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Biographie > Wind & Fire... (The Masters of drone)

earth_promo.jpg Earth fut formé en 1990 à Olympia, état de Washington (USA), par Slim Moon, Greg Babior et l'emblématique guitariste Dylan Carlson, force conductrice et principal compositeur de ce groupe atypique et fondateur. Ce groupe connaîtra de multiples et fréquents changements de line-up, passant de duo guitare/basse au quintette rock à deux grattes (entre autres), et aura accueilli en son sein quelques musiciens de renom tels que Joe Preston (Thrones, (The) Melvins, High on Fire, Sunn O)))) à la basse et aux percutions sur Extra capsular extraction, ou même un certain Kurt Cobain, invité à pousser la chansonnette sur le même disque ainsi que sur le live Sunn amps and smashed guitars. Le nom du groupe est un hommage à Black Sabbath, dont Earth était le premier patronyme.

Dès sa création, Earth fortement lié à l'émergeante scène grunge de Seattle, principalement de part la profonde amitié qui lie Dylan Carlson avec Kurt Cobain (Carlson sera d'ailleurs tristement célèbre par la suite pour avoir été le malheureux propriétaire de l'arme avec laquelle Corbain se suicidait en 1994.). Cependant, Earth n'a a priori pas grand-chose à voir musicalement avec toute cette bande de jeunes junkies aux cheveux gras. En effet, au moment où les majors dans un moment de panique post-Nevermind signaient tous les groupes vaguement rebelles qui semblaient avoir l'estime de Nirvana (on pense notamment à Mudhoney ou aux sales gosses des Melvins, qui auront quand même réussi à se faire signer sur Atlantic), la bande à Carlson restait dans l'ombre. Car ici, point de tubes, point de refrain à scander, pas de rock (ou si peu), mais un minimalisme extrême, une intégrité à toute épreuve et un amour de la disto qui feront date dans le monde des musiques expérimentales et donneront naissance à genre nouveau : le drone (bourdon en anglais, même si on peut déjà trouver des racines au drone dans la musique contemporaine de La Monte Young ou de Glenn Branca). Malgré les différents styles que Carlson explorera, le nom de Earth sera vraisemblablement pour toujours associé à l'album Earth 2 : Special low frequency version, véritable manifeste du drone/doom dont les vibrations telluriques auront marqués bien des esprits ; parmi tant d'autres, citons tout de même les guitaristes Greg Anderson et Stephen O'Malley (Burning Witch, Thorr's Hammer, Sunn O))), Teeth of Lion Rule the Divine...), les japonais de Boris, les géniaux droneux de Asva ainsi que toute une ribambelle de stoner-doomeux de tout poil et horizons (Electric Wizard, Sleep/Om, pour ne citer qu'eux.).

Après un hiatus de 6 ans (principalement passé en cure de désintox et à régler ses affaire avec la justice, suite à l'affaire Cobain), Dylan Carlson décide de reformer Earth avec sa compagne Adrienne Davies derrière les fûts pour entamer une série de concerts durant 2002 et 2003 (dont une tournée européenne). En 2005, il sort alors un nouvel album, Hex : Or printing in the infernal method. Le son y est très différent. Exit les murs de disto s'étalant à l'infini. Le nouveau Earth sent le sable, le soleil brûlant et la mélancolie. Il puise une grande partie de ses influences dans la musique traditionnelle américaines (autant country qu'indienne). Cependant, le côté rituel et épique est toujours présent. La lenteur et la classe aussi, plus que jamais même. Et après un magnifique Hibernaculum (sorti chez Southern Lord) au cours duquel Earth revisite ses classiques avec son approche actuelle, un nouvel album : The bees made honey in the lion's skull est prévu pour février 2008.

Earth / Chronique LP > Angels of darkness, demons of light II

Earth -  Angels of darkness, demons of light II Enregistré, on l'a dit lors de sa chronique, en même temps que le premier volet, le deuxième épisode du diptyque Angels of darkness, demons of light de Earth continue de marquer une évolution dans la musique du groupe emmené par Dylan Carlson. Peu à peu, l'étiquette drone/doom semble de plus en plus inadaptée à ce qu'est l'entité américaine, qui au fil des morceaux tend à évoluer sur des territoires folk, rock, légèrement doom certes, mais surtout marqués par des teintes americana et surtout des atmosphères de western crépusculaire. Fascinant. "His teeth did drightly shine" est à ce titre symptomatique de ce qu'est devenu Earth. Un groupe pratiquant une musique séminale et ténébreuse, languissante sinon parfois un peu léthargique, mais toujours avec ce petit quelque chose qui arrive à captiver l'attention (le plus souvent). Parce qu'il faut bien admettre qu'à force de jongler avec les affres de l'ennui ("Sigil of Brass"), de se jouer de lui tout en le provoquant, Dylan Carson et sa troupe prennent autant de risques qu'ils ne rallient d'adeptes, même de nouveaux pas forcément très au fait de ce que faisait Earth il y a dix ou quinze ans.

