Voilà près de deux ans que l'album de Calavera a vu le jour, quelques mois en moins qu'il est en ma possession. Et autant dire qu'il ne m'a presque jamais quitté. Inutile de le marteler mais il suffit de se référer à l'article précédent pour s'en rendre compte, Calavera m'a d'ors et déjà marqué à jamais et A travers spleen & mascarades continue de sonder le fond de ma pensée sur bien des points. Et peu importe si un soutien, aussi futile soit-il, apparaît si longtemps après la sortie du disque. Puisque le propos de Calavera détient cette magnifique portée universelle, intemporelle, hors du temps. Le temps, vous savez cette notion, cette convention, si bien élaborée par les tenants du pouvoir et concrétisée par une horloge et un calendrier. A suivre et à respecter pour ne pas sortir du rang. Force est de constater que ce temps qui s'écoule aussi impitoyablement donne raison aux flots d'idées dont nous abreuve si superbement Calavera.
Quelques titres composant cet album sont tirés de la période de la Discographie 2001-2005 (on retrouve le sublime appel à l'autonomie "Nous sommes" en fin de tracklist, réarrangé pour l'occasion) mais l'essentiel y est postérieur à 2005. C'est donc l'occasion de suivre le cheminement interne de son auteur principal, qui, sans voyeurisme aucun nous fait largement part de ses désillusions, qu'elles soient d'ordre politiques ("alors, je suis allé là où je croyais être mon camp, voir comment ils et elles vivaient ce présent [...] j'ai pas franchement envie de me battre ni avec ni pour ces gens, l'extrême-gauche a même des doctrines sur le sexe et pourrait te fliquer...") ou plus personnelles ("vu ce que je peux faire de ma vie, je ne peux être innocent à tout ça [...] effroi, car rien ne change, toujours le même constat d'échec, du barbelé dans les échanges comme quand on assassine les poètes." ou "on ne se défend plus pareil quand la dépression nous prend, rien ne sert de courir, rien ne peut se garantir [...] se corrompre ou se perdre sous les feux du mensonge"). Car Calavera nous laisse fébrile après les premières écoutes de la galette. On cherche les attaques frontales, les déflagrations des "Grenade incendiaire", "Feminista", "La relève", "Brigate rosse" et autres "Antifasciste" faisant si bien claquer les mots et les beats auparavant. Mais ce n'est pas dans cette voie qu'a été orienté cet album. Certes, "Comment ils font ?" (un poil trop linéaire, seul reproche à formuler face à soixante minutes de très haut vol) ou "J'observe" (excellent s'il en est) dissipent une énergie folle, tant textuelle que par les instrus insérés, sauf que le passage sous tranquillisants en apparence (et seulement en apparence !) de la forme révèle une évolution pleinement réussie, sur le fond. Petit à petit les couplets vampirisent l'esprit, deviennent des évidences, secondés par des instrus plus que léchées ("Sorti-e-s de l'ombre", "Vision atone", "La route, la fin, la mort, la haine, la vie, l'envie", "2004, dehors il pleut" pour ne citer qu'elles...). Tour à tour, Calavera libère l'amertume accumulée comme il le concède lui-même sur "Epaule cassée" ("chacun écrit son requiem avec plus ou moins de passion [...] je ne descend plus dans la rue pour me sentir exister, y'en a trop qui vont en manif' comme au supermarché [...] les gens sont réactionnaires et ne veulent pas de la liberté, t'as qu'à te dire révolutionnaire et ça les fera rigoler [...] tirer dessus, c'est ce qu'on t'apprends des boîtes de marketing à l'armée"), la suite de "Epaule solide - le poing fermé revendiquera" publié quelques années plus tôt ; défend ses idées ("pas apprivoisés, pas apprivoisables, vous aurez beau nous matraquer, vous n'aurez rien chez nous de rentable", "la paysannerie peut crever, productivisme est leur devise, tu sais, on va tout urbaniser, tout transformer en marchandise, couper les aides pour la recherche, on veut des moutons pas de matière grise, Europe du capital [...] UE qui veut de la main d'œuvre pas chère et de la casse sociale") ; flirte avec une poésie toute aussi réaliste que consciente de son époque ("Des hommes se relèvent des décombres de Jéricho jusqu'à Belgrade, le glaive s'évade, la rêve va avide, s'envole dans les dédales d'inusables pierres qui se dégradent" extrait de "Résonance de fin de monde - cynique utopie du désastre") ou fait carrément preuve d'états d'âmes, à fleur de peau, au bord de l'intimité, splendidement exposés ("inapte au bonheur sûrement, sentiment de néant persistant, il n'y a rien à construire ici mais tout détruire en hurlant"). Mais Calavera n'oublie toujours pas d'apostropher vigoureusement ceux qui le valent bien ("moi c'est sûr que je ne finirai pas en sale poseur sur un fond de ville américaine, non mes rêves ne sont pas les tiens, que tu sois petit bourge du centre de Lyon ou galérien prolétarien, quand l'endoctrinement fait feux, il n'y a peu de chance que ta classe ou ta race puisse agir en pare-feux, vu ton éduction religieuse ou républicaine puisque de toute façon aucune des deux ne répudie la haine") ou, contrairement, d'expliciter sa démarche ("loin de paillettes, loin du show-biz, des valeurs de la haute-bourgeoisie [...] tout est échange et le faire soi-même, sans sponsor, en totale autonomie, c'est dans la pulsion de la rencontre que, ma vie, je tente de dessiner").
