Christophe Crenel Christophe Crenel Christophe, merci de nous accorder cette interview qui plus est au café de la Danse, là où tu exposes une partie des photos de ton livre. Première question généraliste pour pouvoir aborder ensuite le livre. Comment t'es tu mis à la photo, toi que nous connaissions plutôt de l'autre côté de la caméra en tant que présentateur, que ce soit télé ou radio?
La photo, cela m'est venu dès l'adolescence, il y a longtemps. J'étais vraiment un ado quand j'ai commencé à faire des images. C'était le club photo à Colombes, où j'ai grandi et donc plutôt avec de l'argentique à l'époque, à faire des photos des potes, à m'amuser avec les négatifs, à couper les négatifs et à faire des tirages avec, à utiliser les filtres, les filtres "coquins", ceux que l'on pouvait mettre sur le bout de l'objectif. Il y a un côté magique dans la photo. C'était d'autant plus le cas puisque qu'il y avait les bains avec les révélateurs, etc. J'avais acheté un petit bain, un petit labo portable en Yougoslavie quand on est était parti avec ma copine de l'époque. C'était un petit labo qui tenait vraiment dans une valise et je développais quelques unes de mes photos dans la salle de bains chez les parents. Et puis il y a un moment où il y avait trop de choses dans ma vie. Disons qu'à côté de ça, je faisais de la musique et puis, ma vie médiatique est arrivée en parallèle. De plus, il y a un moment où il se trouve que mon argentique s'est cassé et je n'en ai pas racheté d'autre car j'avais la musique qui prenait beaucoup de place. Et puis l'activité en radio, télé, etc. J'ai mis finalement la photo de côté pendant quinze ans au moins avant que ça refasse surface.

Et quel a été le déclic ? Sans mauvais jeu de mots ?
Le déclic de la reprise ? C'est au moment où, justement, j'ai arrêté mon groupe. Je voulais devenir les Beatles avec le groupe que j'avais quand on a commencé à faire de la musique. C'était ça ou rien. Il y a un moment où j'ai eu l'impression de pédaler vraiment dans la choucroute et j'ai eu envie de retrouver du plaisir dans la création.

On peut citer ton groupe c'est Amok.
Oui, c'était Amok. Donc je suis très fier des aventures qu'on a pu mener avec ce groupe. On a même fini par sortir un album après moult péripéties, mais sans avoir l'écho que je souhaitais donner à cette aventure et surtout, sans la possibilité même d'en vivre. C'était une période de changement de vie, à titre personnel en plus. Et je me suis dit "Arrête là, ce n'est plus du plaisir". Et à ce moment là, j'étais quand même très frustré de ne pas avoir d'activités créatrices, et cela me travaillait depuis un moment. Alors J'ai investi dans du matériel photo et cela est revenu très vite, c'était vraiment comme reprendre le vélo. Et puis après, j'ai commencé par ce que j'avais sous la main et j'ai toujours aimé aller dans les concerts. C'est vrai que je n'avais pas fait de photos pendant très longtemps. Mais je m'y suis remis très vite, par le live et par les portraits autour de moi, parce que j'ai toujours aimé, photographier l'humain. J'ai toujours aimé rencontrer les gens, faire des photos, à la fois les artistes, des potes, mes copines, etc. Cela a donné beaucoup de photos, de live et tout ça depuis une bonne quinzaine d'années.

Et quelle est la genèse de ce livre ? Dans un environnement numérique, et même si tu as commencé par l'argentique, à quel moment on se dit que l'on a envie de coucher les photos sur le papier ? Sachant que tu as déjà un certain nombre de photos imprimées à ton actif, je pense à Ravages notamment, Maud Lubeck, etc.
J'ai des photos de Maud Lubeck proches de sa pochette mais ce n'est pas moi qui l'ai réalisée. Par contre, j'ai fait plusieurs pochettes d'album. Mais cela s'est fait au fur et à mesure quand je me suis remis à faire de la photo plus sérieusement. Il a fallu que je retrouve un certain niveau et puis que je prenne en main les nouveaux outils. La post-production m'amuse aussi. Même si je ne suis pas un expert, en tout cas, j'aime bien travailler mes contrastes, les couleurs, etc. Épurer une image, parfois pour qu'elle soit encore plus efficace et iconique. Il y a juste un moment où c'était une évidence que j'avais beaucoup de matière. Le livre, ça prend beaucoup de temps mais c'était pour moi un objectif. J'ai toujours adoré l'idée que les photos puissent exister ailleurs que dans l'ordinateur. Donc, il y a un moment où je me suis dit que j'avais suffisamment de matière pour faire une thématique. Et après, le choix de la thématique n'a pas été simple. Le but n'était pas de faire un livre de photos de musique parmi tant d'autres, il fallait trouver une thématique.

