Eiffel fait partie du paysage rock français et le groupe a sorti fin 2019 un album intitulé Stupor machine. La tournée, plusieurs fois décalée est passée par la salle de Paul B à Massy et par le Trianon à Paris. L'occasion d'échanger avec Romain au lendemain de sa date solo à la Maroquinerie, elle aussi décalée par le Covid en général puis par le virus qui l'a touché personnellement.
Eiffel
Comment se sont passées les périodes de confinement et comment avez-vous vécu cette période de pandémie ? Cela vous a permis de travailler sur de nouveau titres ou projets ?
Il me semble que chacun l'a vécue différemment. Avec diverses approches du problème.
Pour notre part Estelle et moi, on a tenté d'engager d'autres choses, notamment des trucs que nous voulions faire depuis longtemps : partir de Bordeaux, construire un nouveau Studio des Romanos... Ce que nous avons fait. J'ai aussi écrit 80 nouvelles chansons pendant ces deux années étonnantes... Ce qu'elles deviendront et le nom qui les portera me sont encore inconnus. La seule chose dont je suis sûr c'est qu'il va y avoir beaucoup d'albums dans les années à venir.
Vous nous avez accueillis sur deux de vos dates de tournées dont celle au Trianon, elle a connu plusieurs reports, quatre de mémoire, c'est fou. Quels ont été vos sentiments quand vous avez enfin foulé la scène ?
Beaucoup de plaisir. Un plaisir simple et limpide. Pour ma part, je n'ai pas l'impression que l'on m'ait volé une liberté en attendant ces concerts. Même s'il y a beaucoup à dire sur la manière dont certains évènements ont été gérés par le gouvernement. Je n'associe pas l'idée de liberté à un resto, une bière, un concert ou autre. Si elle existe, elle doit sûrement se situer à un niveau plus intérieur, mental et philosophique... le reste n'est que concept bourgeois. S'il faut faire un effort commun et rentrer dans une forme d'ascétisme pour que le monde aille mieux, j'en suis. Ce qu'il y a de clair comme l'eau de roche à identifier dans l'évènement Covid, c'est que l'on est tous plus ou moins des consommateurs "d'idée de liberté", tous plus ou moins des connaux capitalistes visant le prochain avion à prendre, la prochaine lasagne à se faire au restau, la prochaine série, le prochain concert rock festival à semi-remorques et leds à gogo etc... et surtout le prochain match de foot initié par une des plus grandes mafia au monde. On est devenu une sorte de rien qui gesticule en confondant liberté et consommation. Raison pour laquelle j'y reviens : le plaisir de refouler les planches avec Eiffel n'était que simple, aucune idée de revanche sur le Covid ou sur quelques "méchants" nous ayant punis.
Vous avez sorti votre album Stupor machine en 2019 quel a été le retour et avez-vous pu le défendre malgré la crise sanitaire comme vous le souhaitiez ?
À noter que je n'ai jamais "défendu" un de mes albums car ils n'ont jamais été "attaqués". Le concept de "victoire", "attaque", "défense", "marquage de points" et consorts sont pour moi apparentés à l'idée de sport, de marketing lourd et agressif, ainsi que de concepts guerriers. Mais ils font prou dans la bouche de l'art. Sinon, nous l'avons sorti avant le Covid et ça a été très mal travaillé à la base. Je m'y attendais, c'était notre dernier album chez Pias et l'humeur du moment comme celle d'aujourd'hui n'est pas au Rock 'n' Roll. Mal travaillé à la base, voire catastrophique, le Covid n'ayant effectivement pas arrangé les choses...
La pochette du disque est extrêmement sobre avec uniquement vos visages en noir et blanc, on peut penser aux pochettes des Beatles ou de Queen, les photos du disque sont un peu en décalage, on vous retrouve en costumes de différentes époques, pourquoi ce choix ? Est-ce en lien avec les thèmes qui sont décrits de Aldous Huxley ou Orwell ?
Oui, l'idée des photos est intrinsèquement liée aux thèmes abordés dans Stupor machine. D'un côté le verso, évident référent à "With the Beatles" est une série de 4 visages possiblement de prisonniers. D'autres part les visions intérieures pochette sont les petites sœurs impressionnées des textes de l'album.. Kafka, Orwell, Huxley, Barjavel, Damasio, Gilliam, Condon etc..
Le titre "Big data" malheureusement d'actualité avec la phrase "qui détient les données, détient le pouvoir". C'est quelque chose qui t'inquiète ?
