La sortie d'un EP de Crosses et qui plus est d'un album est toujours un événement pour les fans de la scène de Sacramento, que cela soit Deftones, Far ou encore Will Haven que nous avons pu voir et photographier pour le live in Paris de ce numéro. Revenons un temps aux Deftones, il est connu que leur leader, Chino Moreno, s'occupe principalement de la mélodie alors que Stephen Carpenter se concentre davantage sur ses riffs punitifs. C'est grâce à cet antagonisme que la magie opère, ce qui rend les vétérans de Sactown à la fois brutaux et vaporeux. À quoi s'attendre, alors, lorsque Chino prend les rênes d'un autre "poney" lui qui a repris du The Cure ou The Smiths avec les Deftones (cf B-Sides and rarities) ? Les trois premiers EP ainsi que le premier album éponyme avaient donné une tendance; ces quatre disques avaient été publiés autour de la même période entre 2011 et 2014, laissant penser que le groupe allait être prolixe. L'annonce de la création de ce duo et la fréquence des sorties nous rappelaient que l'alliance de ces deux hommes (qui pour ne rien cacher aux lecteurs font partie de deux de mes groupes préférés) allait faire de ce "side poney" un mustang. D'autant plus qu'outre les tournées communes Deftones/Far, les deux s'étaient déjà retrouvés sur la même affiche quand Revolution Smile (de Shaun) avait ouvert avec A Perfect Circle pour Deftones en 2003 sur une tournée dont un concert à Paris auquel j'avais évidemment assisté. Les premiers efforts montraient les ambitions du duo en dehors de leur zone de confort habituelle mêlant dreampop, un brin d'alt-rock, un nuage métal industriel pour donner un ensemble assez atmosphérique qui aurait pu être la BO d'un film. Il a donc fallu presque attendre une décennie pour qu'une suite voit le jour. Décennie qui nous aurait presque fait oublier que le mot liberté est à la base de la création de ce duo.
Dès le premier titre, "Pleasure", la voix de Chino est reconnaissable accompagnée d'une musique lourde en synthétiseurs, qui remplacent les riffs lourds du platiste qui agrémentent habituellement les productions de Deftones. "Pleasure" est une excellente introduction à Goodnight, God bless, I love u, delete.. Sur "Invisible hands" Chino nous emporte dans un rollercoaster entre chant hurlé et ambiance atmosphérique. Le tout sur un rythme ultra syncopé. Les paroles sont également de la partie comme sur le très lent "Found" : On our way. Into the void. We enter the light. Chained together. On the brink. Our faith aligned. High on the tides. Lost forever. Le duo ne se limite à aucun style et c'est encore à contre-pied que l'auditeur se lance dans "Light as a feather" qui était avant-coureur de l'album accompagné d'un clip à mi-chemin entre la peau de John Malkovitch, Alice au pays des merveilles et une Mercredi évoluant dans un monde qui serait pour elle en négatif, tout en monochrome blanc. Là encore Moreno et Lopez nous emportent entre beats lourds et chant aérien sans un refrain très 80's. Le groupe surprend par les différents tempos et atmosphères qui varient d'un titre à l'autre. "Runner" nous renvoie de manière inévitable au phrasé de "Change" présent sur le poney blanc des Deftones. Rien de très surprenant -l'ensemble est excellent - jusqu'à "Big youth" et le premier featuring de l'album où le monde de Crosses s'ouvre à l'extérieur avec El-P de Run the Jewel et un phrasé rap qui se distingue par son rythme très lourd et ce double chant. Les deux collaborations sont de haut niveau, la seconde n'est autre que celle de Robert Smith qui apporte une touche subtile de drame gothique à "Girls float * Boys cry". Et il est indéniable que Chino a du profiter de ce moment en bon fan des Cure.
La nature caméléon de Crosses rend l'expérience d'écoute tout à fait agréable et dynamique. Il n'y a pas de lassitude à l'écoute de ce second disque. Certains clameront que Goodnight, God bless, I love u, delete. manque de cohérence mais cela serait oublier que Chino peut être touchant et que sur ce disque il a su se livrer sans réserve à ses instincts mélodiques.
Publié dans le Mag #58
Re: Crosses - Goodnight, God bless, I love u, delete.
En effet, l'écoute est agréable de bout en bout avec toutefois des titres plus réussis que d'autres. Pour moi, le meilleur morceau reste “Invisible hand". Le feat avec El-P est intéressant aussi.
Ceci dit, je suis beaucoup plus fan de son autre projet, Team Sleep, moins electro et plus rock.
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Go Habs Go !