Et que l'on retrouve ta patte, ton style...
Je me suis dit qu'il y avait une scène que j'avais beaucoup suivie, à la fois en tant que journaliste, puis ensuite comme photographe, c'étaient vraiment les talents émergents et beaucoup de talents français puisque j'ai été photographe officiel sur Rock en Seine, sur le FNAC Live et sur les Inouïs du Printemps de Bourges. Et en plus de ça, j'ai été le photographe officiel pendant quatre ans sur les scènes du Printemps de Bourges jusqu'au confinement. Je connais beaucoup cette scène et c'était pour moi la thématique idéale car il s'est passé des choses depuis dix ans. Et on est dans une période où tout va tellement vite que c'est peut-être bien de figer un peu les choses et pourquoi pas, de donner une chance aussi à ces artistes de devenir aussi iconiques que leurs aînés. De plus, il y a tellement de bouquins sur le Hip Hop, Bowie, etc. et il n'y a pas eu de mise en lumière de groupe de rock depuis peut-être Indochine, Louise Attaque ou Noir Désir. J'ai l'impression quand même que depuis 25 ans, puisque l'on parle d'artistes qui ont un peu de bouteille, il s'est passé des choses et qu'on peut leur donner une chance. L'image est un des moyens car ça a un énorme pouvoir surtout l'image arrêtée. Et voilà que ce bouquin, c'est peut-être aussi l'occasion d'appuyer sur Pause pour se dire "bon, arrêtons le zapping, la consommation au titre". Le streaming, c'est très bien mais est-ce qu'on ne peut pas se poser deux secondes ? Qu'est-ce qui s'est passé ces dernières années ? Et là, c'est un peu ça, un instantané, un panorama de ces 10 - 12 dernières années dans le monde de la musique en France. C'est ce que j'essayais de faire. Ce n'est pas exhaustif, il en manque et d'ailleurs, c'est pour ça que le bouquin aurait bien pu ne jamais se terminer. C'est qu'à chaque fois, il manque un artiste qu'il faudrait rajouter. Voilà, en tout cas, c'est ça l'idée du livre.

Tu as donc choisi une thématique large que tu as décidé de décliner ensuite en six ou sept sous thématiques. Peux-tu nous définir en une phrase la première thématique des "agités" pour un peu mettre l'eau à la bouche.
Les agités, c'est vraiment forcément ce qui est très sexy pour un photographe. Ce sont des artistes qui sont hyper extravertis, qui sont hauts en couleur, qui adorent jouer avec leur image. Donc ça veut dire que dans le bouquin, c'est Philippe Katerine, c'est Stupeflip, c'est Cadillac, son complice de Stupeflip, ce sont les Naïve New Beaters. Ce sont aussi des gens qui sont agités, qui aiment beaucoup jouer avec leur image sur scène. Ça, c'est pour les agités.

Ensuite, les Dreamers...
On parlait de Maud Lubeck avec ses vapoteuses au bout du bec. C'est vrai qu'elle est tout le temps avec et puis ça lui va tellement bien. Elle a un côté tellement nourri de musique classique et qui fait de la chanson. C'est tellement beau, gracieuse et élégante. Donc, quand en plus, elle tire sur sa vapoteuse et qu'elle est dans son nuage, je faisais une interview avec elle et je lui ai dit :" si nous faisions des photos avec ta vapoteuse ?". Donc, c'est vrai que j'avais vu qu'elle s'en était servi aussi pour pour la pochette. Et en effet, on a fait ces images, mais parmi les rêveurs, c'est quand même un courant fort en ce moment. Des gens, peut-être, qui veulent échapper à la difficile réalité par la musique. En tout cas, c'est de cette façon là que j'ai voulu aborder le thème. Donc, j'ai mis un Flavien Berger, Sébastien Tellier, Moodoïd et forcément Songe.