Par son singularisme artistique autant que les ambiances qu'il instille, Angels of darkness, demons of light II, est un album exigeant, tantôt sombre, d'autres fois plus lumineux ("A multiplicity of doors"), un disque cafardeux perclus de douleurs anciennes, hanté par les fantômes folk du passé et d'un parcours musical jalonné, au fil des années, de joies (l'influence majeure qu'a eu Earth 2 : Special low frequency version sur la scène musicale de la fin du XXe siècle) comme de larmes (pour mémoire Dylan Carlson était celui qui a acheté l'arme avec laquelle Kurt Cobain - son ami de longue date - a mis fin à ses jours). La vie a continué et le temps de défilé, pourtant le groupe n'a de cesse de vouloir le freiner. Les cordes qui crissent le long du plancher, des instrumentations qui marque l'esprit par leur caractère justement intemporel, l'album place l'auditeur hors du monde, il est une messe western folk à écouter religieusement, à appréhender dans son individualité comme dans l'ensemble qu'il forme avec son prédécesseur. Unique, définitivement à part et tout aussi incontournable, Earth continue de cultiver son culte et le légitime une fois encore un peu plus.

Earth / Chronique LP > Angels of darkness, demons of light I

Earth - Angels of Darkness, Demons of Light I Trois ans après le très honorable The bees made honey in the lion's skull, Dylan Carlson, seul membre fondateur du groupe encore actif, inaugure un diptyque discographique de Earth en s'entourant cette fois de Karl Blau (basse) en lieu et place de Don McGreevy et de Lori Goldston (violoncelle) en remplacement de Steve Moore. Quant à sa compagne depuis plusieurs années, Adrienne Davies, elle est répond toujours présent derrière les fûts pour apporter sa contribution à cet Angels of darkness, demons of light I enregistré en même temps que sa "sequel" immédiate sortie un an plus tard. Sous ce nouveau line-up, la figure tutélaire du drone/doom poursuit son cheminement créatif, labourant toujours un peu plus son terreau musical rock expérimental en explorant encore plus profondément ses atmosphères old-school, pesantes et hypnotiques... tout en gardant une

Produit par Stuart Hallerman (entre autres aux manettes sur des albums de Mudhoney ou Soundgarden), ce nouvel opus de Earth laisse entrevoir un groupe dont l'écriture suit la maturité acquise au fil des aventures musicales et extra-musicales de Dylan Carson, lequel laisse désormais son écriture toujours plus ouverte à l'improvisation, aux textures folk-rock désenchantées et aux variations progressives de ses précédents travaux. L'éloge de la lenteur et de la répétitivité dont l'amplitude et le minimalisme font frissonner, une certaine idée de la musique qui mêle tout naturellement drone/doom et rock expérimental organique... Paradoxalement, le résultat est aussi fugitivement fascinant que régulièrement... ennuyeux (aussi) et si les ambiances sont toujours aussi familières ("Old black"), que les morceaux de ce nouvel album n'auraient pas forcément dépareillé sur les autres opus de la discographie du groupe ("Father midnight"), on note que le Earth nouveau aime se faire l'écho d'une musique particulièrement aride, méditative et rapeuse ("Hell's winter").

Musique qui au delà de ses atmosphères d'un autre-temps, perdues le long des immensités désertiques d'Amérique du Nord, se fait aussi l'écho de nouvelles aspirations musicales chez le maître d'oeuvre du projet Earth. Un Dylan Carson qui, vingt-deux ans après ses premières pérégrinations musicales avec son groupe de toujours, a encore des choses à dire, mais plus de la même manière, le temps, les fantômes du passé et les envies d'autre choses étant depuis passées par là. Pour le meilleur d'un diptyque discographique qui marque l'évolution du groupe sur son premier volet comme sur sa suite...

Earth / Chronique LP > Bureaucratic desire for extra capsular extraction

Earth -  A Bureaucratic desire for extra-capsular extracting Bureaucratic desire for extra capsular extraction, bon déjà le titre... pas évident à retenir quand même, en même temps c'est du Earth hein, faut pas s'attendre à un truc super aisé à graver dans sa mémoire pour le ressortir en un seul morceau auprès de son disquaire préféré. Ensuite le contenu, à réserver aux initiés puisque compilant sur une même galette des versions alternatives (non coupées) des premiers travaux des auteurs de Earth 2 : Special low frequency version ou Hex, à l'époque des premières démos et autres Extra capsular extraction datant donc du début des années 90. Autant dire que les gaziers ont un peu fait les fonds de tiroir sur ce coup. Enfin, il y a quand même l'intérêt d'avoir ces morceaux "originels", le matériau brut en somme qui devrait ravir les die-hard fans du groupe de la première heure et de laisser de marbre les autre.
Car sur les deux premiers titres, soit "A bureaucratic desire for revenge, part 1 et part II", on se prend au total dans les écoutilles, près d'un quart d'heure de doom monolithique et dronisant, laconique et répétitif, lesté de riffs stoner heavy pachydermiques jusqu'à nous en faire perdre le sens des réalités. Du Earth dans le texte, pur et dur, presque monomaniaque dans son approche atypique de la musique dite "amplifiée". Mais jusqu'à là, ça va, c'est après qu'il va falloir s'accrocher, avec notamment l'original d'"Oroborous is broken" (également présent sur Extra capsular extraction mais raccourcie, ainsi que sur Hibernaculum en version alternative > c'est bon tout le monde a suivi ?) et ses quelques dix huit minutes d'un drone-doom lo-fi très underground, bourdonnant du fait d'un son qui commence à être un peu daté. Lent et interminable... à l'inverse de la suite qui étonnamment, va voir le groupe raccourcir considérablement le format pour le ramener à des proportions plus raisonnables (à peine plus de sept minutes... voire moins) et de fait offrir des titres qui font quand même bien frétiller le palpitant, même sur un disque mineur ("Geometry of murder", "German dental work"...).

