Jean Phi Appolo Jean Phi Appolo Quelle est ta formation ?
Je suis jardinier paysagiste de formation et comme beaucoup de musiciens j'ai du adapter mes mille métiers autour de ma passion.

Quel est ton métier ?
J'ai décidé d'être indépendant en 2007, en créant ma boîte d'audiovisuel pour développer les clips de rock dans la région Grand Est. Plus communément désigné par le terme de réalisateur je suis aussi scénariste, monteur, motion designer, pilote de drone homologué et vidéo-mapper. Ma boîte s'appelle Apollo77, en référence à l'aérospatial et à mon année de naissance.

Quelles sont tes activités dans le monde de la musique ?
J'ai joué de la guitare, composé et chanté dans Nothing To Prove entre 1996 et 2005, Wormachine, Kamizol-138, Suicide Levitation et enfin PrisonLife jusqu'à fin 2021. Plus en rapport avec mon métier actuel j'ai réalisé un docu sur l'ambiance, les origines et les mutations de la scène Rock au sens général dans le Grand Est entre les années 90 et 2000 : Les Disparus de la photo :
45 activistes de la scène locale interviewés, presque 3 ans de taf sur mes plages de temps libre. 1 double DVD avec d'un côté 2h de docu et de l'autre 1h45 d'archives vidéos des débuts d'une scène dont le contexte a entièrement disparu. Toujours disponible pour 20€. Docu perçu comme passéiste aux regard d'une majorité du public, questionnant pour une autre partie, consternant pour une minorité.
J'ai réalisé plus ou moins 100 clips de groupes de tous horizons entre 2007 et 2022. J'ai de moins en moins la possibilité et l'envie de le faire, par manque de temps et parce que j'ai constaté que beaucoup des demandes sont à base de copier-coller du style ou des scenari / ambiances d'autres groupes du même style. Ça me paraît difficile de m'exprimer si je n'ai pas un feu vert, à défaut d'une carte blanche, pour m'emparer de l'esprit du groupe et y intégrer mes propositions, mes envies et prendre des risques artistiques. Depuis 2021 nous sommes à la réalisation d'un documentaire qui se nomme Fanzinat : Histoires et passion des fanzines en France avec Guillaume Gwardeath ex-directeur de la Fanzinotheque de Poitiers et Laure Bessi réalisatrice de documentaires. J'ai l'intuition que les thèmes de ce nouveau film sont une extension du précédent.
Je lance un appel ici : en 2023 j'aimerais ne faire que du docu. J'ai déjà écrit 3 scripts autour des notions de culture underground, de liberté d'expression et des notions de science dans les films de pop culture entre 1980 et 2020. Puis un quatrième, sorte de suite des Disparus de la photo sur les questions liant les pratiques des groupes metal et les nouveaux outils de diffusion, tels que le streaming ou le revival du vinyle et des cassettes. Je pense me baser sur Nuclear Blast Europe et Jérôme Riera pour documenter ces notions, y adosser l'univers du Rap en parlant de ses évolutions. Je cherche des productrices et producteurs pour tourner ça entre 2023 et 2024, pour sorties enchaînées en 2025, en recrutant des équipes de tournage directement sur les lieux de tournage...

