Parce qu'on a Conger ! Conger ! dans le collimateur depuis le passionnant At the corner of the world, parce qu'ils viennent de réitérer l'exploit de sortir un excellent album avec lequel ils confirment leur statut de groupe noise (mais pas que...) à part dans l'hexagone, on se devait de les passer aux grilles de l'interview... 2 congres versus un fenec, l'interview zoologique, c'est manifestement une première au W-fenec.
Peux-tu me rappeler comment s'est formé votre gang ? Aviez-vous d'autres formations avant Conger ! Conger ! ?
Patrice : Conger ! Conger ! s'est formé il y a 5 ans, en duo pendant une semaine (!) avec Didier Bautzmann à la guitare et Patrice de Bénédetti à la basse. Au départ, on voulait faire un duo de reprises mais dès la première répétition, on a fait l'inverse de ce que l'on s'était dit au téléphone. On s'est mis à composer autour de vieux riffs que l'on avait chacun dans sa besace. Didier savait déjà que Pierrot serait partant pour former un trio et voilà. J'ai commencé en 1986 avec des reprises des Bérus, puis dans Tarif Réduit de 1988 à 1998, Papilio Coon avec Didier à la guitare et Enema où j'ai retrouvé mon frère à la guitare de 1998 à 2003 environ, après plus rien en groupe mais j'ai composé pour de la danse, du théâtre et même un film jusqu'à reprendre en groupe avec les Congres.
Didier : Mon premier groupe était les Graveyard en 87, un groupe de pur thrash-métal. Ensuite, Papilio Coon avec mon copain Patrice au chant puis 2501 Project qui était la continuité de Papilio Coon mais sans mon copain.
At the corner of the world a été une sacrée claque pour beaucoup de monde. De votre coté, vous en êtes encore satisfaits ?
P : Oui car nos enregistrements reflètent toujours un instantané sans esbroufe d'une période du groupe. Et même si on referait volontiers quelques trucs par-ci par-là, ce n'est pas trop éloigné de ce qu'on voulait au départ,donc c'est un plaisir de le réécouter avec de la distance évidement. On se fixe sans arrêt des objectifs à atteindre, en prenant en compte les disponibilités de chacun et nos moyens financiers. Bref, on fait avec ce que l'on a.
D : A noter l'excellent travail de Rudy qui a produit l'album dans des conditions difficiles.
L'une de vos marques de fabrique, c'est votre identité éclatée. A l'écoute d'At the corner of the world, on avait l'impression que tout pouvait arriver, passer par exemple d'un morceau foncièrement noise à un autre foncièrement pop et cette impression se renforce encore avec ZAAD qui brasse les genres tout en restant diablement cohérent. C'est une orientation totalement consciente ou ça s'impose simplement à vous lors du processus de composition, par la somme de vos individualités/influences ? D'ailleurs, quelles étaient vos influences quand vous avez commencé les Conger ! Conger ! ?
P : Nos influences individuelles sont assez éloignées, même si on a quelques disques et groupes en commun, on aime tous les trois des choses assez variées. On ne s'est pas posé la question de savoir ce que l'on allait faire mais plutôt comment cela allait sonner, après s'être demandé qui jouerait de quoi, car Didier et moi ne savions pas vraiment au départ, Pierrot c'était réglé, ce serait la guitare, Didier a pris ma basse et j'avais des éléments de batterie et sans rien calculer, on s'y est mis, avec comme obsession de s'atteler au son et non au style, on avait envie de jouer ensemble. Pour faire quoi, on s'en foutait royalement, par contre on voulait que quelle que soit les orientations des morceaux, on puisse nous identifier immédiatement, alors au lieu de s'adapter aux morceaux, c'était aux morceaux de s'adapter à nous. Chacun fait qu'il veut chez les Congres mais il faut la caution des deux autres en termes de structures, textures et thématiques. Il n'y a pas non plus de règle de composition, on peut partir d'un riff guitare, basse, une paterne de batterie, des morceaux tout fait de l'un d'entre nous, on peut passer derrière chaque instrument pour montrer à l'autre quoi faire, une fois qu'une ébauche est là, on essaye d'aller jusqu'au bout de la direction qu'elle semble prendre. Pour les textes c'est différent, pour l'instant, car ça peut changer, Didier commence a écrire, je les tire des cahiers que je remplis en tournée.
D : Le projet du début si je me souviens bien était "on fait ce qu'on veut" mais en son clair ! Même si ça n'a pas duré longtemps, je pense qu'on a trouvé notre son grâce à ce postulat de départ et on a composé des morceaux complètement différents de ce qu'on avait l'habitude de faire.
Après le génocide rwandais sur At the corner of the world, c'est votre ville, Marseille, qui est cette fois-ci traitée. Comment le sujet s'est-il imposé ? Vous le ressentez au quotidien ce climat qui s'est aggravé ou c'est juste un truc de médias qui déforment la réalité à des fins anxiogènes ?
