La Canaille - La nausée On entend souvent dire que le troisième album est un cap à passer, que c'est quitte ou double. Au mieux, on ose affirmer que c'est celui de la maturité, au pire que c'est le début de la fin ou carrément celui de trop. Dans le cas de La Canaille, qui a sorti il y a quelques mois La nausée, on est à l'antipode de la fin, le groupe ayant compris ce que le mot "évolution" signifiait réellement. "Maturité" n'est pourtant pas le terme approprié pour parler de ce nouveau disque car la formation de Montreuil en faisait déjà preuve et ce depuis ses débuts. Et si son rôle à toujours été, à l'instar de tant d'autres (citons Lofofora, La Phaze ou Cabadzi) de réveiller les consciences à travers des textes lucides et éclairés, sa manière de les mettre en musique évolue sensiblement.

Composé en majeure partie par Mathieu Lalande et Jérôme Boivin autour de son chef de file Marc Nammour, ce nouvel album ne sonne pas complètement hip-hop - malgré la présence de quelques beats bien placés et des scratchs de DJ Pone (Birdy Nam Nam, Svinkels, Sarh) et de DJ Fab - et encore moins rock, même si les prestations de la formation n'en sont pas loin sur scène grâce, entre autres, à la guitare agonisante de Serge Teyssot-Gay sur "Omar". Pas mal délaissé justement de ces cordes qui faisaient le bonheur de Par temps de rage, La nausée fait davantage place aux programmations électroniques dépouillées, substrat du slam-rap réaliste de son frontman. Chacun de ses titres apporte sa pierre à l'édifice grâce à sa couleur, son ton, son message, son humeur, son histoire, et bien sûr son invité vocal ou musical qui contribue à l'ouverture artistique de ce disque. Ainsi, Lazare vocifère dans son rôle d'"Omar", le voisin SDF du narrateur ; Sir Jean (Meï Teï Shô, Le Peuple de l'Herbe) déverse son flow fédérateur si particulier sur "Briller dans le noir", morceau hip-hop-ragga percutant qui termine en beauté l'œuvre ; Lorenzo Bianchi signe la prod limpide et angoissante de "Décalé", l'un des meilleurs titres du CD. On est même surpris par un solo de trompette sorti de nulle part sur "Monsieur madame".

La Canaille et sa marque de fabrique indélébile, née de la plume du rappeur, conteur et poète urbain Marc Nammour, est vraiment à part dans le paysage musical français. Toujours en auto-production par le truchement de son association, le porte-voix du milieu ouvrier et de la précarité s'assure une crédibilité artistique à travers son vécu, son soutien du milieu musical, son attitude vis à vis de ses diverses actions (ateliers d'écriture, réalisation d'un opérap) et bien évidemment la qualité de son travail abattu sur La nausée. Sa découverte en mars dernier via le single "Jamais nationale" - une réponse à la montée du front aux élections européennes qui rappelait sur certains points le "Quand j'entends le mot France" d'Duval MC (Merci Rémi pour la découverte !) - laissait présager du bon. Il a pourtant fallu moult écoutes pour analyser le tout et admettre in fine que La Canaille tient là son opus le plus abouti jusqu'à présent.