La patience a du bon ! Freinée par le Covid, la sortie de Celluloid swamp, le nouvel album de BRNS, nous a apporté son lot de surprises. Il semble que les Bruxellois avaient des choses à sortir et à expérimenter puisque leur pop indé a pris une tournure protéiforme. Un peu plus de claviers, de voix, un nouveau membre, un "nouveau son" et un style qui l'est tout autant. Pas de panique ! Antoine et Tim nous expliquent tout cela.
Bonjour BRNS, c'est un grand plaisir de vous retrouver avec ce nouvel album Celluloid swamp. J'ai cru lire que ce disque est prêt depuis 2018. J'imagine que c'est le Covid qui a tout retardé, pouvez-vous revenir sur la genèse de ce disque ?
Antoine (basse-clavier-chant) : C'est un disque qui a été entièrement réalisé durant l'année 2018 : on a fait plusieurs sessions collectives de composition (avec Tim et Diego) en Normandie pendant l'année et, parallèlement a ça, Tim et moi avions apporté des morceaux composés chacun de notre côté qui étaient déjà dans un état d'avancement assez important. Comme on voulait faire un disque court et efficace, la finalisation de celui-ci l'a été assez logiquement, on a été droit au but, tant au niveau de la composition que de la production. On s'était programmé les sessions de studio à New-York (octobre 2018) sans avoir terminé tous les morceaux du disque, ça nous a foutu un bon coup de boost et j'ai un souvenir d'un mois de septembre intense, à bosser d'arrache-pied pour fignoler tous les titres ! Et puis de fait, après l'avoir enregistré, tout a pris du temps et puis il y a eu Covid.
Celluloid swamp, un marais de celluloides, quelle est la signification de ce titre, est-ce que cela a un rapport quelconque avec le très bel artwork coloré et cartoonesque de Monsieur Pimpant ?
Antoine : C'est une sorte d'oxymore un peu futuriste qui évoque un univers acidulé, un peu sucré-salé qu'on retrouve dans cet ensemble de chansons. On a suivi tout l'artwork de Pimpant : il nous a envoyé toutes les étapes de la pochette : d'abord un personnage, puis un cactus, puis la typo, etc... On s'est bien imprégnés de son univers et ça nous a évoqué une version un peu tordue de l'esthétique Mario Kart sur N64. Celluloid swamp, ça pourrait être le nom d'un circuit d'un Mario Kart imaginaire !
Chose étonnante, l'enregistrement du disque s'est déroulé à NYC, c'est une première je crois. Pourquoi aller aussi loin ? Est-ce que c'était pour sortir de votre "zone de confort" ou simplement une invitation/opportunité que vous ne pouviez pas refuser ?
Antoine : On avait fait la connaissance d'Alexis (NDLR : Alexis Berthelot, producteur et ingé-son ayant bossé notamment pour Gojira, Pneu et Marc Ribot) lors de notre passage à SXSW à Austin en 2015. Il nous avait proposé de venir enregistrer un disque avec lui à NYC car il pouvait nous avoir des tarifs accessibles au Studio G à Brooklyn, où il travaillait beaucoup. On avait passé beaucoup de temps à enregistrer et mixer sur notre disque précèdent, Sugar high et je crois que ce processus un peu laborieux nous a donné envie d'aller à New-York enregistrer dans un laps de temps très précis (7 jours de studio) pour aller à l'essentiel. On a pris l'avion (presque) les mains dans les poches et on a réenregistré nos maquettes avec le matos disponible au Studio G.
Vous écrivez dans le livret du disque qu'Alexis Berthelot vous a fait sonner comme jamais auparavant. Comment doit-on le comprendre ? Qu'il vous a fait passer à un stade supérieur en terme de sonorité/production ou plutôt que vous n'aviez jamais sonné aussi différemment qu'avant ?
Antoine : Disons qu'Alexis a plusieurs cordes à son arc : il connaît très bien le Studio G et son backline, et c'est un excellent producteur/mixeur. On se récoutait les sons de nos maquettes, puis de concert avec lui, nous refaisions un nouveau "son" avec le backline pléthorique disponible sur place. On se mettait d'accord sur la couleur du son à la prise, ce qui a considérablement simplifié le travail au mixage. La plupart des gros choix de production avaient été directement posés en studio. Au mixage, on a pas fait 60.000 aller-retours, globalement on était ravis des partis-pris d'Alexis, et tout sonnait très large, les batteries, notamment. Celluloid swamp est sans aucun doute notre disque le mieux produit.
