Calavera - L'humanité combat Pas de biographie pour ce groupe car peu importe d'où ils viennent et qui ils sont. Leur musique, les textes et leurs convictions témoignent pour eux. Et pensez que cet article, aussi anachronique soit-il (je préfère vous prévenir), n'aurait jamais dû voir le jour. Petites explications.
Tout a commencé, il y a longtemps maintenant, par la compilation Zone#1 : l'esprit de résistance où je tombe nez à nez pour la première fois avec Calavera. Au rendez-vous : deux titres explosifs d'un groupe de rap qui me semble avoir les pieds sur terre. Dans la foulée, je me procure, contre quelques euros, leurs deux EP's sortis sur CD. Après de rapides écoutes, je suis d'emblée conquis par le groupe mais, faute de temps, d'autres (dizaines de) disques attendant plus ou moins un retour et, il faut bien l'avouer, une certaine nonchalance de ma part, n'en relaie pas l'existence. Début de l'été 2008, la motivation de sortir un papier "de taille" et mérité sur cette formation me pousse enfin à passer à l'acte. Mais pas seulement. A l'automne dernier, Flox de Fight For Your Mind me contacte et me fait parvenir les dernières coproductions du label : du Witch Hunt, du Fall Of Efrafa ainsi que A travers spleen & mascarades, le premier album de Calavera, sorti au printemps 2007. Entre temps, L'humanité combat et Briser les citadelles, les maxis du groupe alors épuisés, font l'objet d'une réédition dans les règles du Do It Yourself et, accompagnés de quelques titres épars (principalement sortis sur des compils), constituent les deux disques de cette Discographie 2001-2005. Toutes les conditions étant -enfin- réunies, c'est le moment où jamais de crever l'abcès.
Pourquoi m'étendre autant et, par la même, vous raconter ma vie ? Tout simplement parce que Calavera me parle comme certainement aucun autre groupe ne le fait, mieux que Noir Désir, Oneyed Jack, Tagada Jones, Lofofora ou Bérurier Noir. Mon histoire d'amour avec la musique a commencé avec le Rock, tout en gardant bien à l'esprit qu'il fallait éviter tout cloisonnement, guerre de chapelles et autres sectarismes. Un discours souvent relayé et/ou mis en application par les groupes sus-nommés. Il m'a fallu du temps pour m'atteler à l'écoute de "rap français", en débutant par des références comme Assassin et La Rumeur puis la double déflagration de La Caution, avant que je ne m'intéresse à de jeunes pousses telles La Calcine, Cellule X, Hydra, Da Hypnotik ou que Redbong et Karlit & Kabok ne débarquent dans la boîte aux lettres... Car, selon moi, pour tout bon groupe qui se respecte, la teneur des messages, le façonnage des textes se doit être d'un niveau très élevé. Et Calavera excelle en la matière. Bref, cette formation est l'antithèse totale du "bling-bling" si vous préférez. Véritables punks dans l'âme, les Calavera évoluent d'ailleurs au sein des milieux auto-gestionnaires et l'univers des squats (comme l'espace autogéré des Tanneries de Dijon) ne leur est pas étranger, bien au contraire. Pensées libertaires, rougeur extrême et radicalité qui ne sont pas sans rappeler les punk-rockeurs de la Brigada Flores Magon et leur mouvement : le RASH (Red & Anarchist SkinHeads). Mais revenons-en au centre de nos préoccupations, cette fameuse Discographie 2001-2005 et son contenu. Composé de neuf titres (et une piste cachée) L'humanité combat, sorti en 2003, était accompagné d'un fascicule rappelant de par sa calligraphie les tracts de la Résistance et Briser les citadelles (5-titres, 2005) fourni aux cotés d'un livret à l'iconographie explicite. C'est fort logiquement qu'un cahier contenant les textes et reprenant les lignes graphiques des précédentes éditions entoure les cd's de cette "compilographie". Une Discographie 2001-2005, dont le contenu audio est présenté dans l'ordre anti-chronologique de sorti des galettes originelles, un choix comme un autre, qui pourra laisser perplexe le déjà convaincu (que je suis) mais dont le néophyte ne tiendra pas forcément rigueur. Assez parlé de moi, déjà trop de "je" pour ce qui doit être une tribune à un groupe qui, justement, sert des textes dont l'altruisme et la générosité éblouissent à chaque virgule.