Earth / Chronique LP > The bees made honey in the lion's skull

Earth - The bees made honey in the lion's skull Il n'est pas peu dire que Earth était attendu au tournant avec cet album. Après un hiatus discographique de 9 ans, un come-back aussi inattendu que surprenant avec l'album Hex : Or printing in the infernal method en 2005 et un buzz grandissant autour du groupe grâce à la remarquable inertie du label Southern Lord, la bande de Dylan Carlson avait revisité avec talent son passé (le EP/DVD Hibernaculum) et nous était apparue sereine et confiante dans sa nouvelle identité. Il ne leur restait plus qu'à enfoncer le clou avec un nouvel album et de nouvelles compos dignes de ce nom.

Dès le premier titre de The bees made honey in the lion's skull (le splendide "Omens and portents I : The Driver"), on constate avec soulagement que le challenge est plus que réussi. Cet album respire la classe. Le line-up semble désormais stabilisé puisque Don McGreevy (basse) et Steve Moore (trombone, claviers) sont de nouveau de la partie autour du noyau dur Dylan Carlson (guitare)/Adrienne Davies (batterie), et cela s'en ressent fortement sur la musique. En effet, le ton est nettement plus assuré que sur Hex et les compos, nettement plus solides. Il plane sur cet album la même beauté sereine qui nous avait ravis sur Hibernaculum. Une sorte de psychédélisme apaisé, délicieusement hypnotisant, qui n'est pas sans évoquer parfois un Pink Floyd paumé au milieu d'un désert de l'ouest américain. Steve Moore semble avoir gagné du galon au sein du groupe. Les superbes textures émanant des ses claviers (Piano, Hammond B-3, Mellotron ou Wurlitzer suivant l'humeur) n'ont jamais semblées aussi présentes. Adrienne Davies est plus en confiance qu'auparavant avec les tempos figés "Earthiens" (parfois 40 a la noire !!), tandis que le père Dylan Carlson assure comme à son habitude, se payant même le luxe de quelques improvisations disséminées ça et là (exercice nouveau chez Earth). L'ensemble est enfin mis en valeur par un formidable travail de production, qui fait de ce disque un véritable régal pour les oreilles.

Une des forces majeure de cet album réside aussi dans la participation du guitariste de jazz Bill Frisell. Ce magicien des effets réalise une réelle performance en distillant avec brio ses solos sur trois chansons de The bees made honey in the lion's skull. Les sons étonnants qu'il fait sortir de sa guitare ajoutent une touche de lyrisme à l'ensemble et l'osmose avec le groupe est parfaite. On en viendrait presque à regretter que cette rencontre ne se soit pas étendue au reste de l'album, voir à une collaboration sur le long terme (ce qui reste cependant hautement improbable quand on connait l'emploi du temps du bonhomme...). En un mot, je pense que vous aurez deviné tout le bien que je pense de cet album. Après six albums et 18 ans de carrière, Earth continue de sortir des disques de grande qualité, tels ce The Bees, et reste fidèle à sa vision artistique tout en évoluant constamment. On espère maintenant que la suite sera toujours aussi intéressante. Un dernier conseil, si vous n'achetez pas ce disque (vous auriez bien tort, soit dit en passant.) allez au moins jeter un coup d'œil à ce groupe sur scène si l'occasion se présente. C'est une expérience assez unique et vraiment sympathique que vous ne regretterez pas.