P : Ça me titillait depuis un moment car cela fait un bout de temps que l'on sent ici les choses se dégrader. Puis à peine At the corner of the world sorti, j'ai lu un matin qu'un ado de 16 ans avait été abattu et un de 11 ans blessé d'une balle dans le dos, en entendant les ''on s'en fout, tant qu'ils se tuent entre eux'' au bar du coin... Bref, après avoir parlé des enfants soldats de l'autre bout du monde, il fallait parler de ceux d'ici. Puis, on ne trouvait plus la liste des règlements de compte sur internet, ils l'avaient supprimée pendant un temps, j'avais déjà tout récolté et je voulais qu'il en reste une trace, quitte à faire un album juste pour l'imprimer dans l'insert. Car notre cher maire, Jean-Claude Gaudin a une fâcheuse tendance à l'amnésie. Ce qui me choque le plus, ce ne sont pas les images spectaculaires, c'est de voir des minots de 10 ans regarder des minots à peine plus âgés qu'eux allongés par terre. Là, tu te dis que c'est foutu pour une génération de plus. Ma fille a 8 ans, elle habite à St-Marcel, elle a déjà vu une scène de crime, avec police scientifique, une descente de police pour embarquer le père d'une de ses copines... Bref on parle de ZAAD ensemble, des paroles, du thème, ce n'est pas un album juste glauque, ZAAD est un prétexte pour libérer une parole. Au fait ZAAD, cela veut dire graine, semence.
Avec ZAAD, en plus d'être de livrer un excellent album qui surpasse le précédent, vous réussissez l'exploit d'arriver à rendre un titre disco totalement classe. C'est quoi la genèse de ce morceau ? Globalement, vous avez mis combien de temps à le composer ce disque ?
P : Ah ah ah, ce titre ne fait pas l'unanimité dans les chros du disque ! Je ne me souviens même plus trop mais j'avais posé deux cymbales qui traînaient dans le local sur la caisse claire et le tom basse pour taper le rythme, je me suis dis "Yes, ca sonne comme du Distorted Pony !" Puis Didier a posé sa ligne de basse, c'était foutu... Vu que je ne pouvais plus gueuler dessus, j'ai posé une voix à la New Order et Pierrot la gratte.
D : Je crois qu'en tout, ZAAD s'est fait en un an.
La pochette de ZAAD est vraiment classe et marque les esprits. Qui en est responsable Peux-tu m'expliquer le choix de Zidane que l'on reconnaît en filigrane ?
P : Cette pochette est polysémique, tout le monde y voit ce qu'il veut et le rattache ou pas au thème du disque, et c'est très bien comme ça, je l'ai choisi car qui nous dit aujourd'hui ce qu'aurait devenir un minot de 16 ans abattu ? Peut-être un honnête homme et pourquoi pas un joueur de foot qui embrasserait un jour le maillot de l'équipe de France ? Avec une balle dans le dos, la question ne se pose plus. C'est Roland de Katatak (Berline0.33, Pylone, Poutre...) qui a customisé Zidane avec un programme gratuit sur le net, on a adoré le résultat. Puis, il n'est pas visible du premier coup d'oeil, un peu comme notre musique, il faut du temps pour y voir clair !
En live, ça va se répercuter comment pour ZAAD ? Pour moi, cet album, c'est ni plus ni moins qu'un seul morceau à étapes et à mon humble avis, il va être plutôt difficile de les extirper de ce tout pour les intégrer à un set.
P : C'est vrai qu'on mélangeait dans le set les morceaux d'At the corner of the world comme on le voulait, Pour ZAAD, c'est plus difficile, alors on le joue tel quel, dans l'ordre du disque, quasiment tout enchaîné, avec une pause correspondant à la face A et B du LP.
Patrice, en parallèle aux Congres, je sais que tu es investi dans d'autres activités, peux-tu m'en parler ?
P : Je suis danseur, co-directeur d'une compagnie de danse en espace public. Je me suis remis depuis peu à la composition pour du théâtre de rue car c'est de plus en plus dur de n'avoir qu'une activité. On marche avec ma compagnie sans subvention et on fonctionne qu'en co-prod, mais vu qu'on a agrandi l'équipe, ça ne marche plus, on est obligé de trouver d'autres façons de fonctionner. Pour rester sur ZAAD, j'ai donné des ateliers de danse contemporaine à Marseille en 2005-2006 dans les quartiers nord de la ville, dans le collège où j'ai été scolarisé ado. Passé le round d'observation, un danseur est forcément un pédé, et une fois le boulot commencé sur des trucs assez physiques, ajusté à l'énergie déployée à me chambrer, je voyais des minots de 10 ans tomber comme des mouches, épuisés, j'en parle au prof de sport qui me dit que c'est trop pour eux, que la plupart ne font que 3 repas par semaine... Tout ça pour dire que Marseille est un terrain tristement favorable au climat de merde actuel depuis bien plus longtemps que le 26 janvier 2010, date du premier règlement de compte comptabilisé par la presse.
Ils écoutent quoi en ce moment les Congres ? Vous avez quelques groupes marseillais à conseiller à nos lecteurs ?
P En ce moment, en dehors de mes mentors que sont Fugazi, Joy Division, The Ex, Shellac, Les Thugs, Today Is The Day, Tom Waits, Léo Ferré ou Coltrane je réécoute des vieux trucs genre Creeps On Candy, Sloy, Condense, des nouveaux comme Traams, Boduf Songs, le dernier Nick Cave, Poutre, Baxter Stockman, Scott Kelly,... Il y en a trop ! J'écoute au moins 4 albums par jour. Ah, j'attends le dernier Notwist comme le messie !
D : Ed wood JR ! Wovenhand ! Ventura ! Motörhead ! The Ex ! Motörhead ! Voivod ! Phobos et un peu de Motörhead. Et pour les groupes marseillais : Binaire, 25, Ntwin, Kill The Thrill, Silver Galery, Garces Kelly, Electrolux,
Je vous laisse le mot de la fin :
P : Merci à tous ceux qui nous soutiennent depuis le début, en nous faisant jouer, en venant à nos concerts, en achetant nos CDR, nos albums, à nos familles qui nous supportent et à toi Dav !
Distribution de mercis : Patrice, Didier, les Conger ! Conger !, la Duvel...