Calavera - Briser les citadelles Impossible d'analyser au cas par cas chaque titre (pourtant, ils le méritent), de décortiquer leurs contenus, les idées étant souvent enchevêtrées, il est préférable d'adopter une vue d'ensemble du phénomène Calavera. Evitant l'objectif des appareils-photos (de toute façon il ne sont pas légions à s'approcher), s'éclipsant devant les institutions, refusant la glorification, à l'abri de tout compromis, loin d'eux l'idée de se transformer en icône, Calavera signe pourtant des textes à encadrer, des pépites et des pavés à méditer, des chansons réfléchies, des thèses abouties. Des idées à diffuser de toute urgence. Tour à tour le rap de Calavera lutte contre les intolérances sous toutes leurs formes. Du fascisme au sexisme en passant par le racisme et, clef du problème, la verticalité des rapports humains (chefs, sous-chefs, catégorisation des individus), Calavera démontre et démonte la mécanique du monde tel qu'il est : marche ou crève, des bergers à élir/nommer et des moutons à surveiller/canaliser, bosse et tais-toi, business is business, travailler plus pour gagner plus, l'Homme exploite l'Homme. Se cantonner à attaquer Bush, Berlusconi, Sarkozy, leurs sbires ou tel ou tel dirigeant de plus ou moins grande envergure serait bien trop simple. L'approche historique de certains titres et la vision universelle des propos font des interventions de Romain de véritables démonstrations, implacables. Car la force du groupe est là : au lieu de simplement cracher de salvateurs slogans, chaque titre est un argumentaire en règle pour avancer des idées, célébrer la mémoire d'actions passées ou détruire l'ennemi. Et ils sont nombreux à traîner dans leur viseur : pseudos-rebelles à bonne conscience, uniformes de toutes couleurs, médias vérolés, religieux, serviteurs et appareils du/de pouvoir de tous poils, médiocrité du genre humain se font remettre en place tout en accordant une place à des séries de propos plus personnels, voire intimistes et fébriles, sans être pompeux (principalement la deuxième moitié de L'humanité combat). De multiples autres chevaux de bataille sont lancés (parmi lesquels la destruction des prisons, des frontières, le refus de l'ignorance, ...) le tout enrobé dans un vocabulaire de choix et accompagné de savoureux jeux de mots à deux ou trois "étages". Vu de loin, on pourrait craindre le bourrage de crâne abusif mais, loin d'être pesants les chapitres déversés ici sont soutenus par un éventail de formules magiques, de flows diversifiés et, aspect encore non évoqué, des compos variées. Du rap clément et mélancolique, aux gros beat qui claquent, des samples prenant les tripes, des ambiances travaillées avec minutie, des guests vocaux ou des ajouts de guitare participent aux textures développées le long de ces 90 minutes de rap plus que conscient, de forces de destructions mais aussi de propositions et d'une clairvoyance sans limite. Calavera regarde la (triste) réalité en face. Les lueurs d'espoir étant rares, il faut bien l'avouer, la teinte générale de ses vingt-deux titres est globalement (très) sombre mais invite aussi à la réflexion, au combat (armé) ou à l'insurrection. Au lieu de (mal) paraphraser, et devant la foule de couplets à retenir, voici, (enfin ! me direz-vous) en guise de conclusion, un échantillon (pour ne pas dire un catalogue) de vers à se mettre sous les yeux, dans l'attente d'une rencontre plus directe avec l'univers de Calavera, chose, vous l'aurez compris que je ne saurais ô combien vous conseiller.
Calavera - Discographie 2001-2005 "un soulèvement général antifasciste ranimera l'espoir que la sortie existe au fond du tunnel du libéralisme / puisque la misère qu'il créé est le terreau du fascisme", "ce sera encore des pierres contre des chars / des coktails Molotov qui brûlent sur les grands boulevards", "viens on pend le racisme, viens on pend le sexisme, viens on pend tous les vecteurs et les attributs du fascisme", "mais ce sont des crimes, ces corps des victimes / leur torpeur est sublime / non ce sont des morts / j'hallucine / je ne suis pas dans un conte de Grimm", "être jeune et de gauche revient à vivre sous une matraque", "je vis [...] dans un pays aseptisé / même les pavés qu'on jetait, ils les ont goudronnés", "les Hommes ne sont jamais aussi forts que quand ils peuvent se nuire / se nourrir du sang des leurs et voir leurs semblables s'aigrir", "cette putain de vie est hardcore / mais moi je m'acharne encore", "juste des bombes de souffrance pour des temps infinis", "ce système ne pense que par la répression / ce système est fasciste mais tu n'en as pas l'impression", "sexistes ou homophobes, misogynes ou lesbophobes / retour en force de l'ordre moral dans le hip-hop", "forcé à vivre dans l'effroi, forcé à plier sous le poids d'une croix en laquelle je ne crois pas / plus ça craint, plus le doute croît et plus je crie, plus je crois que je ploie", "on s'appuie sur les intégristes pour faire du contrôle social / on oublie très vite son passif quand l'attentat est local", "je reste utopiste, athée et humaniste / activiste radical qui croit au peuple mais déteste la masse / et sa constante passivité avant que le fascisme ne passe", "vous voulez aider les miséreux ? / je veux la fin de la misère !", "j'encule le rock identitaire / j'emmerde le rap communautaire / j'insulte toutes les dérives sectaires / des religieux aux libertaires", "pour ça, respect aux FTP qui pètent les locaux du FN / pour ça, respect aux skinheads qui cassent la gueule aux boneheads", "détruire les citadelles avant que leur puissance / ne fasse de nous l'une d'elles, élevant les murs de l'arrogance", "et tant que je ne vois pas la lueur d'une évolution concrète / j'accepte les erreurs de l'action directe", "je me plie comme le roseau mais je me force à y croire", "tu m'étonnes qu'on veuille tout cramer / devant nos yeux, trop de fachos / le poing fermé revendiquera / car un nazi reste un nazi, qu'il soit blanc, noir, jaune ou arabe / et un bon nazi est un cadavre", "nous somme plus qu'une fronde nous sommes ce que vous appelez la marginalité / nous sommes un front perpétuel mais pas des creuseurs de tranchée", outre la mention spéciale à l'intégralité de la "Chanson noire du capitalisme", mise en musique d'un texte de Gilles Perrault, d'une force inouïe.