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Conçu par Chino Moreno (Deftones, Team Sleep, Palms) et l'ex-Far Shaun Lopez (également musicien chez The Revolution Smile et producteur pour des tas d'autres dont les Deftones ou Senses Fail), Crosses, est un projet bicéphale basé dans la Cité des Anges et qui voit le jour courant 2011. Au départ, les intentions du duo sont claires : enregistrer à deux 16 titres de rock électronique en quelques jours/semaines afin de produire une série d'EPs devant sortir entre 2012 et 2014.
Un premier EP à l'été 2011 suivi d'un second, au tout début de l'année suivante et le plan initial semble alors se dérouler sans accroc sauf que Chino Moreno est un homme très occupé avec ses Deftones de toujours mais également son side-project Palms (en compagnie de 3 ex-Isis) et si un troisième EP est alors toujours prévu, les sorties d'albums de ses autres groupes occupent son agenda. Néanmoins, des singles LP limités voient le jour courant 2012 à l'occasion du traditionnel Records Store Day et un peu à la surprise générale, un troisième membre vient se greffer au duo en la personne de Chuck Doom (qui est alors un parfait inconnu). Jamais avare en surprise, alors que l'on attend ce fameux troisième EP, Moreno annonce que le groupe s'apprête à sortir un album fin 2013 (finalement ce sera début 2014) et confirme dans la foulée que Crosses a rejoint les rangs de la toute puissante écurie Sumerian Records (After the Burial, Animals As Leaders, Dillinger Escape Plan, Periphery, Stray From The Path...).

Crosses / Chronique LP > Goodnight, God bless, I love u, delete.

Crosses-Goodnight, God bless, I love U, delete La sortie d'un EP de Crosses et qui plus est d'un album est toujours un événement pour les fans de la scène de Sacramento, que cela soit Deftones, Far ou encore Will Haven que nous avons pu voir et photographier pour le live in Paris de ce numéro. Revenons un temps aux Deftones, il est connu que leur leader, Chino Moreno, s'occupe principalement de la mélodie alors que Stephen Carpenter se concentre davantage sur ses riffs punitifs. C'est grâce à cet antagonisme que la magie opère, ce qui rend les vétérans de Sactown à la fois brutaux et vaporeux. À quoi s'attendre, alors, lorsque Chino prend les rênes d'un autre "poney" lui qui a repris du The Cure ou The Smiths avec les Deftones (cf B-Sides and rarities) ? Les trois premiers EP ainsi que le premier album éponyme avaient donné une tendance; ces quatre disques avaient été publiés autour de la même période entre 2011 et 2014, laissant penser que le groupe allait être prolixe. L'annonce de la création de ce duo et la fréquence des sorties nous rappelaient que l'alliance de ces deux hommes (qui pour ne rien cacher aux lecteurs font partie de deux de mes groupes préférés) allait faire de ce "side poney" un mustang. D'autant plus qu'outre les tournées communes Deftones/Far, les deux s'étaient déjà retrouvés sur la même affiche quand Revolution Smile (de Shaun) avait ouvert avec A Perfect Circle pour Deftones en 2003 sur une tournée dont un concert à Paris auquel j'avais évidemment assisté. Les premiers efforts montraient les ambitions du duo en dehors de leur zone de confort habituelle mêlant dreampop, un brin d'alt-rock, un nuage métal industriel pour donner un ensemble assez atmosphérique qui aurait pu être la BO d'un film. Il a donc fallu presque attendre une décennie pour qu'une suite voit le jour. Décennie qui nous aurait presque fait oublier que le mot liberté est à la base de la création de ce duo.

Dès le premier titre, "Pleasure", la voix de Chino est reconnaissable accompagnée d'une musique lourde en synthétiseurs, qui remplacent les riffs lourds du platiste qui agrémentent habituellement les productions de Deftones. "Pleasure" est une excellente introduction à Goodnight, God bless, I love u, delete.. Sur "Invisible hands" Chino nous emporte dans un rollercoaster entre chant hurlé et ambiance atmosphérique. Le tout sur un rythme ultra syncopé. Les paroles sont également de la partie comme sur le très lent "Found" : On our way. Into the void. We enter the light. Chained together. On the brink. Our faith aligned. High on the tides. Lost forever. Le duo ne se limite à aucun style et c'est encore à contre-pied que l'auditeur se lance dans "Light as a feather" qui était avant-coureur de l'album accompagné d'un clip à mi-chemin entre la peau de John Malkovitch, Alice au pays des merveilles et une Mercredi évoluant dans un monde qui serait pour elle en négatif, tout en monochrome blanc. Là encore Moreno et Lopez nous emportent entre beats lourds et chant aérien sans un refrain très 80's. Le groupe surprend par les différents tempos et atmosphères qui varient d'un titre à l'autre. "Runner" nous renvoie de manière inévitable au phrasé de "Change" présent sur le poney blanc des Deftones. Rien de très surprenant -l'ensemble est excellent - jusqu'à "Big youth" et le premier featuring de l'album où le monde de Crosses s'ouvre à l'extérieur avec El-P de Run the Jewel et un phrasé rap qui se distingue par son rythme très lourd et ce double chant. Les deux collaborations sont de haut niveau, la seconde n'est autre que celle de Robert Smith qui apporte une touche subtile de drame gothique à "Girls float * Boys cry". Et il est indéniable que Chino a du profiter de ce moment en bon fan des Cure.