Earth / Chronique LP > Hibernaculum


Earth - Hibernaculum Après nous être revenu avec une toute nouvelle identité sur le sabloneux Hex ; Or printing in the infernal method, album ô combien original et bien ficelé (même si parfois un peu longuet...), Earth nous fait la surprise de sortir Hibernaculum. D'un côté, un DVD sur lequel on peut voir un documentaire suivant la bête le long de sa tournée européenne avec Sunn O))) en 2005. De l'autre, un CD quatre titres comprenant un inédit ("A plague of angels"), une rareté ("Miami morning coming down", sortie sur une obscure compilation de Touch Records, il y a une dizaine d'années) ainsi que deux anciens "tubes" : "Ouroboros is broken" (issu d'Extra-capsular extraction) et "Coda maestoso in F flat minor" (paru sur l'album Pentastar : In the style of demons).
Le documentaire, intitulé "Within the Drone" et réalisé par le graphiste Seldon Hunt (à qui on doit entre autres la pochette de A Sun that never sets de Neurosis), est bien sympathique. Il est bâti sur une alternance d'interviews de Dylan Carlson et Adrienne Davies et de prestations live, et, à l'instar de la musique du groupe, il sait prendre son temps. On est assez loin de ces documentaires musicaux à l'américaine où le réalisateur saute d'un membre du groupe à l'autre toutes les quinze secondes, essayant à tout pris de garder le dynamisme maximal de la forme, quitte parfois à négliger le fond. Ici point de précipitation, on écoute avec plaisir Dylan Carlson nous conter le parcours de Earth, nous expliquer pourquoi le drone, ou nous décrire avec un simple verre vide sa conception de la création musicale (le musicien est comme le verre, un réceptacle qui reçoit puis transmet. je passe sur les détails mais c'est un argumentaire assez rigolo). Le tout ponctué de morceaux live hypnotiques principalement tirés de Hex. Ce petit documentaire est donc vraiment bien foutu, on peut juste regretter l'absence de sous-titres, car il faut parfois franchement s'accrocher pour arriver à décrypter tout ce que nous sort le père Carlson, avec sa voix cassée et son gros accent ricain des familles.
Cependant, ce qui m'aura marqué le plus sur ce Hibernaculum, ce sont ces quatre petits titres (36 minutes tout de même) du CD audio. Tout commence avec un gros dépoussiérage, j'ai nommé "Ouroboros is broken", sorti 16 ans plus tôt. Le titre monolithique de Extra-capsular extraction est réarrangé en empruntant à l'atmosphère Morriconienne de Hex ; or pinting in the infernal method. Le rendu est bien sûr beaucoup plus atmosphérique que le pavé drone original, mais parait également plus consistant et plus fourni que la musique présentée sur Hex. Cette impression, qui se confirme sur les trois autres titres, est sans doute grandement due à l'omniprésence des claviers de Steve Moore. Ce dernier a définitivement gagné du galon au sein de Earth (et c'est tant mieux !), dont le line-up s'est stabilisé autour de Dylan Carlson aux guitares, d'Adrienne Davies à la batterie, de Don McGreevy à la basse et du sus-cité Moore aux trombone, piano, orgue Hammond, et autres mellotron.
Le minimalisme désertique de Hex semble avoir laissé la place à quelque chose de beaucoup plus introspectif, de plus serein, de plus beau. On n'est jamais très loin du post-rock, où même de certains travaux aériens des Pink Floyd. L'apothéose est atteinte avec le magnifique "Miami morning coming down", quasi-inédit déterré par Carlson pour notre plus grand bonheur. Il s'agit d'une douce et mélancolique discussion entre le piano de Moore et la guitare de Carlson. Une calme mais splendide invitation au rêve, dénuée de percussion, et qui laisse l'auditeur dans un coma contemplatif des plus agréables.
En conclusion, Earth a frappé un grand coup là où on ne l'attendait pas vraiment. Hibernaculum nous présente un groupe stabilisé et qui, en s'étant réconcilié avec son passé, a retrouvé sérénité et confiance dans le nouveau chemin qu'il s'est tracé. Je ne saurais trop vous conseiller l'acquisition de cet objet, ne serait-ce que pour la magnifique relecture des anciens titres. Et si vous souhaitez vous initier à l'univers de Earth, cet Hibernaculum en est, de par son accessibilité et sa beauté, une introduction idéale.

Earth / Chronique LP > Hex


earth_hex.jpg Désertique. C'est le premier mot qui vient à l'esprit à l'écoute de Hex; Or Prtinting in the infernal method. Un de ces déserts du grand ouest américain à la chaleur écrasante, peuplé de vautours, coyotes, serpents à sonnette et servant de théâtre aux affrontements de cow-boys et d'indiens. Un désert dont on nous propose pourtant ici la traversée à pied et en proie à la soif, au soleil de plomb, à la poussière rouge qui emplit nos poumons, aux mirages etc... Une chose est sûre, Earth a changé. Après avoir exploré les bienfaits vibratoires de la distorsion et le mysticisme des musiques répétitives et neuf ans après son dernier album en date (le manifeste stoner Pentastar : In the style of demons), Dylan Carlson décide de s'intéresser à un tout autre univers. Il s'entoure de sa compagne Adrienne Davies (à la batterie, formant à eux deux le noyau dur du nouveau Earth), enfile son chapeau de cow-boy, ses bottes en cuir, et s'en va explorer le racines de la musique traditionnelle américaine. Le résultat est on ne peut plus surprenant et original. On a affaire ici à une espèce de musique country instrumentale, très cinématographique, marquant une rupture flagrante et brutale avec les précédents efforts de Earth, mais gardant cependant cet aspect hypnotique et contemplatif, à la fois rituel et mélancolique, qui aura été le fil conducteur de leur discographie.
Ici, donc, tout évoque les grands paysages de l'ouest. Les guitares au son clair (grande première chez Earth) sont noyées de reverb, chaque coup de batterie semble résonner sur des kilomètres et on entend même de temps à autre le bruit du vent sur les caillasses. Pour un peu, on visualiserait presque la "tumbleweed" qui roule (vous savez cette petite boule de broussailles qu'on voit dans tous les westerns avant le duel final). L'ensemble est une sorte de voyage intérieur qui évoque à la fois le rock atmosphérique, le western spaghetti et la country (rhâaa, cette steel-guitar qui s'invite ça et là...), un peu comme une rencontre improbable entre Ennio Morricone (époque Il était une fois dans l'ouest), une guitare et une dizaine de boîtes de valium (au moins !). Car s'il y a un point marquant sur cet album, c'est bien son extrême lenteur. Certes Earth n'a jamais été célèbre pour ses shreddings forcenés et ses rythmes inhumains, mais là ils y vont quand même fort ! Les tempi sont tellement lents qu'ils relèvent presque de la prouesse technique, les beats de batterie flirtant continuellement avec les 50 bpm (voir nettement en dessous sur "Raiford (the felon wind)"). Cependant, et à l'instar d'autres styles musicaux lents tels que le dub ou le post-rock, le tout est contrebalancé par une production et un travail du son exemplaires. Le contour de chaque petite note est peaufiné à l'extrême, ce qui rend l'ensemble vraiment magnifique.
Hélas, malgré un concept nouveau sympathique et une production excellente, nos amis semblent encore se chercher quelque peu et l'album en souffre sur la longueur. Il faut le dire, malgré quelques passages bien sympas ("An inquest concerning teeth", "Raiford (the felon wind)") et malgré tout le respect et l'estime que je voue à Dylan Carlson, on se fait quand même dans l'ensemble pas mal chier... Ah, je dis pas que c'est désagréable à écouter, ça non. C'est beau, ça détend, c'est agréable, mais en musique de fond quoi... En effet, contrairement à des groupes comme Sigur Ros (avec qui ils partagent le même goût de la lenteur), le tout n'arrive que rarement à attirer l'attention de l'auditeur et à créer une réelle intensité émotionnelle, la faute sans doute à des riffs qui ne sont pas toujours d'une inventivité à toute épreuve. Un album intéressant, mais petite déception donc. Fort heureusement pour nous, il semblerait que cette période de rodage de ce nouveau son ne fût que passagère. Car pour l'instant depuis ce Hex, que ce soit avec l'album de reprises Hibernaculum ou avec le petit nouveau The bees made honey in the lion's skulls, Earth ne nous a pondu que de magistrales petites perles.

