Caspian - Tertia A bien des égards, on pourra convenir que Tertia est ce qui ressemble assez confusément à une pépite. Pour différentes raisons qui tiennent autant du recul évident que doit prendre le critique sur l'oeuvre qu'on lui soumet, comme de cette impression parfois récurrente de ressentir un début d'emballement qui va rapidement s'éteindre pour laisser place à un plaisir, certes moins immédiat, mais sans doute plus réfléchi et attenué, il arrive que l'on essaie d'écrire avec son esprit plutôt que chercher à retranscrire ses émotions. En même temps, pourquoi décrypter de manière aussi analytique, chercher à percer de manière systématique et quasi chirurgicale, ce qu'il y a sous la surface d'un morceau, calculer, réfléchir alors que l'on peut tout aussi bien coucher sur papier son ressenti, ce qui affleure en nous à l'écoute de ce disque...

En clair, Tertia est un diamant brut. Etait un diamant brut plutôt... que les Caspian se sont longuement appliqués à polir, à travailler encore et encore depuis leur local de répétition jusqu'à leur studio d'enregistrement, pour en faire ressortir le plus infime et raffiné des éclats. Musicalement, cela se traduit par une longue introduction ("Mie") au minimalisme qui va rapidement rompre avec ce que sera la suite. Celle-ci qui intervient justement avec "La cerva" et fait naître en nous une émotion rare et donc précieuse. Une fulgurante explosion d'adrénaline qui intervient en même temps que les guitares s'embrasent dans des crescendo irradiant d'intensité et bruissant de cette saturation qui transporte l'auditeur dans un autre monde. Celui d'un groupe qui, l'espace de quelques instants, semble touché par une grâce presque irréelle en même temps qu'il semble incroyablement déterminé à faire brûler nos enceintes afin d'exorciser ses démons intérieurs. On en reste littéralement soufflé...

Après une telle démonstration, le quintet nous laisse reprendre nos esprits en nous offrant un délicat espace de quiétude musicale, apaisante et satinée (le début de "Ghosts of the garden city") avant de laisser de nouveaux ses instruments attiser les flammes d'un post-rock immersif et stratosphérique (la fin de "Ghosts..."). Maniant les paradoxes avec une maestria et un naturel confondants, entre naïveté et maturité, puissance tellurique et douceur apaisante, le tout dans un seul et même morceau, le groupe se plaît à brouiller les pistes. Entre rock indé velouté et post-rock abrasif, il ne choisit pas vraiment et préfère laisser sa musique parler à sa place. Celle-ci le fait au demeurant merveilleusement bien : "Malacoda", "Epochs in Dmaj", "Of foam and wave", quelque part entre Explosions in the Sky, Pelican et Sigur Ros, les morceaux se suivent, s'assemblent, se ressemblent parfois mais c'est aussi ce qui fait l'intérêt de Tertia... et se complètent, d'autant que les dix titres qui le composent s'enchevêtrent pour former un tout indivisible ("The Raven", "Vienna", "Sycamore"...), une oeuvre flirtant avec la perfection à appréhender dans son entièreté afin d'en saisir tout l'éventail de ses subtilités. Et qui plus est livrée dans un digipak absolument magnifique. Incroyablement classe...