La nature caméléon de Crosses rend l'expérience d'écoute tout à fait agréable et dynamique. Il n'y a pas de lassitude à l'écoute de ce second disque. Certains clameront que Goodnight, God bless, I love u, delete. manque de cohérence mais cela serait oublier que Chino peut être touchant et que sur ce disque il a su se livrer sans réserve à ses instincts mélodiques.

Publié dans le Mag #58

Crosses / Chronique LP > Crosses

Crosses Il y a des artistes : écrivains, peintres, sculpteurs, musiciens... qui semblent avoir l'étonnante capacité de transformer tout ce qu'ils touchent en pépite. Apparemment Chino Moreno est de ceux-là. On ne présente plus celui qui est derrière le micro des Deftones, groupe à la discographie quasi irréprochable. Mais au-delà de son projet de toujours, lequel lui a apporté le succès et tout ce qui s'en est suivi, l'homme a toujours été fidèle à ses "frères"... même si également avide de nouvelles expériences, que ce soit avec l'éphémère mais très culte projet Team Sleep ou plus récemment le quartet Palms pour lequel il est entouré de trois ex-membres d'Isis. Et à chaque fois, même en variant les registres comme les collaborations, le résultat est le même : éclatant. Jusqu'à Crosses...

Un nouveau jouet pour le natif de Sacramento qui est ici accompagné de Shaun Lopez (ex-Far) et d'un illustre inconnu répondant au patronyme de Chuck Doom. On passe sur le petit imbroglio média ayant entouré la sortie (repoussée de quelques mois) de ce premier album éponyme (il devait y avoir uniquement des EPs puis finalement l'album... qui est la compilation de ceux-ci auxquels ont été ajoutés des inédits), pour se concentrer sur l'essentiel : la bombe qu'est Crosses. On pèse le mot. On le retire, on mesure son effet et puis on le remet dès lors qu'on appuie sur "play" et que résonnent les premières mesures de l'inaugural "This is a trick". Beats trip-hop/electro-pop magnétiques, ambiance un peu interlope, nébuleuse, comme figée hors du temps, la voix du Chino qui vient habiter le tout et notamment cette mélodie qui reste encore tapie dans l'ombre avant de doucement venir exploser à la face de l'auditeur. Impressionnant. On est déjà conquis.

Et encore plus quand "Telepathy" vient pleinement assumer le côté electro-pop un peu rétro, allant parfois marcher sur les mocassins d'un Trent Reznor (Nine Inch Nails) post-désintox. Mais avec ce qu'il faut de personnalité artistique pour rester plus que crédible. Sans doute afin de préparer le terrain au hit ultime qu'on n'attendait pas vraiment mais qui fait vibrer la platine : le tubesque "Bitches brew". Là plus de doute, Crosses tient l'un des climax de son album, entre une atmosphère sexy, une mélodie sensuelle à se damner, des arrangements d'une intensité renvoyant à ce que pouvait proposer Team Sleep et un refrain qui colle à la peau. Ou plus généralement tout ce qu'il trouve sur son chemin... à tel point qu'en décrocher relève quasiment du supplice que vient interrompre un "Thholyghst" aussi ténébreux qu'envoûtant puis ce "Trophy" aux textures sonores quasiment dub. Un faux-rythme plongeant l'auditoire dans un coma semi-conscient, le trio endort volontairement sa cible avant de lâcher une nouvelle torpille : "The epilogue" (qui n'est absolument pas celui de l'album). Quelques instants après "Bitches brew", Chino Moreno, Shaun Lopez et Chuck Doom atomisent toute velléité critique et livrent un nouveau hit en puissance.

Facile, décidément inspiré, le trio marche littéralement sur l'eau et, sur de son fait, enchaîne les pépites (le sensuel "Bermuda locket", l'addictif "Frontiers", "Nineteen ninety four" et sa mélancolie latente) et surtout ne rate pas grand chose. Sinon rien du tout. On se montrera plus mesuré sur deux/trois titres certes mais ce sont là surtout des interludes assurant toutefois le minimum syndical ("Nineteen eight seven", "Cross"). Surtout que le groupe n'en a pas encore terminé et remonte la rampe pour tutoyer de nouveau des sommets avec cet(te) "Option" qui n'est pas sans évoquer le meilleur de Team Sleep, un soupçon d'âme en plus ; ou les très pop mais redoutables en termes d'efficacité radiophonique "Blk stallion" et "Prurient". En guise de conclusion "Death bell" fait ce que Crosses maîtrise le mieux : respirer la classe et referme donc cet album qui marque la naissance d'un projet qui devrait faire cartonner en marquant durablement les esprits. Une évidence...