On le serait à moins ! Oui. Ce n'est même pas que ça m'inquiète, c'est que ça devrait être inquiétant-affolant-sidérant pour tout le monde ! C'est en ce sens ou la philanthropie se barre en misanthropie : nos générations, à force d'impressions de jouissance par le confort, ne sont-elles pas devenues les plus lourdaudes de l'histoire des hommes ? Sensation de faire partie du club des teubés, ni plus ni moins. Qui et pourquoi a accepté cela ? Pourquoi est-on censé trouver cela "moooooderne" alors qu'il ne s'agit que d'obscurantisme et d'inquisition tentacularisée ? Bref, j'ai deux/trois éléments de réponses mais on en aurait pour des plombes et puis je ne suis pas des plus précis ! Ce n'est pas mon job. Je suis plus dans l'instinct, ça ment rarement.
Eiffel
Romain, tu as été touché par le Covid, qui t'a amené à déplacer ton concert solo à la Maroquinerie, est ce que tu vas mieux et comment s'est passé le concert ?
Le concert a été un grand moment pour moi et je crois que les gens en sont ressortis tout chose. Ça va mieux mais Estelle et moi ne sommes pas tombés sur la forme Covid la plus transparente (rires) ! Je pense que ça nous est tombé dessus à un moment où l'on était puissamment fatigués.
Vous avez laissé un message il y a peu sur les réseaux en remerciant les gens qui vous suivent tout en laissant planer un doute sur "la suite" ; nous avons une lecture pessimiste où cette suite ne sera pas forcément sous la forme d'Eiffel ?
Il n'y a aucun doute sur la suite : je vais continuer à écrire des chansons, à les enregistrer, sortir des albums et faire des concerts. Peut-être encore plus qu'avant. Je l'espère tout du moins. Après l'histoire du nom que cette suite portera, c'est un autre sujet. Je n'en sais rien. La vie est courte et il me faut tenter de réaliser tout ce que j'ai dans la tête. Ça c'est important. Par contre, je suis toujours sidéré de voir à quel point les gens aimerait vous voir ne faire que retourner à la niche, à la marque. Comme ça, cela peut paraître rassurant, mais si l'on y réfléchit bien... Eiffel, c'est quatre personnes qui sont amies. C'est finalement ce qui est le plus important pour moi. C'est aussi mes chansons jouées par quatre personnes précises, comme Romain Humeau sont mes chansons jouées par cinq autres personnes précises. Que l'on continue ou non à être un groupe, je m'en fous, on verra. Les chansons qui me viennent en tête depuis deux trois ans ne sonneraient pas comme Eiffel, il semble que je m'éloigne de ce son et ce style de jeu.. Quelque chose de plus dynamique, énergique, plus sale mais moins saturé, plus ample, moins bavard, plus soul, plus Bowie et plus black aussi... À voir. (rires).
Vous avez dédié "Millionnaire" à un de vos proches et mécène disparu récemment, c'était un moment touchant. Il vous a aidés à produire un film sur le groupe qui cherche un distributeur. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Manu Joux ne nous a pas aidés à produire Eiffel. Le film, il l'a produit entièrement ! Eric Bougnon l'a réalisé. Manu nous a quittés au moment où nous étions en résidence avant les dernières dates de la tournée d'Eiffel, il y a un mois et demi... On est choqués, il avait deux ans de plus que moi. C'était un grand fan qui, au fil du temps était devenu un ami. Un mec génial avec une incroyable énergie. On ne réalise pas... C'est si soudain... Le on/off de la vie, quand tu commences à l'avoir côtoyée plusieurs fois et de près te change. La mort de Manu aussi me "change".
J'ai personnellement une longue affection pour le titre "À tout moment la rue", tu as lancé au Trianon un "malheureusement toujours d'actualité malgré toutes ces années" et les récentes élections semblent aller dans ce sens.
J'ai fini par regarder cela de loin tant cela ne se passe pas au bon endroit... Pour reparler politique, il faudrait redéfinir le territoire où elle prétend se mouvoir et renommer tous les médias/personnalités qui nous en font échos. Pour ma part, moi qui ne suis pas violent pour un sou, j'avoue que la violence finit par être une des seules solutions. Tu n'arrêtes pas le capitalisme en prenant rendez-vous pour parler, tu l'arrêtes avec un bourre-pif. Et ce que je dis là m'afflige.
Vous collaborez avec beaucoup d'artistes. Quelle serait la collaboration rêvée ou un artiste avec qui partager la scène ?
John Lennon, David Bowie, Patrick Dewaere, Romy Schneider, Philippe Noiret sont prévus pour mon nouveau groupe. (rires) Mais pour l'instant ils sont occupés.
Le mot de la fin ?
Oui, il vaut mieux un mot pour la fin qu'une main pour la faux !
Merci à Fred pour la mise en relation, Kix et le groupe pour ces deux jours passés en leur compagnie.
Photos : JC Forestier
Publié dans le Mag #51