Daria 8 ans se sont écoulés depuis Impossible colours et vous revoilà avec un nouvel album et un nouveau line-up. Pouvez-vous nous détailler un peu plus ce mercato et ce qui a motivé votre retour ?
Cam : Après la tournée d'Impossible colours, fin 2017, sans vraiment se concerter, on n'est pas retourné au local comme on faisait depuis plus de 15 ans. Cette pause s'est finalement étendue, chacun a vaqué à ses occupations, passions et familles et le temps a filé. À partir de 2021, on a commencé à se retrouver au local sans autre but précis que de jouer ensemble. Quelques nouvelles idées et anciennes laissées en chantier sont (re)venues naturellement, et on a commencé à se voir plus régulièrement. Donc, ce qui a motivé notre "retour" n'est guère autre chose que l'envie de se retrouver et de jouer ensemble, comme depuis toujours en fait. En 2023, durant l'enregistrement du disque, nos chemins se sont séparés avec Germain qui était avec nous depuis le début, pour des raisons de temps et de dispo. On a fini l'enregistrement du disque à trois et avons proposé assez simplement à Piwai de nous rejoindre par la suite.

La fin du groupe LANE dans lequel jouaient trois d'entre vous s'est faite de manière assez rapide et brutale en décembre 2021, avec la sortie posthume de Where things were (sous-titré Last sessions 11/21) en 2023. Il est possible d'en savoir davantage sur les raisons de ce split qui a surpris tout le monde, alors que le groupe recevait un très bon accueil, du public et des médias ?
Étienne : Effectivement, Pierre-Yves, Cam et moi jouions dans LANE auparavant. On s'est arrêté en 2021 pour plein de raisons, à la fois personnelles et conjoncturelles ... on sortait de 2 ans bloqués chez nous. Après coup, on réalise qu'on n'avait pas chômé non plus en 4 ans d'existence active, avec pas mal de concerts et plusieurs disques.

Est-ce que le chantier de Fall not a été mis en route tout de suite après le split ou bien est-ce quelque chose que vous aviez déjà envisagé en amont ? Le processus d'écriture a-t-il été compliqué ou bien au contraire plutôt fluide ?
Cam : On n'a pas vraiment réfléchi à quoi que ce soit en termes de chantier ou de calendrier. Comme évoqué plus haut, on rejouait déjà ensemble quand LANE existait encore, donc Daria faisait partie de nos projets en cours. Quand LANE s'est arrêté, on a eu de facto plus de temps, mais je pense que cet album aurait vu le jour à un moment donné dans tous les cas. Le processus d'écriture était cool car on n'avait aucune contrainte de temps spécifique, ou d'autre exigence que d'être contents des chansons qu'on écrivait.

On observe souvent que les groupes donnent tout sur leurs 2-3 premiers albums, puis sont un peu en mode pilote automatique, or pour moi qui vous suis depuis assez longtemps (2005 grâce à Fred de Ça Dégouline Dans Le Cornet), je trouve que c'est vraiment à partir d'Impossible colours (le 4ème) que vous avez pris du galon en termes de son et composition. Avez-vous le même ressenti, et le cas échéant, comment expliquez-vous cela ?
Cam : Non, pas complètement. Au début des années 2010, on a sorti notre deuxième album Open fire. Musicalement, le groupe commençait à prendre plus ses marques je trouve, mais c'est un disque qui est passé un peu sous les radars, malheureusement. En 2012, Red red nous a permis de faire connaître le groupe encore un peu plus, et on a beaucoup plus tourné aussi. Peut-être ne faut-il pas sous-estimer le fait que durant ces quelques années, jouer le type de rock qu'on fait et tourner était vraiment (!) compliqué, bien plus qu'aujourd'hui je trouve. Après, les concerts et les tournées ont permis au groupe de se développer et de devenir meilleur certainement, donc cela explique peut-être pourquoi Impossible colours ou Fall not résonnent différemment ou plus positivement chez certain.e.s.

Le songwriting s'est à nouveau affiné sur ce nouvel album, quelle est la recette magique, la routine des frères Belin pour être autant prolifiques dernièrement entre LANE, Do Not Machine et Daria à nouveau ?
Étienne : Honnêtement, il n'y a aucune recette. Au fond, le principal c'est que ça peut commencer individuellement, mais à la fin, on termine toujours par bosser collectivement une idée. Quel que soit le groupe, ça fonctionne toujours de la même manière je crois. On vient au local avec une idée parfois très floue ou parfois plus aboutie, que l'on fait tourner pour voir si ça prend, si ça amène de nouvelles idées jusqu'à converger vers ce qui peut ressembler à une chanson. Quand l'idée de départ est plus aboutie, ça commence par un truc enregistré en mode démo Garage band, ce qui permet parfois d'aller plus vite après, car les plans A, B, C et D ... on n'a jamais vu E (rires) sont déjà là !