Ça rapporte ?
Le contexte économique est le suivant : je suis entreprise individuelle TNS, cela signifie que je ne suis pas salarié de ma boîte. Le jeu que te permet l'État c'est de faire un certain chiffre d'affaire, mais tout doit rester dans ta boîte. En premier je dois payer environ 5000€ de charges et cotisations par mois. Je recherche et accepte des chantiers qui sont rémunérateurs mais c'est beaucoup plus compliqué que ça en a l'air. Pour atteindre cette somme je travaille en permanence de 6 à 10 projets mensuels, je dois anticiper à 6 mois près mes commandes, mes projets et tous les impondérables qui te pleuvent sur la trogne toutes les 6 heures en moyenne. Pas de trésorerie d'avance, les prêts du matériel de captation à rembourser, la course à l'armement quand une partie de tes clients te demandent en 2010 si "c'est du HD ?" puis en 2020 "c'est du 4K?", puis depuis peu "c'est du 8K?", sans avoir aucune connaissance en la matière et tout ça pour des vidéos qui finiront par être lues sur des smartphones, tout en discutant d'autre chose en même temps. Le leasing de mon ordi, de mon smartphone, de ma voiture, les assurances liées à la pratique du drone, la mutuelle obligatoire, la compta etc.
Bref, est-ce que ça rapporte ? Suffisamment pour avoir une boîte qui tourne à l'équilibre, parce qu'aux manettes, y a un type qui a fait des métiers très pénibles, du bullshit job à tire-larigot, et que même dans des périodes comme en ce moment, à environ 100 heures hebdomadaires, sans jours de repos, se dit qu'il a quand même cette chance de n'avoir que l'autorité de clients multiples à gérer, et pas celle d'une entité commerciale sans queue ni tête qui déverse ses frustrations de ne pas atteindre des objectifs inatteignables, par effet de saturation du marché et des ressources humaines.
En synthèse je n'ai pas de temps libre pour dépenser l'argent que je n'ai pas. D'où l'idée de me rapprocher d'organismes de productions et changer de statut pour ne me consacrer plus qu'au documentaire et y donner tout le sens que je souhaite.
Opportunité inattendue dans ma vie : depuis septembre 2022 je transmets mes connaissances à l'IUT Infocom de Besançon à environ 200 étudiant.e.s com/pub/marketing. J'essaie d'y proposer des outils de détection de bullshit dans les médias, sur les réseaux sociaux et dans la vie en général. Je fais gaffe à ne pas faire de prosélytisme, alors je parle d'être de bons communicants en apportant un regard critique sur ce qu'on va partager, en sourçant et en documentant un maximum le matériau de base. Récemment je leur ai appris comment bien rédiger une chronique / critique de film/série. Au programme Children Of Men (Les Fils de l'Homme) d'Alfonso Cuarón 2005. Film dystopique qui essuya un échec commercial à sa sortie, peut-être trop en avance sur son temps, et qui trouve écho maintenant avec des thématiques tels que la démocratie - la dictature - la liberté individuelle/collective - les pandémies - la crise des migrants - la pénurie des ressources naturelles - les croyances.
Les réactions des étudiant.e.s m'apportent un nouvel angle de lecture du monde. Parfois je confirme certaines idées reçues, malheureusement et à d'autres moments, il m'enrichissent énormément avec la sensibilité qui est la leur, d'une génération née avec la connaissance encyclopédique à portée de doigts. J'adore cette partie de mon job qui me prend une bonne semaine par mois et dont le résultat est dispo sur Youtube.

Comment es-tu entré dans le monde du rock ?
Mon oncle Pierre avec des posters d'Iron Maiden et Motörhead plein sa chambre, les grands frères de mes potes et leurs potes bénéficiaient d'un lieu de concert et de répétitions, instigué par Joël Mercier élu à la culture dans la ville d'Audincourt débuts des années 90. Aux commandes un collectionneur peintre un peu déjanté, Laurent Methot et sa clique de jeunes objecteurs de conscience ont fait vivre ce lieu en particulier dans une scène émergente en lien avec le Punk / HxC. J'y ai vu mes premiers groupes tels que Madball, My Own Victim, The Spudmonsters à mes 18 ans. Avec mes amis on a tout de suite eu envie de passer du côté du public à celui de groupe. Associés à cette scène en ébullition et dont les principes de tolérance et d'altruisme donnaient du sens à ce que nous percevions de notre environnement social, les tables de distro offraient à nos cerveaux tout neufs des notions et idéaux tels que l'antispécisme, l'anti racisme, l'anti homophobie et quelques notions politiques dont nous nous emparions à la rédaction de nos paroles. Elles animent encore Buen, premier batteur de Nothing To Prove, Hawaii Samurai, The Irradiates, Contractions à travers son fanzine Slime. Et Lucien, second chanteur du groupe, plus tard officiant dans Lost Boys, devenu éditeur avec sa collection inédite de sérigraphies d'illustrations de romans américains dans le genre Noir. La violence de la musique associée à son message anti-conformiste, la subversion culturelle et la notion de "sous-culture" ne nous ont jamais quittés dans nos influences. À titre personnel, depuis 2010 je m'interroge beaucoup sur la scène Rock en général, notamment la scène metal qui à mon sens et selon mes goûts est devenue une sorte d'antithèse de ce qu'elle revendiquait à l'origine. La subversion, la contestation de l'autorité. Pour moi les paroles d'un groupe valent autant que la musique. Qu'elles aient une efficacité ou non dans une prise de conscience est difficile à établir, certes, mais que l'attention d'une majorité de mélomanes se tournent plus vers le spectacle que vers le concert me pose question. Les festivals pullulent, les petites scènes déclinent, les différentes échelles culturelles ne cohabitent que très péniblement et la micro diversité et les échanges entre les petites scènes et leurs publics ont énormément muté.

