Chez les musiciens, il y a deux écoles pour lancer un morceau binaire : le fameux "1, 2, 3, 4" qu'adore nous rappeler Gui de Champi dans ses chroniques pour signifier que le morceau va envoyer de la sauvagerie punk, et le "3, 4", une manière de gagner du temps qu'utiliserait, d'après le titre de son dernier album, les Brestois de Chafouin. En vérité, je n'en sais rien, et on s'en fout un peu. Je cherchais juste un moyen de bien débuter cet article, je suis un peu déçu de moi là. Puis, entre temps, mon cerveau vient de buguer sur l'article défini "les" que je viens d'utiliser pour qualifier Chafouin. La première fois que j'ai entendu parlé/vu ce groupe, il s'agissait d'une sorte d'homme-orchestre derrière une batterie qui grattouillait sa guitare et s'amusait à faire des boucles avec ses machines. C'était à La Ferme Électrique, en 2017, et je me souviens que le type était un peu une attraction ce jour-là. La question c'est : s'agit-il du même projet ? Ce type, en a-t'il eu marre de se faire comparer à Rémy Bricka, bien qu'il n'ait pas le même costume ? Alors, pour W-Fenec Magazine, j'ai mené mon enquête sur le terrain lors d'une soirée En Veux-Tu ? En V'là ! à Paris. Il y a de sacrés spécialistes en matière de groupes chelous dans ce terrier. Mais j'étais circonspect à l'idée de trouver rapidement ma réponse, puisque c'était un évènement un peu metal déglingo avec Ni et Odd Fiction, mais une personne bien attentionnée qui attendait pour pisser m'a répondu ceci, tout en se retenant : "Les Brestois ? Oui, c'est bien le même groupe. De rien".
Incroyable, cette manière de duper le monde. Même le clip d'"Ex choco" - au passage, excellent titre de ce Trois, quatre - est une escroquerie. Je vous raconte ça fissa : les gars ont utilisé un live de Rage Against The Machine en l'intitulant "Chafouin - Cover by Rage Against The Machine". Du pur génie ! Attendez, vous en voulez une autre ? OK, les gars martèlent "C'est déjà, c'est déjà la fin, c'est déjà la fin... du monde" alors qu'on est seulement au quatrième morceau... Vous ne pouvez pas attendre logiquement l'épilogue de votre œuvre avant de nous balancer ça à la tronche ? Et s'il n'y avait que ça. Bref, je vais leur pardonner et reprendre un peu mon sérieux, car en tout honnêteté, ce Trois, quatre est tout bonnement une réussite, que dis-je, une tuerie ! Tu l'auras compris, Chafouin est... chafouin. Quand tu tombes sur ce genre d'énergumènes, il ne faut pas s'attendre à une musique aux contours soigneusement délimités. Le rock des Brestois nous emmène aux quatre coins de la carte des styles : noise, math-rock, pop, post-hardcore, minimalisme, progressif, post-rock, krautrock, electro... C'est simple, ils prennent tout ce qu'ils peuvent en matière d'influences pour en faire une décoction unique qui balance le chaud et le froid, agite les sens en permanence, inspire la joie et la tristesse à la fois. Mais toujours avec un humour débordant comme ce "Pitch de rêve" sur lequel une voix pitchée en aigu, façon ballon d'hélium, chante sur une mélodie qui pourrait être un générique d'un dessin animé du Club Dorothée. Ou cette ligne de basse répétitive sur "Ligne de basse". Je ne vous en dirai pas plus pour aujourd'hui, car Trois, quatre doit être écouté pour vivre pleinement l'univers passionnant, dément et culotté de ces Brestois vraiment pas comme les autres.
Publié dans le Mag #59