J'ai oublié une chose importante à signaler, c'est l'arrivée aux claviers et au chant de Nele de Gussem au sein de BRNS. Elle a (ou a eu) une expérience significative dans plusieurs formations tels que Maya's Moving Castle, Delvaux, Future Old People Are Wizards ou encore son projet perso Uma Chine. Comment s'est déroulé son recrutement et quel est son rôle au sein du groupe ? Est-elle de passage comme le fut Lucie ou bien est-elle une membre du groupe désormais ?
Antoine : On a arrêté de travailler avec Lucie car elle habite Paris et que ce n'était donc pas super simple de caler des répétitions. J'ai vu Nele jouer avec Future Old People Are Wizards au Recyclart pendant l'été 2018 et elle m'avait laissé une forte impression. Quand on a commencé à chercher un nouveau claviériste, j'ai suggéré qu'on contacte Nele qui a répondu par l'affirmative ! Concernant sa place dans le groupe, bien sûr qu'elle est un membre du groupe ! Mais nous n'avons pas encore composé ensemble. Elle apparaît vocalement sur Celluloid swamp, mais sur des parties qui étaient déjà écrites. En tout cas, c'est super agréable de travailler avec elle et j'espère qu'on aura l'occasion de travailler à 4 sur le prochain !
Je trouve que ce nouveau disque est vraiment à part des autres, comme si vous aviez voulu ouvrir un nouveau chapitre de votre histoire. Les voix ont l'air d'être davantage mise en avant, j'ai l'impression que les claviers sont plus présents qu'auparavant, que les textures sont plus protéiformes, on a même droit à un titre électro-hip-hop avec "Familiar" en compagnie de Les Hommes-Boites. Le ressentez-vous ainsi ?
Antoine : Oui c'est le cas ! Je crois qu'il y a beaucoup plus de fun et de liberté que sur les deux disques précédents, qui a posteriori me paraissent parfois un peu ternes et ascétiques ! Ici, tout fleure bon la douce folie, tant par les synthés technicolor que par les voix de l'espace ! Les morceaux ont beaucoup de relief, c'est assez marrant d'ailleurs car en live, les anciens morceaux paraissent beaucoup moins arrangés. Je pense qu'on a retrouvé une belle fraîcheur, on ne s'est pas refusé grand chose et il y a un peu 5 disques dans un disque. Personnellement, c'est quelque chose dont je suis très fier !
On trouve des titres vraiment surprenants parsemés d'ambiances disparates, qui ne ressemblent pas vraiment à du BRNS, comme "Lighhouses" ou encore "Money" qui m'a fait penser un peu aux travaux de Dave Longstreth de Dirty Projectors. Vous n'aviez pas d'appréhension sur le fait de potentiellement dérouter l'attention de vos fans, quitte à ce qu'ils n'adhérent pas à la direction artistique choisie sur ce disque ?
Tim (batterie-chant) : Disons qu'à chaque disque, on ne sait pas vraiment si ce qu'on compose ressemble à du BRNS, et puis on a un peu le nez dedans à vrai dire. Nos influences se sont élargies et nos bagages musicaux ont évolué. On s'est laissés aller plus loin, tester de nouvelles choses. Pour "Money", Antoine avait proposé une base tantôt lo-fi, tantôt électro-brut et c'est assez naturellement qu'une voix RnB s'est posée dessus... Des fois, faut pas chercher (rires) ! Je pense que si on avait un jour eu des appréhensions à dérouter nos fans, on n'aurait jamais composé de musique ensemble. C'est cette liberté qui fait peut-être ce qu'est BRNS encore aujourd'hui. Beaucoup d'artistes fonctionnent certainement ainsi, comme Dave Longstreth et c'est clairement ce qu'on recherche aussi.