Earth / Chronique LP > Pentastar : In the style of Demons

earth_pentastar.jpg Pentastar : In the style of demons est un bon petit album de stoner, bien cool. Un fond sonore parfait pour road-trip dans le grand ouest américain, sous un soleil de plomb. Un album sentant bon les 70s, les hallucinogènes et la marie-jeanne où se cotoient riffs groovy sabbathiens et passages aériens dans la droite lignée de groupe comme. Eh ! Attendez une minute, c'est quoi ce bordel ?! C'est bien le nom de Earth que je vois sur l'autocollant de la bagnole de la pochette ? Les mêmes Earth qui trois ans auparavant nous délivraient le godzillesque (coypright déposé) Earth 2 : Special low frequency version et se faisaient connaître pour leur amour des vibrations distordues s'étendant à l'infini ? Eux mêmes. En effet, après l'album de transition Phase 3 : Thrones and dominion, Dylan Carlson va s'entourer de Ian Dickson (Basse), Sean McElligot (Guitare lead), Michael Deming (Orgue) et Mike McDaniels (Batterie) pour former le premier véritable line-up "rock" de Earth et sortir en 1996 (comme d'habitude chez SubPop) leur album le plus accessible en date.

Car c'est bien de rock dont il est question ici, un rock aux forts relents désertiques et stoner, mais n'allons pas croire que Carlson renie pour autant ses antécédents expérimentaux et se vautre dans la facilité. Non. Pentastar : In the style of demons reste fidèle à l'esprit de Earth, il choisit juste d'en faire évoluer le langage. Le premier morceau "Introduction" (ça ne s'invente pas.) en est le parfait exemple. Certes, la parole est au stoner/rock (quoi qu'on est bien loin de Kyuss, disons plutôt un stoner sous tranxène.), mais l'aspect contemplatif et rituel est toujours là. La recette est simple : tu prends un bon riff 70s de derrière les fagots, groovy à souhait, tu l'assaisonnes de temps à autres quelques petits soli bien sentis et cools ainsi que de vocaux nonchalants (assurés par le père Carlson lui même), et tu le fais tourner encore et encore jusqu'à l'hypnose. Puis quand t'en as marre, et ben tu t'en trouves un autre (de riff) et tu recommences. Et le pire c'est que ça marche bien ! Dans cet esprit défilent "High Command", "Thallahassee" et la massive reprise de Hendrix "Peace in Mississippi", 6 minutes de solo de guitare en hommage au maître. Entre chacun de ces trois plats principaux s'intercalent "Crooked Axis for Straight Quartet", "Charioteer (Temple Song)" et "Sonar and Depht Charge", trois plages minimalistes et répétitives respectivement aux claviers, aux guitares et au piano. Dépourvues de tout rythme et de toute agressivité, elles sont d'agréables intermèdes aériens et méditatifs, et leur alternance avec leurs voisines rock donne un relief vraiment appréciable à l'ensemble.

Comme souvent chez Earth, on a gardé le meilleur pour le dessert. Le riff sur lequel commence "Coda Maestoso in F(flat) minor" est le même que celui du morceau d'introduction. On se dit alors "Ah tiens, ils nous font le vieux coup typique de l'outro, la boucle est bouclée, tout ça... Mais bon, finalement c'est tant mieux, il passe vraiment bien ce petit riff. ". Et on se laisse prendre par la main tout au long de ces trois premières minutes, quand tout à coup, et de manière parfaitement inattendue, c'est l'explosion. Notre esprit était bien ralenti par le mouvement perpétuel et tournoyant des guitares, quand les claviers nous sortent soudainement de notre torpeur en rentrant en action, toutes nappes dehors, tout en étant appuyés par un épique solo de guitare hendrixien du meilleur goût. L'album s'achève alors sur cette magnifique pièce dont le seul et principal défaut aura été d'être bien trop courte ! Carlson reprendra d'ailleurs "Coda Maestoso in F(flat) minor" avec le nouveaux line-up sur le splendide album de reprises Hibernaculum (sorti en 2007). Pour conclure, que dire de ce Pentastar : In the style of demons ? Il y a sûrement eu des puristes pour regretter la lourdeur vibratoire et l'avant-gardisme des premiers albums, et reprocher à Earth une approche plus "traditionnelle" dans leur musique. Personnellement, je vois surtout ici un album particulièrement réussi, qui s'écoute et se réécoute le plus agréablement du monde, et un groupe qui, tout en restant fidèle à sa vision artistique, a réussi a éviter les écueils du "tout conceptuel" et cherche avant tout à se faire plaisir. Cet album est en tout cas une vraie réussite et prépare la voie à ce qui sera le nouveau son de Earth, près de 9 ans plus tard avec l'album Hex ; Or printing in the infernal method.

