À l'heure des bilans de fin d'année, des "tops" qui reviennent comme un marronnier, voici non pas mon album "top" de l'année mais bien l'album qui m'a fait le plus vibrer et qui m'a le plus touché. Un album comme il y en a peu et qui semble vouloir vous coller à la peau comme pour vous accompagner sur les 20 prochaines années. C'est étonnant car la découverte de ce disque a été ponctuée de petites choses indicibles, invisibles comme une force d'attraction. Alors que nous échangions avec un membre de la rédaction sur le caractère scolaire voire parfois anti-artistique des tops de fin d'année, Claire poste un message sur les réseaux en indiquant qu'elle ne fait pas la musique pour concourir contre d'autres artistes et ce, en réaction à sa sélection pour les Inouïs du Printemps de Bourges. Elle conclut son message par le fait qu'elle "refuse toujours de compter les points au ping-pong" ... La conversation sur les "tops" était avec un ami pongiste, certains pourront croire que c'est le hasard, mais cela ne fait que renforcer l'attrait pour cet album. Autre chose étonnante, la façon dont j'ai découvert ce disque. Vincent David, croisé sur les routes avec Joseph d'Anvers mais ayant officié avec Olivia Ruiz, Miossec ou encore Deportivo (c'est dire la valeur du guitariste) a posté une story Instagram de "Claire you don't want to be saved", et pour une fois, je ne suis pas en silencieux/vibreur et j'écoute cet extrait et cette chanson tout en anglais se termine sur un "Claire tu ne veux pas être sauvée" qui transperce presque le cœur. Je me tourne vers Vincent, lui demande s'il accompagne bientôt sur scène la chanteuse et il me répond que c'est simplement un coup de cœur qu'il partage. Grand bien lui a fait.
Avant de rentrer dans le dur de la chronique, il me vient à l'esprit cette citation d'Apollinaire La beauté n'est la plupart du temps que la simplicité. Et c'est bien le mot beauté qui ressort de ce LP. Ce qui touche dans ces "territoires émotionnels", c'est cette simplicité, les chansons composées en guitare (nylon)/voix sont sublimées par quelques arrangements distillés avec soin et parcimonie. Tout cela est en partie l'œuvre d'un homme qui n'est pas inconnu dans les pages de notre magazine, Fink. Fink a su magnifier les compositions en proposant des arrangements en tant que co-responsable de la réalisation, qui a joué sur certains titres et a également mixé l'album. Rarement une artiste française avait su officier dans ce genre musical sans se rétamer et sombrer dans la variété maniérée. Je ne vois que Pauline Drand et son magistral I see beauty, poèmes de Karen Dalton mis en musique, qui a malheureusement disparu du paysage musical. Les chansons sont toutes en anglais, et comme elles sont de nature folk, il est inévitable de ne pas penser à Alela Diane, Alina Hardin, Mariee Sioux ou encore Cat Power. Ce qui frappe, c'est le caractère intimiste des chansons, toutes enregistrées entre Berlin ou encore Lyon dans des maisons ou des chambres à coucher. La force de Claire est de rendre le naturel, surnaturel. Cet album aurait pu sortir il y a 50 ans tant son caractère intemporel est présent. Ce ne peut pas être simplement "un des meilleurs albums de 2022" - pour moi - au risque de le ranger dès les premiers mois de 2023 sur une étagère, c'est un journal intime qui nous invite à le relire pour redécouvrir de nouvelles choses ou tout simplement retrouver le confort d'un cocon.
Il ressort que cet album est superbe, que Claire est habitée et pour l'avoir enfin vue sur scène, il y a une sorte de silence monacal dans la salle quand les chansons sont jouées. Cet album prend de plus en plus d'ampleur à chaque écoute. Et l'auditeur y revient ne serait-ce que pour écouter cette seule phrase en français "Claire tu ne veux pas être sauvée" du premier single qui est si singulière au milieu de cet album en anglais. Un album magistral, Fink ne s'est pas trompé sur cette superbe artiste et on se prend à rêver d'une tournée commune. Les notes de l'album se terminent par "such a journey making this album" et nous sommes reconnaissants de pouvoir participer à ce voyage à ses côtes.
Publié dans le Mag #54