Fortifem Quelle est votre formation ?
On a tous les deux fait un parcours dans des écoles d'art. Adrien a suivi un cursus d'Arts Appliqués à Troyes, mise à niveau, BTS avant de venir s'installer à Paris pour finir ses études aux Gobelins, en graphisme puis en design interactif. Jesse pour sa part est passé par une mise à niveau en arts appliqués à Nantes, un début de BTS en communication visuelle à Blois puis les Beaux-Arts de Caen en design graphique.

Quel est votre métier ?
En général, on répond simplement qu'on dessine. On se présente comme illustrateurs et graphistes, dans les faits, l'illustration occupe 75% de notre temps et le reste c'est du graphisme, de la mise en page, de la créations de supports de communication, déclinaisons d'affiches pour des tournées ou parfois de la création de logo... On aime alterner les univers et les champs d'actions, passer un matin à un design de merch pour un groupe de Black Metal et l'après-midi une couverture de roman un peu plus sage.

Quelles sont vos activités dans le monde de la musique ?
A défaut de savoir en faire, on est contents de pouvoir y contribuer visuellement. Ce qu'on a sûrement le plus fait c'est des visuels pour du merch, mais il y a aussi évidemment les pochettes d'albums, des posters pour des concerts, quelques logos de groupes, des identités pour des festivals musicaux, ou encore des collabs avec des labels. On a fait un peu d'orga de concerts aussi et de la curation, notamment pour la soirée Major Arcana au Trianon en 2019. Et puis tout dernièrement l'identité graphique de l'exposition Metal - Diabolus in Musica à la Philharmonie de Paris. On aime bien tenter de nouvelles choses et après une dizaine d'années dans ce champ d'activité c'est toujours drôle de se demander où nos projets passés peuvent nous mener dans le futur.

Pourquoi avez-vous créé Førtifem, vous aviez chacune une activité propre auparavant ? Seul on va plus vite, à deux on va plus loin ?
Au début de notre vie professionnelle, Adrien bossait en agence de publicité comme directeur artistique tandis que Jesse avait fait le choix dès le départ d'un travail de graphiste indépendant. Dans notre temps libre Adrien faisait déjà quelques illustrations pour la musique, des flyers ou des affiches pour des groupes, et Jesse des illustrations persos. Après le travail on se retrouvait régulièrement à passer des soirées à dessiner chacun de notre côté, jusqu'à ce qu'un ami, Olivier d'Eancre Studio, qui tenait un atelier de sérigraphie, Ttdmrt à l'époque, nous encourage à dessiner ensemble dans le cadre d'une exposition à Reims en février 2012. C'est à partir de ce jour-là qu'on a commencé à signer sous le même nom et à ne plus travailler l'un sans l'autre.

Metal diabolus in musica Metal diabolus in musica Quelle partie de votre job préférez-vous ?
La première chose qu'on valorise dans cette activité, c'est les rencontres. Artistes musicaux, artistes visuels, acteurs et actrices de la scène, orgas, responsables de labels ou amateurs, on a pu tisser des liens avec un nombre incalculable de personnes qui sont devenues des proches. La vie "de l'autre côté de la barrière", en amont des sorties et des événements, le fait de pouvoir contribuer à l'élaboration et finalement au succès d'un album, d'un concert ou d'un festival, et recevoir la satisfaction témoignée en retour c'est un plaisir inestimable. Autre chose c'est pouvoir, à un rythme assez intense, alterner des projets d'une grande variété, d'un bouquin sur le vin à un T-shirt de Black Metal à une illustration pour une asso, avec toujours le même amour du travail bien fait. On s'estime extrêmement chanceux en regardant l'immense spectre de cette première décennie de collaborations, et tous les souvenirs et les rencontres qu'on a pu faire.

Pourriez-vous travailler pour un groupe dont vous n'aimez pas la musique ? Ou un festival dont vous n'aimez pas les artistes à l'affiche ?
Il y a des genres musicaux qui nous parlent moins que d'autres évidemment, mais si on sent une passion et un univers intéressant pour lequel on peut faire des visuels cohérents et pertinents, c'est le principal. Au-delà de travailler pour "la musique" on travaille surtout avec des personnes et pour une bonne collaboration dont tout le monde est content, c'est le rapport humain qui prime. De la même façon si la musique d'un artiste nous parle mais qu'humainement ça ne fonctionne pas, on ne va pas travailler avec. On n'hésite jamais à dire si on pense qu'on n'est pas les bonnes personnes pour telle ou telle collab, et on veille à toujours recommander des artistes, pour ne pas laisser une demande dans l'impasse.
Pour un festival c'est un peu pareil, on va évidemment regarder les artistes qui y ont joué ou y joueront. Si le line-up nous plait et si on nous contacte pour créer une belle identité visuelle sur laquelle on peut s'amuser, on est toujours partants.