Earth / Chronique LP > Phase 3 : Thrones and dominions

earth_thrones_and_dominions.jpg Phase 3 : Thrones and dominions est un bon album, tout ce qu'il y a de plus honnête et d'inspiré, mais il souffre du syndrome dit du "petit frère timide et effacé" (sic), pathologie assez répandue dans le paysage musicale (citons par exemple Ruth is stranger than Richard, suivant Rock bottom de Robert Wyatt, In the wake of Poseidon, suivant In the court of the Crimson King de King Crimson, ou encore Coltrane Jazz, venant après le Giant steps de John Coltrane). En effet, il fait partie de ces albums bien sympas mais passés inaperçus ou jetés aux oubliettes, la faute à un grand frère trop grand, trop voyant, trop charismatique, en l'occurrence le maintenant culte Earth 2 : Special low frequency version.

Pourtant Dylan Carlson partait avec les meilleurs intentions possibles, soient faire évoluer sa créature et ne pas refaire un Earth 2 deux (ah ah... hum), ce qui aurait bien évidemment été complètement stérile, étant donné la particularité de la musique ici présente. Exit donc Dave Harwell et bonjour à Tommy Hansen et Ian Dickson (tous deux en soutien aux grattes). L'heure est au changement, et celui-ci apparaît très clairement dès la première piste "Harvey", où les mélodies des trois guitares s'entrelacent pour nous offrir une jolie et brève intro (2'55s seulement !!), certes sursaturée et blindée de larsens, mais bien plus aérée et aérienne que tout ce dont nous avions eu droit jusqu'à présent. Puis vient "Tibetian quaaludes", chanson qui reprend la formule de "Ouroboros" et "Seven angels", un riff hypnotique répété jusqu'à plus soif et qui se noie progressivement dans un bourdonnement continu de disto. Seulement, là où les morceaux sus-cités misaient tout leur effet sur un étouffant manteau de basses fréquence en peau de mammouth, on est frappé ici par la relative absence de basses. Le son de la disto est plus orienté vers les médiums et les thèmes des riffs paraissent plus apaisés qu'inquiétants. En effet, Phase 3 est dans son ensemble beaucoup plus calme et moins torturé que ses aînés. Il est relaxant et s'écoute bien tranquillement, sans non plus tenir en haleine de bout en bout. On se surprend à y trouver ça et là des instants rock, annonçant la transition rock qui viendra avec l'album suivant, comme par exemple les sympathiques "Song 4 " et "Song 6 (chime)" avec leurs riffs très 70's (passés à la moulinette drone hein, c'est pas Led Zep non plus).

Venons-en maintenant au seul petit bémol de cet album : "Phase 3 - Agni detonating over the thar desert", un gros "scrrrrchssschsc" sous phaser qui aurait pu faire un intemède reposant si il avait duré un peu moins de 12 minutes (!!!). "T'as qu'à appuyer sur next si t'es pas content !", me direz-vous. C'est ce que je m'efforce de faire, mais ça me contrarie. En effet, premièrement je suis un grand flemmard par nature, et de plus cette piste me coupe surtout complètement dans mon trip en s'incrustant juste pile-poil entre les deux morceaux de bravoure de cet album, "Site specific carniverous occurrence" et "Thrones and dominions". Le premier est une espèce de long jam psychédélique et rituel. A l'habituel drone de Carlson viennent se greffer une guitare claire minimaliste, délivrant au goutte-à-goutte ses notes cristallines et angéliques, ainsi que des percussions tribale doublée d'une batterie aux pulsions free et souffrant d'arythmie aiguë. L'effet est du meilleur goût et renoue quelque peu avec les vibrations mystiques des précédents efforts de Earth. Quant à "Thrones and Dominions", elle commence par une douce et envoûtante montée de feedbacks et larsens (faisant irrémédiablement penser au sublime "Feedbackers" des japonais de Boris) pour finalement voir débarquer vers 7minutes un lointain et aérien solo (et oui, un solo !) de guitare qui s'étendra sur les 7 minutes restantes. Ces deux pistes sont le témoignage flagrant de l'amour de Carlson pour le psychédélisme de années 60, le solo et l'ambiance de la dernière n'étant d'ailleurs pas sans rappeler "The end" des The Doors (de loin dans le brouillard, je vous l'accorde.).
En définitive, ce Phase 3 est bon, très bon même, mais il n'atteint pas les sommets de ses prédécesseurs, but qu'il semblait pourtant s'être fixé. Les réactions du publique et des critiques à l'époque seront sans appel (un poli mais embarrassé "mouais..."), et cet échec tout relatif incitera Carlson par la suite à toujours adopter une attitude des plus humble, traçant son petit bonhomme de chemin selon l'envie et l'inspiration du moment, tout en gardant une intégrité à toute épreuve.