Une anecdote sympa à nous raconter ?
Avec PrisonLife j'avais une punchline en live sur un morceau qui s'appelle "You'll become the prey" qui était la suivante : "D'après mes calculs, d'ici à 4 ans, il n'y aura bientôt plus d'eau. Au lieu de vous écharper pour une bière au bar ce sera pour de l'eau potable. Bientôt vous découvrirez que la civilisation ne tient qu'à un fil d'eau du robinet et vous deviendrez des proies les uns pour les autres". Et là je pointais d'un doigt accusateur un costaud dans le public et je lui assénais : "À commencer par toi !" (air circonspect du malheureux) et là on envoyait la song. Ça nous faisait beaucoup marrer à l'époque (il y a à peine 2 ans), beaucoup moins maintenant. J'étais passionné de collapsologie, l'étude de l'effondrement des systèmes, beaucoup moins maintenant. J'aurais tendance à réviser beaucoup de mes points de vue faciles et confortables au profit de d'arguments plus constructifs et collectifs, cela ayant attrait à de véritables choix politiques plus qu'à une croyance ou un idéal aux contours flous, et me dépossédant à la longue de mes propres responsabilités individuelles. Suffisamment sympa comme anecdote ? (rires)

Ton coup de cœur musical du moment ?
Sans hésitation, Superheaven l'album Life in a jar. Typiquement un excellent mélange d'influences comme Alice In Chains, Soundgarden, et avec à peine de mauvaise foi Nirvana, avec un son granuleux puissant et nuancé. J'ai été également traversé par le dernier album des copains de Jack and the Bearded Fishermen Playfull winds et particulièrement le morceau "Beware of birds". Au moment où je vous parle je suis sur le montage de "Finger crossed" un autre excellent morceau qu'ils m'ont donné la chance de clipper.

Es-tu accro au web ?
Oui, dire le contraire serait pas sérieux, toutes les connaissances qui me consolident depuis 2005 viennent de là. Je n'arrive pas à être dans un état suffisamment propice à la lecture et je n'ai pas encore le temps pour ça. Ça viendra, j'en ai envie. Je fonctionne en mode créatif et par association d'idées. Je lis une phrase et automatiquement elle active une notion connexe et me distrait à tel point que je relis cette phrase en boucle sans la comprendre. Je referme le livre, de mes yeux coulent des larmes rouges. Ma chance c'est que je travaille seul et majoritairement à domicile donc pendant que je travaille... au derushage images en général, j'ingurgite environ 4 docus et/ou 8 podcasts ou conférences par jour. Ça me stimule et me garde éveillé et conscient.

À part le rock, tu as d'autres passions ?
Oui l'histoire des sciences, de la philosophie et associé à ça l'épistémologie et le développement de l'esprit critique. Le cinéma bien évidemment et le cross training et la course à pieds, sans ça la réponse à la question suivante serait : non.

Tu t'imagines dans 15 ans ?
Merci pour la tonalité de tes questions, qui laissent le champ libre à la divagation, parfois on se rend compte en écrivant qu'il faut se remette en question, d'autres fois, on se relit et on se dit qu'on est à minima tangible, peut-être cohérent. Au fond je ne sais pas ce que signifient l'une ou l'autre de ces postures, mais mon existence s'articule autour de ça, avec mes contradictions, mes élans de doutes, et le sens de la projection vers le futur.