L'objectif actuellement, c'est de jouer les morceaux sur scène ? Comment se passe la tournée ? Comment s'adaptent-ils dans votre set-list ? Y-a-t-il une prédisposition particulière pour les jouer par rapport aux anciens ?
Tim : Pour l'instant, la tournée, c'est un bon gruyère... Avec les reports et annulations, c'est difficile de trouver une constance. Mais ça ne nous a pas empêché de répéter et de faire des résidences, de roder un set varié et efficace. Les premiers concerts avec la nouvelle set-list composée à quasi parts égales d'anciens et de nouveaux morceaux se sont très bien passés malgré peut-être un peu de trac. Comme quoi, après 2 ans d'absence, ça peut revenir. Je dirais que ce sont plutôt les anciens morceaux qu'on a pu un peu retravailler pour qu'ils se mêlent bien aux nouveaux. C'est un chouette travail de se les réapproprier.
Avec l'évolution du groupe, et au regard de la question précédente, est-ce que vous prenez encore du plaisir à jouer vos vieux morceaux, je pense par exemple aux tubes "Mexico" ou "My head is into you" ?
Tim : Il y a des morceaux qui sont devenus un peu autoroutiers pour nous. Quand on chante "Mexico" pour la 10 000ième fois, on peut avoir tendance à faire sa liste de course en la jouant ! Mais il faut se les réapproprier ces morceaux-là, comme je le disais. Ou au moins en sélectionner l'un ou l'autre qui nous procurera autant de plaisir que le public aura de l'écouter. Et puis, mine de rien, on a beaucoup de morceaux maintenant, c'est aussi l'occasion d'en jouer certains qu'on n'a peu ou jamais défendus sur scène.
BRNS, c'est aussi des side-projects ou des participations diverses, je pense à Namdose avec les Ropoporose, à Paradoxant, le projet solo d'Antoine, mais également à Tim et sa participation sur un album de Blondy Brownie, idem pour Diego avec One Horse Land. C'est important pour vous de déconnecter de BRNS dans le but éventuel d'y apporter de nouvelles idées par la suite ? Ou c'est vraiment des invitations que vous acceptez presque par politesse ?
Tim : Ça n'est certainement pas par politesse ! Si on participe à un autre projet, c'est que ça nous branche. Et puis c'est évidemment cool d'avoir du temps à côté et des occasions pour se diversifier. Par ailleurs, Antoine, Diego et Nele ont chacun leur projet solo qui leur permettent également d'aller plus loin et de manière plus personnelle dans la composition. Des fois, ça fait du bien de sortir du groupe pour composer seul. Quant à Namdose, ça a été une réelle occasion pour BRNS de se mettre au défi de composer totalement en double groupe et dans un laps de temps très court. Aller droit au but et chercher l'efficacité live. C'était une super expérience et la tournée a très bien suivi. Juste avant la Covid, ouf !
Dans une très ancienne interview, en 2014, Antoine relevait le fait que vous n'aviez pas une maturité de dingue et que ce côté foireux et bancal vous représentait bien. Est-ce qu'on peut considérer que BRNS a évolué sur ce point ? Est-ce que vous avez une "meilleure" estime de vous depuis tout ce temps ? Et plus généralement, quel regard portez-vous sur votre évolution et comment vous voyez votre avenir en termes de création, des idées pour le prochain album ?
Tim : C'est très difficile de savoir si on est devenu mature dans la musique. Je pense que l'immaturité peut justement amener de joyeux accidents et nous surprendre dans la composition d'un morceau. Je ne sais plus qui avait dit que notre deuxième album était celui de la maturité, mais je pense que cela n'était pas vrai. BRNS a toujours composé à l'instinct et je pense que ça sera toujours le cas. La maturité pourra peut-être nous aider à trancher sur l'un ou l'autre choix artistique mais je pense que c'est cette incertitude, ce côté bancal qui nous aide à trouver des idées. Pour l'avenir, on va déjà tenter de présenter dignement notre album encore tout chaud et on espère vraiment que les conditions nous le permettront. On a hâte de jouer !
Merci à Anne-Laure Bouzy et aux BRNS
Photos couleur : © Alice Khol
Photo noir et blanc : © Mayli Sterkendries
Publié dans le Mag #50