Earth / Chronique LP > Earth 2 : Special low frequency version


earth_earth_2.jpg Arriver à pondre cette chronique m'aura été particulièrement difficile, et cela pour deux raisons. D'abord, aborder ce Earth 2 : Special low frequency version, le cerner et ne serait-ce qu'essayer de décrire les émotions qui s'en dégage est loin d'être un chose facile. Et puis deuxièmement, au bout de 5 minutes d'écoutes, je tombe systématiquement dans une espèce d'état second contemplatif, cessant progressivement mes activités pour sombrer dans une profonde méditation involontaire (et comme j'aime bien écouter un album tout en le chroniquant, vous comprendrez mon problème.). Ca ne manque jamais ! D'ailleurs, les tibétains l'avaient bien compris : les basses fréquences aident grandement la méditation. Et qu'est-ce que cette galette, sinon un gigantesque "Commmmmmmmm..." ?
Earth 2 est un voyage. Avec ce disque, qui est à la fois le moins accessible et le plus reconnu de sa discographie, Earth (réduit au duo Dylan Carlson/Dave Harwell) a réussi un coup de maître, un chef d'oeuvre dont les vibrations mystiques influenceront de façon définitive toute une génération de musiciens (cf : petite liste non exhaustive dans la bio). "Seven Angel" reprend les hostilités là où "Ouroboros is broken (Problems)" les avait laissé, soit un lent et inquiétant riff de guitare sursaturé en basse et tournoyant à l'infini. Cependant on ne peut s'empêcher de remarquer que quelque chose a changé depuis Extra-capsular extraction. Quoi donc ? Ah oui, tiens, il n'y plus de percus. Soit. Mais c'est pas le plus frappant finalement. Le gros, le colossal changement, c'est le son !! Ici, on a carrément changé de registre, que dis-je, de dimension dans le travail des textures sonores. Dès les premiers accords, la guitare semble venir d'en dessous, des tréfonds de la Terre (un peu à la manière de l'intro du Dopesmoker de Sleep, un autre monolithe génial). Sa complainte est lointaine, rampante et terriblement grave. Puis, petit à petit la puissance augmente (tellement progressivement qu'on ne le remarque qu'en revenant 10 minutes en arrière), le drone remonte et se fait plus présent. Comme dans "Ouroboros", le riff se simplifie également pour se muer en pure vibration. Puis arrive "Teeth of lions rule the divine" et l'intensité, déjà bien forte, remonte d'un cran tandis que le jeu se ralentit encore (au passage, cette chanson aura donné son nom à un excellent groupe regroupant Stephen O'Malley, Greg Anderson (Sunn O))), Burning Witch, entre autres), Justin Greaves (Iron Monkey, Electric Wizard) et Lee Dorian (Cathedral, Napalm Death). Sans qu'on n'ait trop pu dire comment, la musique de Earth s'est transformée en une sorte de "matière" sonore, d'une densité à couper le souffle. De temps à autres, le riff familier de "Seven Angel", ralenti à l'extrême, revient se rappeler à notre bon souvenir. Mais nous n'y faisons guère attention car nous sommes loin, très loin, perdus dans le ciel immense (représenté sur la pochette), et respirant avec délice ce magma de basses qui nous entoure. Ca faisait un bon moment que la notion du temps n'avait déjà plus beaucoup de sens pour nous (c'est que "Teeth of lions... dure tout de même 27 minutes) quand arrive "Like gold and faceted" pour lui donner le coup de grâce. Comme sur leur premier effort, c'est à mon humble avis la dernière piste qui se révèle la plus extrême, ainsi que la plus intéressante (toutes proportions gardées, bien sûr, les deux précédentes étant quand même des références du genre). Un accord, oui, un SEUL accord est tenu pendant les 30 minutes 21 secondes que dure cette piste. Paradoxalement, la puissance dégagée est énorme. L'oreille s'étant complètement et depuis longtemps habituée à ce bourdonnement continu, chaque petit changement de son, chaque modification dans les fréquences, aussi infime soit-elle, ressort comme sublimée par un orchestre symphonique (j'exagère à peine...). On se surprend alors à entendre et à apprécier des mélodies dont il est impossible de dire si elles ont été réellement enregistrées, où créées de toute pièce par notre imagination. De plus, et à l'inverse de Extra-capsular extraction, cette dernière piste est la seule à contenir des percussions. Mais ces dernières sont sporadiques et surtout lointaines dans le mixe, extrêmement lointaines. Un peu comme si nous avions quitté notre corps il y a longtemps et que, volant dans cette atmosphère de vibrations, quelques échos lointains nous parvenaient de cette bonne vieille Terre, échos cependant bien trop faible pour pouvoir espérer nous faire redescendre de notre transe. Et enfin, après un temps en réalité bien plus long qu'il n'y parait, le drone meurt doucement et s'éteint accompagné d'un léger roulement de cymbales final. On a alors l'impression de s'éveiller d'un rêve, ou plutôt de revenir d'un long trip qui aura été ma foi fort agréable.
On aura beaucoup écrit et beaucoup parlé de ce disque atypique et unique, surtout après l'émergence et le relatif succès de groupes comme Sunn O))) et Boris, mais Earth 2 reste avant tout un superbe voyage. Et si le concept est intéressant, comme souvent dans les disques de musiques expérimentales, l'écoute se révèle formidable expérience sonore et introspective. Un disque hors norme, qui m'a clairement fait changer ma conception de la musique et de la richesse des émotions qui peuvent s'en dégager. Un disque intemporel dont l'obtention est plus que recommandée à tous les amoureux de son.


P.S. : Par contre un conseil, écoutez-le en format non compressé et sur un matos décent, afin d'en profiter pleinement. Et puis comme dirait l'autre, MAXIMUM VOLUME YIELDS MAXIMUM RESULTS !

