Peu d'artistes peuvent se targuer de vous avoir accompagnés tout au long d'une vie. C'est le cas de Da Silva, depuis ses débuts et même depuis la première chanson de son premier disque. "Les fêtes foraines" et leur phrase introductive : "on n'envisage pas grand-chose ensemble et c'est très bien", tel un "La première fois qu'Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide" de Louis Aragon, Da Silva se pose comme un poète du quotidien, direct sans fard. Tout au long de sa discographie, il a su grandir avec moi, poser des disques pour enfants, dont Le mystère des couleurs peu avant la naissance de ma fille et aborder plus ou moins tous les thèmes de la (ma ?) vie d'adulte dans sa discographie. Dans le précédent album, Da Silva disait "au revoir chagrin", voici qu'il fait le récit de sa vie imparfaite, comme pour répondre aux récentes accusations de perfectionnisme jusqu'au boutiste (euphémisme, quand tu nous tiens) lorsqu'il est aux côtés d'autres artistes. Toutes ces fêlures ne le fragilisent pas, ils le rendent plus humain. La biographie nous indique son "Degré de sophistication" mais qui n'est pas sans dommages collatéraux. Et la biographie de continuer, il "a tout sacrifié dans un seul fantasme, celui de la cristallisation de l'artiste". Ce concept stendhalien n'est pas sans séquelles car si "en un mot, il suffit de penser à une perfection pour la voir dans ce qu'on aime" issu de l'œuvre "De l'amour" de Stendhal, ceci entraine un investissement presque monastique dans la chose aimée. Et cet investissement, qui va de paire avec une immense fébrilité, rend cet artiste et ces productions indispensable au paysage dit de la "variété française".
Revenons aux fêtes foraines car ce thème est récurrent et ce cirque métaphysique ouvre avec ce titre "Quel est ce cirque dans ma tête ?". Car chez Da Silva, ils sont plusieurs dans sa tête, l'artiste peintre, qui fait les pochettes et les illustrations intérieurs, le compositeur, le chanteur et l'homme. Son perfectionnisme lui fait dire "je reviens de loin" mais il l'affirme au titre suivant qu'il est "encore là" et pour notre plus grand plaisir. L'artiste est toujours sur la corde mais à chaque vacillement, il rebondit et continue, peut-être plus par nécessité que par choix. La pochette décrit l'artiste face au public et on peut dire qu'il n'est pas représenté sous son plus beau jour : bleu de peur et au centre des attentions comme si cette position était imposée et non choisie. Si Da Silva aime les fêtes foraines et les cirques, ce n'est pas pour nous mener en bateau dans des attractions mièvres. Le vrai est là, mais il a besoin du tumulte et des scintillements de ces attractions pour ne pas être dévoilé de manière trop brute ou direct.
Si nous aimons Da Silva c'est parce qu'il parle des faiblesses qui sont les nôtres, pas de certitude, pas d'injonction, un homme face à la vie. Un homme représenté tel qu'il est, perfectible. Il conte la vie, la vraie et c'est pour cela qu'il continuera à nous accompagner.
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