Le Hellfest c'est quoi pour vous ?
Le terme de pèlerinage revient toujours et effectivement, ça tourne toujours à la réunion d'amis. Quelle que soit l'affiche, quelle que soit la météo ou l'édition, le Hellfest, c'est surtout pour nous l'occasion de croiser plein d'amis qu'on voit rarement hors festivals. C'est toujours le même constat à chaque édition, on arrive avec notre petite liste de concerts à faire et à la fin du week-end on se rend compte qu'on a été qu'à une poignée parce qu'on était trop contents de croiser telle ou telle personne, de discuter avec, et qu'on n'a pas vu le temps passer.

Où peut-on vous trouver pendant le Hellfest ?
Pour les concerts qu'on va voir, il y a de fortes chances que ça se passe à la Warzone, la Valley ou la Temple. Après la plupart du temps, on papillonne assez souvent autour des stands de nos amis et collaborateurs à l'Extreme Market, nos sérigraphes de l'Atelier du Grand Chic avec qui on fait des affiches depuis 2016 pour le fest, les disquaires, les labels, les potes de Frozen Records ou de VadeRetro. On croise des potes tous les vingt pas, alors forcément, le planning est difficile à tenir.

Roadburn 2024 Un artiste avec qui vous aimeriez bosser ?
On a eu la chance de bosser avec un nombre incalculable de nos idoles parfois devenues nos amis. On sèche toujours un peu sur cette question. La première est extrêmement Metal mais pas vraiment, c'est Mylène Farmer. On aimerait bien rebosser avec Gojira en dehors du cadre du Hellfest. On a aussi plein de groupes qu'on aime et au service desquels on aimerait mettre nos mains gauches, de Dir en Grey à Depeche Mode, de Tyler the Creator à Lamp of Murmuur. Sinon, une réponse qui revient toujours, c'est dans le jeu vidéo, Hideo Kojima.

Ça rapporte ?
Si on faisait ça pour l'argent, on ferait autre chose ou on le ferait différemment. On a la chance d'arriver à pouvoir en vivre, bien que modestement, mais dans la musique comme dans l'édition, tout est extrêmement plafonné. Qu'il s'agisse du budget rassemblé par un petit groupe ou l'enveloppe accordée aux artistes par les gros groupes, la marge de manœuvre n'est jamais très grande. Par exemple : pour ne pas nommer un groupe allemand qui remplit les stades, le budget accordé pour un T-shirt quel qu'il soit est de 500 euros.
On a un style et des exigences qui rendent le moindre dessin extrêmement chronophage, quand d'autres illustrateurs ou graphistes auront une patte et une méthode de travail plus efficace. Pour autant, on ne peut pas facturer réellement au temps passé : c'est juste comme ça qu'on bosse. C'est aussi pour ça qu'on a choisi d'élargir notre champ d'activité en accueillant certaines collaborations plus rémunératrices, pour le luxe ou certains travaux d'édition, afin de préserver le plaisir et la passion de bosser dans la musique.

Comment êtes-vous entrés dans le monde du rock ?
Tous les deux au début de notre adolescence, au milieu des années 90. Un savant mélange de vidéos K7 de MTV2 qu'on s'échangeait entre potes, pour Adrien des K7 de Berurier Noir piquées à son grand frère et Jesse, des magazines de la Maison de la Presse de ses parents. On a tous les deux été plus du côté des chelous au lycée, Jesse passionné de J-Rock et de Visual Kei, et Adrien de Neo Metal, avec les premiers Korn et Slipknot.

Une anecdote sympa à nous raconter ?
Sur notre rencontre de chelous justement ! On s'est rencontrés sur Tumblr, le site de partage d'images. Sur nos pages respectives, on repostait des jpgs postés par l'autre. On s'est pour ainsi dire liés autour d'un goût commun pour une certaine esthétique. Après des mois à interagir en se piquant mutuellement des images, on a essayé de communiquer ensemble, et on a découvert un malentendu légendaire : Jesse pensait qu'Adrien était Suédois et Adrien pensait que Jesse était Anglais. Après quelques messages, on a capté qu'on était tous les deux Français, on s'est rencontrés, et le lendemain Jesse s'installait chez Adrien.