À part l'album solo de J. Robbins, j'imagine, vous avez écouté quoi d'autre cette année qui vous a marqués ?
Cam : Cette année, j'ai beaucoup écouté un disque sorti en 2023, le dernier album de Feist, Multitudes.
Étienne : L'album Adria du groupe allemand Zahn. Je suis tombé dingue de ce disque.

Obligé de revenir sur le lien qui vous unit au leader culte de Jawbox, et qui semble inoxydable (j'ai le souvenir d'une reprise acoustique solo d'un morceau de Daria au festival à Sant-Feliu, ou encore quand vous avez fait son backing band en Europe et USA). Vous pouvez nous rappeler comment cela s'est construit et si d'autres collaborations particulières sont prévues ?
Cam : Tout ça, c'est grâce à Iain Burgess. Quand on avait 15 ans, on s'est payé 3 jours au studio Black Box à côté d'Angers où l'on a enregistré notre premier 5 titres avec Iain. Par la suite, Iain nous a fait découvrir Jawbox, notamment Novelty, le premier album qu'il avait enregistré avec eux. On a tout de suite adoré. En 2009, on a enregistré notre deuxième album de nouveau avec Iain au Black Box, mais on n'était pas totalement satisfaits des mixes et Iain a proposé d'envoyer tout ça à Jay à Baltimore. C'est donc Jay qui a mixé Open fire, et déjà par mail et téléphone on s'était vraiment bien entendus. En 2012, on a eu la chance de partager l'affiche du Sant Feliu Fest en Espagne où Jay jouait avec son groupe Office Of Future Plans, et c'était génial de se rencontrer et de passer du temps ensemble. À l'issue de ce week-end, on s'est dit qu'on ferait bien un split OOFP/Daria, qui a vu le jour l'année d'après en 2013. On a été jouer là-bas, ils sont venus jouer ici, on a enregistré Impossible colours à Baltimore dans le studio de Jay, on a retourné en Europe avec J. en solo acoustique pour la première partie des concerts, puis en 5ème membre de Daria et nous en backing band sur les deux titres de Jawbox qu'on jouait en rappel... et depuis on est resté très proches, c'est un ami. Des choses sont en préparation avec J. pour le printemps !

< image id="27705" align="right" />Pour autant, ce n'est pas lui qui s'est chargé de l'enregistrement du disque, mais toi Camille, fort de ses précédentes expériences. On n'est jamais mieux servi que par soi-même ou bien les contraintes économiques ont joué dans la balance ?
Cam : En effet, Jay a simplement mixé le disque. Le fait que je l'enregistre a plus été motivé par des raisons de temps et d'organisation puisqu'on a enregistré dans le courant de l'année 2023, au fil de l'eau et sur 3 sessions distinctes. Au final, c'était plus simple en termes de calendrier pour nous que de caler une semaine complète dans un studio et tout boucler dans ce temps imparti.

À ce propos, question un peu bateau mais vous n'avez pas l'impression d'être nés dans le mauvais pays ? Le style que vous jouez (entre indie-rock et post-hardcore) s'adresse plutôt à un public de niche, quand bien même il est parfaitement accessible à tous. Mais il y a bien trop de guitares pour beaucoup, tandis que ce n'est pas assez punk ou metal pour d'autres, et puis, il y a nous au milieu... qui ne sommes pas assez nombreux pour remplir une Boule Noire à Paris.
Étienne : Peut-être, peut-être pas... Disons qu'au cœur des années 2010, j'aurais volontiers répondu oui, mais je trouve que ça se tasse tout ça. L'indie-rock, ça finit par infuser aussi, peut-être via le post-punk et le post-hardcore très en vogue actuellement. Quant à la Boule Noire, la réalité c'est que le rendez-vous parisien est simplement repoussé car la sortie du disque a également été légèrement repoussée. Du coup, faire une release sans disque, c'est comme promener une laisse sans chien... Finalement, on jouera sur Paris en septembre 2025 !

Pour le label, on reste en famille (Twenty Something) et vous avez pris une agence de booking pour les concerts (Persona Grata). Ce sont des tâches plus fastidieuses dans la vie d'un groupe dont vous souhaitiez vous dispenser ? Quels sont les objectifs pour Daria avec cet album ?
Étienne : Oui, une grande fraternité nous entoure. Le label, c'est Eric Sourice et Frank Frejnik, et le tour, c'est Yves. Des gens de confiance, ultra concernés et tellement cools en même temps ! C'est super d'être entouré et soutenu comme ça par ces structures pros... Ça fait moins "indie" du coup. Toutefois, booker, on le fait en complément du taf de Yves... Avec les années, on a un réseau de potes, assos, lieux avec qui il est super facile de discuter directement sans intermédiaire.