Effectivement Sônge travaille sur ce thème dans ses chansons et les retranscrit en couleurs.
En effet, comme tu dis, quand elle arrive avec ses lunettes qui éclairent ses yeux, avec sa capuche, sa scénographie est superbe. Voilà donc le rêve. Moi, ça me parle beaucoup. Ça me permet aussi de faire des images très épurées et aussi de jouer là dessus. Moodoïd, par exemple, avec son visage pailleté. Pour moi, c'est du bonheur. Forcément, c'est visuel. Et après, je renforce avec le travail de post prod, mais ce n'est pas spécialement des effets spéciaux dans tous les sens. C'est plutôt pousser les contrastes à certains endroits et faire en sorte qu'il y ait juste lui et cette espèce de banquette à l'arrière de la photo. J'ai simplement enlevé l'intensité de la lumière. J'aime bien, en effet, que les images soient très graphiques,

Christophe Crenel Christophe Crenel Il y a ensuite "Girl Power " une thématique sur les femmes alors que nous en trouvons dans les dreamers.
Je ne voulais pas qu'il y ait de ghettos non plus. si j'ai mis Girl power, c'est parce que non seulement ce sont les filles, mais surtout, c'est des filles qui ont, je trouve, à chaque fois défendu une identité, musicale parfois un message aussi. Aloïse Sauvage, qui m'a parlé dans ses chansons de son homosexualité, et Christine and The Queens, qui joue sur son androgynie, Mélissa Laveaux, avec son côté militant, très féministe. Voilà, c'est des femmes qui ont des choses à dire, alors ça se traduit pas forcément dans les textes, mais au moins dans l'attitude.

On va peut-être se faire un arrêt sur image sur cette photo de Jeanne Added qu'on retrouve en couverture. C'est la même ou pas ?
C'est la même, je l'ai juste inversée.

Et comment tu t'es arrêté sur le choix de cette photo pour la couverture ?
Ce que j'aime bien, c'est que Jeanne Added, c'est un personnage plein de paradoxes et très contrasté. Du coup, mon image est contrastée aussi, mais c'est quelqu'un qui est plein d'énergie. Avant de monter sur scène, elle fait comme si elle était une boxeuse. Et puis, sur scène, elle l'est aussi et elle fait des gestes un peu comme ça, un peu violent parfois. Et en même temps, il y a ce côté très rêveur, cette voix qui nous porte, etc.

Il y a une grande poésie et surtout, elle parait immense quand on la photographie et dès qu'on la retrouve dans les loges, elle fait toute timide...
Oui, il y a beaucoup d'artistes qui sont comme ça : timides dans le privé et qui, à côté de ça, sont incroyables sur scène. Pour moi, c'est presque une éruption volcanique et donc sur scène, elle est volcanique. Et en même temps, je poursuis l'analogie avec le volcan, elle a un côté aussi minéral dans le sens où il y a de la force en elle, il y a un truc un peu rude. Et puis, ce que j'aimais dans cette image, c'est que même si on ne voit quasiment rien d'elle, il y a un petit côté où on a un petit peu de travail à faire pour la comprendre, l'interpréter. La part d'imagination de la personne qui regarde est importante aussi...

Voilà donc ensuite "Les flamboyants"
Des gens dont on a l'impression qu'ils pourraient se consumer sur scène. Tellement explosifs. Ce qui est sympa dans un bouquin, c'est qu'on retrouve des moments un peu clés de certains artistes, je pense à Fauve et son concert à l'international. C'est là, au tout début et déjà, il y a une espèce de Fauve mania qui s'emballe. Immédiatement, je me rappelle une chaleur de fou et les gens connaissaient déjà par cœur les morceaux. Mais où je suis ? Qu'est-ce qui se passe ? C'était la folie furieuse. Il y avait tous les directeurs artistiques de maisons de disques...

Et cette consigne photo un peu folle où il ne fallait pas prendre les visages...
Oui, c'est vrai et donc cette photo, je l'aime beaucoup, elle montre un peu et il faut deviner le reste. Un peu comme la couverture. Je n'avais malheureusement pas assez de matière pour faire tout le livre sur ce principe-là. Mais j'aime bien ce genre de photos. Le public doit aussi à travailler sur la compréhension de la photo. C'est la force de la photo notamment par rapport à la vidéo. C'est que la photo est une image arrêtée, à toi de reconstituer un peu le contexte, au contraire de la vidéo qui te montre tout, montre trop et quelque part, tu es juste spectateur. Dans les flamboyants, il y a aussi The Do avec une photo particulière. C'était le moment où ils venaient de se séparer c'est leur dernière tournée. Ils ont quand même décidé de la faire et elle est un peu en mode guerrière. Pour Feu! Chatterton, c'est le début de l'ascension, mais au moment où ils sont au Zénith. C'est la dernière tournée avant le dernier album, et je croise Clément dans les couloirs du Zénith alors que j'étais là pour autre chose, il me dit "Oh putain, tu veux pas venir faire des photos ce soir ?". Il y en a quelques uns des flamboyants en France. Izia en fait partie aussi.

