Dirty Deep - Shotgun wedding "Bottleneck" nous renvoie une évidence en pleine figure : sans introduction, directement en immersion au coeur des champs de coton de l'Amérique profonde, Dirty Deep ne peut être qu'américain et sa musique profondément ancrée dans la tradition locale... sauf que non, enfin pas sur ses papiers en tous cas. Artistiquement par contre, c'est une autre histoire et son cocktail blues/americana/rock/folk transpire la sincérité, l'authenticité de celui qui a été biberonné aux sons éraillés et fatalement inspirant des John Lee Hooker, Left Lane Cruiser, Seasick Steve et autres Ram Jam. "Low down", confirme ce que l'on pressentait : Victor, l'homme-orchestre solitaire derrière ce pseudo terriblement accrocheur, explore les sillons d'une musique qui évoque la terre, la sueur et les racines d'un pays-continent labouré par ses légendes vivantes ou disparues.

La suite de l'album, avec notamment le groovyssime et enlevé "Junky green truck" ou le désenchanté "Middle of nowhere", porteur d'une mélancolie aussi douloureusement bluesy qu'inexorablement fascinante, convoque les traditions les plus solidement ancrées dans la roche d'un folk crépusculaire et d'un rock - au sens large - organique, dépouillé mais fédérateur. Pour autant, Dirty Deep réussit le tour de force de la jouer old-school mais pas daté, voire même un tantinet moderne, notamment avec ce génial "Midnight bus" heavy-blues/hip-hop évoquant invariablement les atmosphères atypiques que l'on retrouve dans l'oeuvre littéraire d'Elmore Leonard (Mineurs en tête). Si bien que l'album constitue un voyage à travers la "vraie" Amérique, ancestrale et proche de la terre, du Kentucky redneck au Mississippi country d'un "Let it ride" outrageusement classieux. Mais jouissif, à l'image de ce "Til' the day I die" qui chante sa résignation en rencontrant une profondeur émotionnelle littéralement habitée.

On l'a compris, Shotgun wedding est à l'image de son titre un album qui ne raconte pas que de belles histoires finissant forcément bien mais plutôt la trajectoire aventureuse d'un musicien qui se fait l'écho d'un rêve américain n'étant pas forcément celui qu'on croit. Ou que l'on filme souvent pour le grand écran. Mais plutôt celui qui apporte aussi son lot de souffrances et de déceptions, de tristesse et de résignation. Toutes ces choses que le musicien met ici à nu, en musique, sans fausse pudeur mais avec ce soupçon d'âme qui rend celle-ci littéralement addictive ("Release me in dirty"). Entre le très sombre "John the revelator", ténébreux et classy "What the Hell" ou le plus électrisant "She's a devil", Dirty Deep livre ici un album racé se terminant de la même manière qu'il a commencé. Soit avec l'envie de retrouver la lumière après avoir traversé les ombres d'un passé révolu... mais trouvant également son écho dans un présent où l'on se rappelle que peu importe combien dure la nuit, le jour finit toujours pas se lever ("When the sun comes up"), ne serait-ce que pour marquer la naissance d'un vrai songwriter : Dirty Deep.