S'il y avait un volume 4 de la compilationEmo glam connection en 2025, je pense que vous y auriez complètement votre place, au même titre que l'avait vos grands frères de Sexypop au début des années 2000. Avec quels autres groupes français en activité pourriez-vous la partager ?
Étienne : Ça rejoint le ressenti des années difficiles en 2010. Une décennie plus tard, pour arrondir, on trouve que le rock au sens large s'exprime bien en France. Peut-être moins dans la veine emo toutefois. Du coup, il y a plein de groupes qu'on adore et avec lesquels ça serait top de partager l'espace d'une compilation. Entre nous quatre, on peut citer pêle-mêle : It It Anita, Lysistrata, Cosse, Purrs, Johnny Mafia, Johnnie Carwash, Madam, The Eternal Youth, Turbo Panda, Burning Heads, Péniche, Fragile...

Avant Sexypop, il y a eu Les Thugs et le label/disquaire Black & Noir qui ont placé la ville d'Angers sur l'échiquier rock national voire mondial. Vous avez pu lire le livre de Patrick Foulhoux sur le sujet (Black & Noir - Enragez-vous !) ? Quelle est la vitalité actuelle de la scène angevine ?
Étienne : Oui, lu en une soirée. Chouette témoignage de l'engagement des principaux protagonistes de cette aventure ! Je le recommande ! La scène angevine est très active, quel que soit le style musical d'ailleurs : Restup Stav, Chahu pour les nouveaux arrivants, Lojo, Zenzile pour les déjà installés. J'observe qu'il y a aujourd'hui une génération, les 18-30 ans actuellement, qui est ultra active, ultra concernée et touche-à-tout. Tout ça au bénéfice de la musique au sens large, ce qui fait bien rayonner la scène angevine au niveau national.

Les chiens de Red red, le perroquet d'Impossible colours et maintenant le cheval de Fall not. Est-ce la fin d'une trilogie animale et sinon, à quoi peut-on s'attendre sur la pochette du prochain album ? Qu'est-ce qui vous a attirés dans ce dessin, l'avez-vous choisi avant ou après le titre de l'album, et pourquoi ce dernier ?
Cam : C'est vrai que c'est animalier tout ça, mais ça n'avait pas été réfléchi en amont. La peinture de la pochette est le travail d'un artiste qui s'appelle Kieran Antill. On est tombé dessus un peu par hasard et ça a fait mouche chez nous quatre. On lui a écrit pour savoir si on pouvait se servir de son œuvre, il a dit go, on ne s'est pas posé plus de questions. Le titre est venu dans les mêmes temps que le disque, on trouvait que ça sonnait bien et que ça résonnait de manière intéressante avec la peinture.

Camille, tu es professeur d'anglais dans la "vraie" vie, donc il y a un soin plus particulier accordé aux textes. En les parcourant rapidement, je n'ai pas forcément décelé de sous-textes politiques, à part peut-être dans "Water & sand". Où puises-tu ton inspiration et quels messages souhaites-tu porter ?
Cam : Pas sûr que ce soit une déformation professionnelle en fait. Rapidement dans l'évolution du groupe, et donc depuis des années, l'écriture, la musicalité et le sens des textes sont devenus des éléments très importants. Donner du fond, donner du sens tout en faisant du rock, ce n'est pas antinomique, discours politisé ou non d'ailleurs. Mais aujourd'hui, on a dépassé le cliché "yaourt franglais n'ayant guère de sens". Des groupes comme Tiny Voices, Birds In Row, Papier Tigre et plein d'autres peuvent se lire autant que s'écouter je trouve.
Sur Fall not, "Minor majority" et "Water & sand" sont des chansons dont les textes ont une portée ouvertement politique. Les idées pour les textes peuvent émaner du contexte national ou international de ces derniers mois ou être bien plus intimes. J'écris d'abord pour moi et pour la chanson, donc je ne pense pas qu'il y ait de messages portés ou brandis pour les gens par le groupe, mais il y a des thèmes abordés dans cet album qui peut-être résonneront chez certain.e.s : amour, résilience, incompréhension, bienveillance, égarement, dépression.

En regardant un peu dans le rétro, vous pouvez me faire votre top 5 des albums de Daria ?
Cam : Woooh difficile comme question ! Je ne saurais pas dire, c'est presque comme demander à des parents de choisir quel enfant ils préfèrent, impossible...
Étienne : Rhooo... Pas possible de choisir.

Le week-end prochain j'emmène mon grand-père de 90 ans voir Auxerre-Angers à l'Abbé Deschamps, un pronostic - 2-1 pour l'AJA pour moi - ou vous n'en avez rien à foot ?
Étienne : Certains sont bien foot et d'autres pas du tout ! Perso, je n'ai aucun attachement pour le foot de club, même celui d'Angers. Mais chauvin comme je suis, je pronostique 0-1 pour le SCO !
NB : Auxerre a gagné 1-0...

Quelle est la question que j'ai lamentablement oublié de poser ?
Étienne : Aucune, franchement super interview. Merci.
Mais comme on est bon client, on répond quand même à cette dernière question en ajoutant que pour ne pas nous mettre dans le mur, tu aurais pu nous demander notre top 5 des morceaux de Daria plutôt que le top des albums... Là on aurait sans doute pu répondre... Mais ça sera pour une prochaine fois (rires) !