Brisa, Roché dans un autre registre, avec cette gémellité...
C'est un peu ma sorcière bien aimée Brisa. Je dis ça dans le sens ensorceleuse.

Ensuite, il y a Love Rock N Roll, mais rapidement.
C'est vrai que pour moi, le Rock N Roll a un côté dinosaure en ce moment, parce qu'il y a moins de rock, mais en même temps, on s'aperçoit que le rock fait beaucoup bouger. Les festivals et les concerts, c'est une valeur sûre. Et d'ailleurs, ce n'est pas un hasard si, même si en termes de diffusions radio, ils sont vraiment peu présents, dans les grands festivals, ils sont très présents parce qu'on sait que c'est une valeur sûre et qu'il va se passer des choses. En tant que photographe, pour moi, c'est un bonheur aussi. Je sais qu'il va se passer des choses. La nouvelle scène française, que ce soit Lysistrata, Pogo Car Crash Control, Last train... il y a quand même des jeunes groupes qui défendent l'histoire du rock. Je pense que de toute façon, c'est assez cyclique. Donc cette énergie, on en aura toujours besoin de toute façon.

Et tu termines par un autre style...
J'ai plutôt classé les photos par humeurs avec 2 ou 3 styles et à la fin, c'est "électro kids" la scène électro. Mais voilà, et c'est ce que j'explique aussi dans la présentation, pour moi, il y a une forme de poésie numérique à aller voir sur scène. C'est pas simplement des mecs qui jouent sur un même PC. Maintenant, c'est devenu une espèce de sons et lumières. Et avec tout ça, on part dans un réel spectacle. Et puis dans Justice, The Shoes, the Blaze Rone Kompromat... Il y a plein de gens intéressants. Et puis, la scène urbaine, c'est pas celle que j'ai le plus suivie, c'est clair. Mais voilà, il y a eux aussi qui cassent les codes d'une certaine façon.

Christophe Crenel -  Big bang Et d'ailleurs, j'étais un petit peu étonné mais ça, c'est mon passé historique rock métal, de voir Aya Nakamura dans ton livre, c'est quand même éloigné de ton terrain habituel.
Je me suis dit "c'est intéressant". Ah... ces couleurs, j'étais fou, un truc pas clair ! Et de voir que finalement, c'est une pop star parce que c'est un peu ça. Il n'y a pas qu'un phénomène pop autour d'elle. C'est vraiment un engouement des fans sur le premier rang. le côté pop star m'intéressait dans cette histoire et le côté icône j'avais aussi envie aussi de représenter plus de styles, pas uniquement le mec et sa culture rock qui ne défend que cette chapelle. J'ai voulu faire en sorte que tout le monde puisse un peu se dire "je ne suis pas exclu de l'histoire". Et ça aurait été un peu dommage, en parlant de la scène musicale française qu'il n'y ait pas de hip-hop.

Et le mot de la fin ?
Le mot de la fin ? Vive la photo et vive le live ! On en avait besoin, c'est de retour. Et pourquoi ? C'est génial de faire des photos de live et de faire des photos d'artistes. C'est parce qu'on vit deux fois plus les choses en étant photographe. Je trouve que moi qui suis passionné de musique, je suis à la fois spectateur d'un concert et en même temps, si on veut saisir les meilleurs instantanés, on est un peu obligé de se glisser dans la tête de l'artiste qui est sur scène. Donc, c'est comme si on vivait le concert en tant qu'artiste, donc on le vit deux fois plus fort, deux fois plus intensément. Et je suis évidemment ravi à la fois que les concerts reprennent et de pouvoir montrer un peu toute cette énergie qui nous a manqué depuis un an et demi.

Avec le parrainage aussi de Didier Varrot, qui a fait l'intro du livre, ce qui est quand même une belle reconnaissance.
Oui, parce que Didier a suivi tous ces artistes, donc ça me semblait logique de lui faire dire un mot là-dessus. Je l'ai côtoyé forcément pendant mes années à Radio France. Il m'a tendu la main à un moment puisque j'ai fait les émissions sur France Inter grâce à lui. C'était logique qu'il fasse les présentations dans le livre.