Crosses Il y a des artistes : écrivains, peintres, sculpteurs, musiciens... qui semblent avoir l'étonnante capacité de transformer tout ce qu'ils touchent en pépite. Apparemment Chino Moreno est de ceux-là. On ne présente plus celui qui est derrière le micro des Deftones, groupe à la discographie quasi irréprochable. Mais au-delà de son projet de toujours, lequel lui a apporté le succès et tout ce qui s'en est suivi, l'homme a toujours été fidèle à ses "frères"... même si également avide de nouvelles expériences, que ce soit avec l'éphémère mais très culte projet Team Sleep ou plus récemment le quartet Palms pour lequel il est entouré de trois ex-membres d'Isis. Et à chaque fois, même en variant les registres comme les collaborations, le résultat est le même : éclatant. Jusqu'à Crosses...

Un nouveau jouet pour le natif de Sacramento qui est ici accompagné de Shaun Lopez (ex-Far) et d'un illustre inconnu répondant au patronyme de Chuck Doom. On passe sur le petit imbroglio média ayant entouré la sortie (repoussée de quelques mois) de ce premier album éponyme (il devait y avoir uniquement des EPs puis finalement l'album... qui est la compilation de ceux-ci auxquels ont été ajoutés des inédits), pour se concentrer sur l'essentiel : la bombe qu'est Crosses. On pèse le mot. On le retire, on mesure son effet et puis on le remet dès lors qu'on appuie sur "play" et que résonnent les premières mesures de l'inaugural "This is a trick". Beats trip-hop/electro-pop magnétiques, ambiance un peu interlope, nébuleuse, comme figée hors du temps, la voix du Chino qui vient habiter le tout et notamment cette mélodie qui reste encore tapie dans l'ombre avant de doucement venir exploser à la face de l'auditeur. Impressionnant. On est déjà conquis.

Et encore plus quand "Telepathy" vient pleinement assumer le côté electro-pop un peu rétro, allant parfois marcher sur les mocassins d'un Trent Reznor (Nine Inch Nails) post-désintox. Mais avec ce qu'il faut de personnalité artistique pour rester plus que crédible. Sans doute afin de préparer le terrain au hit ultime qu'on n'attendait pas vraiment mais qui fait vibrer la platine : le tubesque "Bitches brew". Là plus de doute, Crosses tient l'un des climax de son album, entre une atmosphère sexy, une mélodie sensuelle à se damner, des arrangements d'une intensité renvoyant à ce que pouvait proposer Team Sleep et un refrain qui colle à la peau. Ou plus généralement tout ce qu'il trouve sur son chemin... à tel point qu'en décrocher relève quasiment du supplice que vient interrompre un "Thholyghst" aussi ténébreux qu'envoûtant puis ce "Trophy" aux textures sonores quasiment dub. Un faux-rythme plongeant l'auditoire dans un coma semi-conscient, le trio endort volontairement sa cible avant de lâcher une nouvelle torpille : "The epilogue" (qui n'est absolument pas celui de l'album). Quelques instants après "Bitches brew", Chino Moreno, Shaun Lopez et Chuck Doom atomisent toute velléité critique et livrent un nouveau hit en puissance.

Facile, décidément inspiré, le trio marche littéralement sur l'eau et, sur de son fait, enchaîne les pépites (le sensuel "Bermuda locket", l'addictif "Frontiers", "Nineteen ninety four" et sa mélancolie latente) et surtout ne rate pas grand chose. Sinon rien du tout. On se montrera plus mesuré sur deux/trois titres certes mais ce sont là surtout des interludes assurant toutefois le minimum syndical ("Nineteen eight seven", "Cross"). Surtout que le groupe n'en a pas encore terminé et remonte la rampe pour tutoyer de nouveau des sommets avec cet(te) "Option" qui n'est pas sans évoquer le meilleur de Team Sleep, un soupçon d'âme en plus ; ou les très pop mais redoutables en termes d'efficacité radiophonique "Blk stallion" et "Prurient". En guise de conclusion "Death bell" fait ce que Crosses maîtrise le mieux : respirer la classe et referme donc cet album qui marque la naissance d'un projet qui devrait faire cartonner en marquant durablement les esprits. Une évidence...