Sorti en catimini (1000 exemplaires) il y a de nombreux mois, il ne doit pas rester une grande quantité d'exemplaires neufs de cet album (ou alors espionnez les revendeurs d'occasion), servi dans une splendide pochette en carton, accompagné de trois posters contenant les paroles (et dessins) et cédé contre une poignée d'euros. Aussi marginal soit-il, naviguant dans une fange des plus radicale, A travers spleen & mascarades est un album de rap lucide, d'une noirceur inouïe mais toujours combatif, le noir de la pochette prenant le pas sur sa rougeur. D'une intégrité sans faille Calavera distille ses pensées libertaires tout en recouvrant ce disque d'une personnalité forte. Et parvient à créer un lien magique entre introspection et ouverture sur le monde... Hors du commun et indispensable !
Rock > Calavera > Chronique LP / A travers spleen & mascarades
Aucun bandage
Sorti-e-s de l'ombre
Epaule cassée
Résonance de fin de monde
Comment ils font ?
Vision atone
On joue aux missiles
Introspection
Spleen
Forteresse
2004, dehors il pleut
J'observe
La route, la fin
Nous sommes
A travers spleen et mascarades
Sorti-e-s de l'ombre
Epaule cassée
Résonance de fin de monde
Comment ils font ?
Vision atone
On joue aux missiles
Introspection
Spleen
Forteresse
2004, dehors il pleut
J'observe
La route, la fin
Nous sommes
A travers spleen et mascarades
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A travers spleen & mascarades
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Rémiii
Re: Calavera - A travers spleen & mascarades
Terrier : Là-bas.
A quelques semaines près, voilà à peine plus de 10 ans (déjà !) que A travers spleen et mascarades a réussi à voir le jour grâce au soutien collectif et mutuel de plusieurs labels agissants sous les signes du DIY (Do It Yourself) et de l’autoprod’ (Fight For Your Mind, Kawaii Records, D'ici à la Réalité, Maloka, Les Créations du Crâne et Folklore de la Zone Mondiale, pour ne pas les nommer). Outre l’usure des posters et des coins de la pochette cartonnée à force de les avoir manipulé (tant et tant de fois, un hypothétique décompte en ferait sûrement des centaines...), que reste-t-il de cet indispensable album une décennie plus tard ?
Que d’« Aucun bandage » à « Ce qu’il reste » (le morceau caché après l’« Outro »), l’enchaînement des titres frise toujours la perfection. Que les instrus, certaines quelque peu rudimentaires, n’ont pas à rougir d’avoir franchi toutes ces années. Que nombre de scansions ont gardé de leur pertinence et de leur force, de leur tendresse et de leur sensibilité, aussi. Que face à la qualité des textes, il est tout à fait possible de souligner d’autres couplets que ceux ayant retenu l’attention lors de la première rencontre avec ce disque de Calavera.
Pour la partie poétique et émotive, « la logique de l’incendiaire mort au bûcher / le surréalisme du boeuf qui dit merde au boucher » de « Sorti-e-s de l’ombre », « alors avançons, notre début est leur fin / sur les décombres de leurs geôles, nous ferons un festin sans fin » de « Résonance de fin de monde » ou « on vit pas au paradis, plutôt dans un monde de rats, prêts à se bouffer les uns les autres » de « 2004, dehors il pleut » provoqueront encore et toujours, tour à tour, émerveillement, courage ou désillusion. Puisque, au final, il s’agit de ça en écoutant Calavera : manier la haine et l’amour avec précaution, comme il le formule si bien lors de « J’observe » (« toujours à espérer l’amour et avoir peur de la mort »).
Et puisque cet album détient d’autres textes d’une brûlante actualité, prémonitoires à l’époque de leur sortie, ce serait un sacrilège de ne pas les mettre en exergue. On songe à « Comment ils font ? » quand « c’est dans le meilleur des mondes possibles qu’ils veulent nous voir, génétiquement sans voyou / tout sera programmé sous surveillance, Huxley et Orwell ont bien vu ce qu’ils veulent faire de nous » est un préambule à « Sous contrôle » et « Subversion contre surveillance », titres portés par la suite avec le Collectif Mary Read. On pense à la dénonciation de l’Europe-« Forteresse » où « les partis nationalistes blancs font leurs pour cent sur la peur de l’immigration / et tout en haut la Commission donne ses directives » dont la thématique sera l’objet, toujours avec le Collectif quelques années après, du « Trajet d’une vie ». On voit en « Nous sommes » un texte ayant possiblement inspiré -outre Hakim Bey et son livre « Temporary Autonomous Zone »- le mouvement des ZAD (Zone A Défendre) qui s’élaborent ici ou là : « nous sommes des marges devenant espace de liberté / plus qu’une fronde, nous sommes ce que vous appelez la marginalité / nous sommes un front perpétuel mais pas des creuseurs de tranchées ». Quant à lui, l’exercice de style « Ce qu’il reste » envoie une foule de baffes encore au goût du jour en ce début d’année 2017 : « combien de blessures pour que les parias se relèvent ? / subir des bavures pour que la jeunesse se lève ? » ou « toujours insoumis au système / toujours une révolte universelle qui n’en peut plus d’attendre », « toujours de sales affiches du FN / toujours des tabassages dans la nuit / toujours pas de bruit chez les soc’dem’ ! ».
Enfin il est bon de savoir qu’il est possible de dénicher, en cherchant bien, quelques rares exemplaires encore disponibles de ce disque hors du commun qui risque d’être d’une bonne aide pour franchir les dix années à venir...
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"Dans le fond, je pige toujours pas comment ils font mais j'ai une piste" - Singe Des Rues