dEUS-How to replace it Neuf. C'est le nombre d'albums que compte l'un des plus emblématiques groupes de rock belge, j'ai nommé dEUS. Neuf albums depuis 1994, année marquant la sortie de ce toujours aussi bon Worst case scenario, dont on fêtera les 30 ans l'année prochaine. Que le temps passe vite ! Comme cette absence de sortie discographique de onze ans, depuis un certain Following sea, LP surprise à l'époque (devenu disque d'or en Belgique) apparu des mois après un Keep your close mi-figue, mi-raisin, ayant eu pour seul but de s'excuser auprès des fans de n'avoir "livré que 9 titres en deux ans". La quantité ne fait pas toujours la qualité, les fans de la première heure de dEUS sont, il me semble, bien placés pour le savoir. Car l'après Pocket revolution, excellent album témoin d'une période plutôt trouble pour les Belges, n'a pas toujours répondu aux attentes. La faute à des choix divers déjà relatés plusieurs fois sur nos pages, comme la volonté de surproduire les morceaux (notamment sur Vantage point), ou ce manque de flamboyance d'antan, d'inspirations, de ces étincelles électriques qui rendaient dEUS si unique et jouissif. Pourtant, certains artistes vous diront : "Mais tu ne peux pas t'imaginer à quel point il est difficile de ne pas se répéter". Ils n'ont sans doute pas tort.

How to replace it et le retour de la bande de Tom Barman est donc l'un des évènements musicaux le plus attendu de l'année. Pendant ces onze années, le groupe n'a pourtant pas vraiment chômé. Un best-of, Selected Songs : 1994-2014, est venu garnir leur discographie, plusieurs tournées réussies dont le Soft Electric Tour et celle des vingt ans de leur album culte Ideal crash, des sides projects (une expo photo et le projet jazz de Tom, TaxiWars, la carrière de producteur de Stéphane), le départ en 2017 puis le retour inattendu du guitariste Mauro Pawlowski, etc... Et puis, des évènements éprouvants plus personnels comme les divorces de Tom et Klass. Le chanteur-guitariste reconnait d'ailleurs que les traces laissées par son divorce et certains soucis traversés dans sa vie privée ont nourri l'écriture de How to replace it. Cela donne souvent de beaux résultats, soit dit en passant. L'ambition de dEUS avant de réaliser ce nouvel album n'était pas de faire table rase du passé mais de lui donner de la légèreté, du rythme, de la lumière de la spontanéité. Au départ, on a eu du mal à les croire, la durée du disque n'étant pas loin d'égaler l'heure avec ses douze titres, on s'attendait à quelque chose de dense voire répétitif. Puis, en le découvrant, en creusant un peu tout ça, on a commencé à avoir des clés de compréhension sur leurs envies initiales, et dans le même temps, s'est confirmé quelques craintes qu'on avait sur le quintet.

dEUS n'a pas perdu son inclination à donner du volume à ses compositions. Dès l'introductive "How to replace it", battant la mesure avec ses timbales reprises au thème "Aujourd'hui c'est toi" de la B.O d'"Un homme et une femme" de Claude Lelouch, les Anversois montrent leur amour pour la théâtralité et les arrangements. Cet album ne pouvait pas mieux commencer. L'efficace et mélodique hit "Must have been new" enchaîne sur la platine et sert de thérapie pour Tom, bien accompagné aux chœurs par un trio féminin soul jouant sur les émotions. Les choses commencent à être intéressantes avec "Man of the house". Moins radiophonique, ce titre nous cloue au sol avec cette basse électro et sa lourdeur rock imposante. C'est tout le contraire sur "1989" qui met en avant la sensualité et la légèreté sur des sonorités 80s. Menée par des synthés et un beat programmé, cette pop spatiale évoque la nostalgie à coup sûr, et même si ce morceau n'est pas le meilleur de l'album, il a le mérite d'introduire une petite respiration appréciable, d'autant plus avec l'agréable voix de Lies Lorquet de Mintzkov en accompagnement. "Faux bamboo" qui suit est peut-être le premier faux-pas de l'album, une chanson pop bien écrite mais un peu trop conventionnelle à mon goût.

C'est une ambiance feutrée comme on les aime que propose "Dream is a giver", nous rappelant le titre éponyme de Pocket revolution, avec moins de tension cependant et un flow haché pas si courant que ça chez dEUS. On poursuit avec un titre encore calme nommé "Pirates" qui est un peu calqué sur le même modèle que son prédécesseur, plus rythmé et plus dispensable. Bien que son final soit exaltant, on touche peut-être là le ventre mou du disque. Mais pas pour longtemps, car le morceau suivant, "Simple pleasures", est le plus captivant et ensorcelant du disque. C'est l'un de ses plus beaux bijoux car on y retrouve une ambiance aventureuse parfaite pour se trémousser, quelque part entre jazz et funk, et totalement libérée du carcan de la pop balisée où se refugiait la formation quelques titres auparavant. Les Belges reviennent en force à ce moment-là et lâchent un "Never get you high" doté d'une écriture pop sensuelle avec ses rythmes chaloupés, ses orchestrations et chœurs généreux mais pas trop. "Why think it over (Cadillac)", quant à lui, a tout du tube explosif. On n'est pas loin de certains morceaux d'Arcade Fire avec son refrain accrocheur et obsédant, et on perçoit le plaisir pris par le groupe lorsqu'il joue ce morceau. Du coup, c'est contagieux. Après ces réjouissances, les oreilles se reposent sur "Love breaks down", une ballade bouleversante qui ne peut que nous toucher.

Plus on se rapproche de la fin, plus How to replace it devient saisissant. On se dit alors que le final va être magistral. Cet épilogue se nomme "Le blues polaire", chanson parlée et chantée en français, qu'on peut instinctivement relier à "Quatre mains" du disque précédent. Sauf que là, rien de bien Gainsbourgrien à l'horizon. Ce titre construit comme un scénario de film de la Nouvelle Vague pourrait nous toucher aisément (le concept, le bon travail instrumental), mais son refrain peu inspiré me ramène à l'air de "Laisse-moi kiffer la vibe avec mon mec" de Diam's (qui elle-même l'a repiqué au ¿Quién será? de Pablo Beltran Ruiz). Et là c'est le drame, je suis alors dans l'incapacité d'écouter le morceau sans que mon cerveau soit pollué par cette immondice de la variété française. Cela n'enlève en rien la qualité de ce nouvel album, mais c'est dommage, surtout avec cette surprenante idée de finir avec une composition qui sort un peu du format des autres.

Il ne vous reste plus qu'à plonger dans ce How to replace it qui, en somme, fait remonter un peu le dEUS post-Pocket revolution dans notre estime. Si ces rois de la mélodie pop et du rythme savent y faire en la matière, peut-être faudrait-il être plus concis à l'avenir, proposer des formats plus court (35-40 min au lieu de 55) et être moins ambitieux. Après 11 ans d'absence, on comprend dans le même temps que dEUS ait eu le besoin de se rattraper vis-à-vis de ses adorateurs. Mon conseil au groupe : sortez vite un nouvel album !