Earth / Chronique LP > Extra-capsular extraction

earth_extra_capsular_extraction.jpg Extra capsular extraction. C'est avec ce petit bout d'album (3 chansons pour 32'24) et sur fond de déferlante grunge que Dylan Carlson va entamer en 1990 l'épopée Earth, écrivant ainsi la première page de ce qu'on appellera le drone (bourdon en anglais, pour une fois, une étiquette qui colle bien à la musique). Le drone. Musique expérimentale et exigeante s'il en est, constituée principalement de "vagues" sonique distordue à l'extrême et souvent très basses fréquences (comme c'est le cas ici). Musique hypnotique, minimaliste et répétitive, qui se ressent physiquement plus qu'elle ne s'écoute (quiconque a assisté à un concert de Sunn O))) verra sûrement très bien de quoi je veux parler), pouvant aussi bien provoquer une révélation mystique chez les uns qu'un rejet total chez les autres (ou un ennui profond, au choix). Le drone quoi.

C'est après le déménagement de Dylan Carlson pour Seattle que tout va réellement commencer pour Earth. Greg Babior et Slim Moon ne l'ayant pas suivi (ce dernier étant parti fonder le label Kill Rock Stars), l'ami Dylan débauche Dave Harwell à la basse et Joe Preston (Thrones, Melvins, High on Fire, Sunn O))).) à la basse et aux percussions et part s'enfermer en studio. Sont également invités à pousser une petite gueulante au passage, son ami Kurt Cobain (Nirvana) et la riot grrl Kelly Canary (Dickless). Au programme des réjouissances : l'enregistrement de deux morceaux (dont un en deux parties) parmi les plus lents et lourds jamais enregistrés. Et oui, nous ne sommes qu'en 1990 (bien que l'album ne sort qu'en 1991, chez le légendaire label SubPop) et ça fait déjà bien mal !

La marque de fabrique de ce que sera Earth par la suite est déjà là : quelques riffs simplissimes qui tournent en boucle, une ambiance shamanique, mystique et rituelle, hypnotique au possible, des rythmes d'une lenteur folle et le tout avec la classe et la lourdeur d'une procession de mammouths (et oui vous ne le saviez pas encore, mais c'est classe une procession de mammouths). Contrairement à d'autres adeptes des guitares et rythmiques plombées (je pense notamment à Neurosis ou Burning Witch), je ne trouve pas vraiment que la lourdeur soit ici perçue comme une agression physique ni comme un coup de marteau sur la tête. Une fois passées les trois premières minutes de "A bureaucratic desire for revenge part 1 (Eye surgery)" et après avoir bien pris conscience de sa présence, elle ne semble qu'un élément du paysage dressé par Carlson et sa bande. Elle est juste naturellement là, subie mais pas forcée, un peu comme si la gravité autour de nous avait doublé mais qu'on s'y acclimatait finalement assez bien. Puis on s'abandonne progressivement aux rythmiques tribales minimales et sporadiques de Joe Preston et à l'aspect mystique de cette première piste, quand tout à coup un douloureux et soudain blanc signe la fin de la première piste, nous sortant de notre confortable torpeur et nous laissant un cours instant tous nus, les tympans en manque. Commence alors "A bureaucratic desire for revenge part 2 (Concepts)" sur un ton qui, malgré les mêmes riffs familiers, semble plus épique et plus grave (la faute au blanc ?). Cette piste présente les seuls vocaux du disque, soient une espèce de mantra rampante déclamée par Cobain et Carlson sur laquelle viennent se poser les hurlement décharnés et flippants de Kelly Canary, ajoutant grandement au caractère inquiétant de l'ensemble. Quand s'achève cette seconde piste, on se sent tout de suite moins à l'aise. C'est alors que commence ce qui est à mon avis le chef d'oeuvre de cet album : "Ouroboros is broken (Problems)".

Ce titre culte, qui sera d'ailleurs repris sur l'album live Sunn amps and smashed guitars ainsi que sur l'album de reprises Hibernaculum, a tout d'abord un titre idéalement choisi. Ouroboros est le symbole du cycle et de l'infini, illustré par le symbole ancestral du serpent dévorant sa propre queue. Contrairement, aux deux pistes précédentes, il n'y a plus ici aucune variété dans les structures. Un riff pour le moins inquiétant est répété à l'infini, appuyé par des percussions de moins en moins fréquentes. Le mur de guitares est plus présent et dense que jamais, l'ensemble encore plus hypnotique. Puis, de manière extrêmement discrète et progressive, les percussions vont disparaître, le riff va se simplifier à outrance, petit à petit, pour finalement devenir un enchaînement de trois accords vrombissants sans qu'il ait été vraiment possible de noter le changement, trop absorbés que nous étions dans la mer de distorsion et de basses fréquences nous entourant de toute part. Pourtant le cycle est brisé, et seule la guitare de Carlson va continuer sa marche solitaire et douloureuse de près de dix minutes jusqu'à ce que la dernière goutte de ce magma sonore soit épuisée, jusqu'à ce que le morceau se soit consumé entièrement.

Comme vous l'avez compris, malgré la grande qualité des deux premières pistes, forts sympathiques au demeurant, "Ouroboros", de part son jusqu'auboutisme et son aura illuminée, les effaces de toute sa présence et les écrase de tout son poids. Ce titre nous montre également la direction vers laquelle Carlson allait emmener sa bête. Il pose clairement ici les bases de ce qui allait suivre, devait suivre ; un monstre faisant presque passer ce superbe premier effort pour un brouillon boiteux et maladroit : Earth 2 : Special low frequency version.