Votre coup de cœur musical du moment ?
Adrien passe un peu sa vie à creuser sur internet pour trouver des trésors, sur des forums russes et des blogs obscurs. Récemment, il est tombé sur Tristwch Y Fenywod, un trio de sorcières qui font un Post-Punk super folk et payen, chanté en gallois. Les autres sensations de cette fin d'été sont Golden age d'Acid Terror, des Biélorusses formidables qui oscillent entre Black Metal, Dungeon Synth et Rock Psyché, les titres bandcamp du projet Post Punk parisien Sad Madona, le Ethylocculisme de Trogne, du Black dégénéré et occulte français, et le premier album de Kólga, qui assume enfin que le Black Metal c'est avant tout de la surf music. Sinon, on écoute pas mal de K-pop, donc la playlist varie à un rythme plutôt intense.

SPA Hellfest Êtes-vous accro au web ?
On passe peut-être un peu trop de temps sur les réseaux sociaux mais je pense pas qu'on puisse dire qu'on soit accros, c'est juste un moyen très pratique de garder le contact avec des amis et d'échanger avec des artistes. En tant que créatifs indépendants on est un peu obligés d'être présents sur internet, de communiquer régulièrement sur notre travail pour montrer qu'on existe quoi ! Et c'est grâce à internet qu'on a pu créer des liens avec des artistes musicaux et visuels dont on apprécie le travail, ça rejoint la question sur ce qu'on apprécie le plus dans notre activité, sans le web certaines collaborations ou liens n'auraient probablement jamais pu exister.

À part le rock, vous avez d'autres passions ?
A côté de la musique nos deux grosses passions c'est la nourriture et les voyages. Notre rêve ça serait de passer notre temps à voyager : bosser le matin, arpenter les rues d'une ville inconnue l'après-midi et passer la soirée à manger tous les plats d'un stand de street food. On aime peut-être un peu trop Paris et les amis qu'on a ici pour sauter le pas.

Difficile de ne pas rajouter une question sur l'exposition qui se tient à la Philharmonie, vous n'avez pas travaillé à quatre mains mais à douze mains (Førtifem/deux scénographes/deux co-commissaires d'exposition) comment cela s'est passé ? Etes-vous fiers du résultat ? Comment s'est faite la mise en relation avec tous les acteurs de l'expo ?
On a été contacté sur le sujet par la Philharmonie en septembre 2022, sans trop savoir si c'était pour créer quelque chose dédié à l'expo où si ils souhaitaient qu'on présente des œuvres à l'intérieur de l'exposition. Quelques mois sont passés sans nouvelles et puis c'est des scénographes qui nous ont contactés, Achille Racine et Clémence La Sagna. Ils nous ont demandé si on connaissait ce projet d'exposition et si on voulait collaborer avec eux pour participer à l'appel d'offre de la Philharmonie pour travailler dessus. Leur proposition de scénographie était géniale, ce mélange d'inspirations religieuse et scénique qu'on retrouve dans l'exposition, on a accepté avec plaisir de se lancer dans cette aventure à leurs côtés. S'en est suivi un an et demi de préparation, de création et d'échanges au cours desquels on a créé des liens forts avec eux, l'équipe de la Philharmonie et surtout les deux co-commissaires, Milan Garcin et Corentin Charbonnier, qui sont vite devenus nos amis. C'était une expérience très intense, d'un côté on travaillait à la mise en lumière d'un sujet qu'on connait bien et qui nous passionne, mais en même temps, professionnellement on sortait de notre zone de confort, n'ayant jamais travaillé sur un projet d'une telle envergure.
Le montage de l'exposition a été un moment incroyable, quand on a vu les vitraux qu'on a dessiné prendre vie, entourés de toute cette collection d'objets chargés de l'histoire du Metal on a versé une petite larme d'émotion.
On a pu faire visiter l'expo à pas mal d'amis et aussi à nos parents et leur enthousiasme à la sortie est la plus belle récompense.

Vous vous imaginez où dans 15 ans ?
Oh c'est difficile. Le monde part tellement en vrille qu'on doute même qu'il tienne 15 ans de plus. On sera sûrement réfugiés dans une petite campagne au bout du monde quelque part en Asie ou en Amérique du Sud, à dessiner chez nous au calme avec nos chats, à jardiner ou à tenir un foodtruck ou un café la moitié du temps pour se maintenir à flot, tout ridés, tout tatoués et tout ensemble.