à la longue alors qu'on est un groupe plus exaltéà la base et c'était l'exacte évolution avec cet album et c'était une manière de dire "ben désolé, on continue".

Vous citez Boris Vian, également sur Abricotine, en quoi son parcours, sa vie, ses écrits vous ont-ils influencés ?
R : C'est sur tous les points. Pour moi Vian c'est tout, sa trajectoire, sa vie, son rayonnement ... lui était bien particulier... avec Prévert aussi. Au niveau politique et aussi par rapport à la société. Et puis il a aussi une manière de dire les choses crues tendrement. J'aime bien ça moi, il utilise des mots trash dans un contexte dans leequel ces mêmes mots semblent naturels ! C'est simplement la réalité. Ce mec-là c'est la fraîcheur même.

Et au niveau des projets ?
E : Là ont va faire une trentaine de dates jusqu'à décembre, au mois de janvier on va encore tourner. On va surtout rester en France et peut-être un peu en Belgique, en Suisse.
Et vous voyez où dans un an ?
D : Espérons qu'on sera encore en tournée.
E : Et qu'on préparera la suite !
Des appréhensions pour tout à l'heure ?
E : Pas forcément des appréhensions ... on est surtout très concentré, c'est le début de la tournée...

Alors la question que vous avez envie que l'on vous pose ?
R : Alors ça c'est salaud comme question ! (rires)
Ca peut-être n'importe quoi...
R : Sans déconner je vais trouver... tu peux rester là encore deux heures ! (rires)
R : Pourquoi avez-vous fait la connerie de jouer avec Michel Houellebecq ?
Et la réponse ?
R : Nan nan t'as pas dit que tu voulais la réponse, on ne répond pas ! (rires)