Quand ce valeureux Fra (Burning Heads/The Eternal Youth/Ravi) nous a appris qu'il était en train de monter une petite tournée avec Bottlekids, l'un de nos plus beaux tuyaux, notre sang n'a fait qu'un tour. Et quand les planètes se sont alignées et la team HuGui(Gui) au grand complet a pu rencontrer le groupe à Tours, une interview croisée était indispensable. Entretien dans les loges du Bateau Ivre avec Joe (guitare/chant) et Fra.
Burning Heads
Pas besoin de présenter Fra et les Burning Heads dont on parle souvent ici, mais tu peux nous en dire davantage sur Bottlekids ?
Joe : Bien sûr. On est tous les trois des amis à la base. On allait dans les mêmes endroits, les mêmes concerts, les mêmes bars et j'avais déjà un groupe avec Johny le bassiste il y a très longtemps de ça. On a démarré Bottlekids en 2017, avec l'idée de passer du bon temps ensemble, faire quelques reprises des chansons qu'on aimait. Puis on a commencé à composer, fait quelques concerts, et c'est ainsi que tout a commencé. Alors qu'au départ, ça n'allait pas plus loin que de se retrouver en répét les mardis.
Comment s'est faite la connexion Bottlekids/Burning Heads ?
Fra : J'ai découvert Bottlekids via un post sur le groupe Facebook Ceux qui aiment le punk mélodique. Quelqu'un avait mis le lien du EP Nowt et ça m'a plu direct. J'ai alors tout de suite écrit à Joe et on a commencé à correspondre.
Joe : Par Facebook, tout simplement. J'étais là : « Wow, il y a le chanteur de Burning Heads qui aime ce qu'on fait ! » J'ai grandi en écoutant du punk-rock, notamment via les compilations Punk-O-Rama d'Epitaph et il y avait un morceau des Burning sur l'une d'entre elles. L'idée de tourner ensemble a été évoquée plusieurs fois mais ce n'était pas forcément évident à mettre en œuvre et on a finalement réussi. Je leur suis vraiment reconnaissant pour cette superbe opportunité. Ils ont été au top du début à la fin !
Un échange de dates est-il prévu ?
Joe : On aimerait bien, oui. Pour autant, après l'expérience de ces quelques dates en France, il faut avouer que les conditions au Royaume-Uni sont vraiment moins bonnes. D'autant qu'on n'a pas la stature et les connexions des gars ici. Il n'y a pas beaucoup d'endroits où jouer au Pays de Galles mais on est prêt à aller n'importe où avec les Burning Heads. (rires)
Tu connaissais d'autres groupes français ?
Joe : Pas vraiment, non... à part Guerilla Poubelle, et un groupe de ska dont je ne me rappelle plus le nom (NDLR : PO BOX ?).
De mon côté, j'ai des noms de groupes irlandais, écossais qui me viennent mais pas de groupes gallois, tu peux nous éclairer ?
Joe : On ne peut pas dire qu'il y ait une grosse scène punk-rock au Pays de Galles, il n'y a pas beaucoup de salles et peu de groupes y passent, à part éventuellement à Cardiff mais on a eu Stereophonics, et surtout Tom Jones. C'est le putain de roi chez nous ! (rires)
Fra : Si on parle de roi, alors il ne faut pas oublier Ryan Giggs.
Joe : C'est un footballeur mais d'un point de vue musical, il est possible qu'il ait joué de l'harmonica. (rires).
En parlant de sport, il y avait un match de rugby entre le Pays de Galles et l'Argentine aujourd'hui...
Joe : Oui et on a perdu, mais c'était assez prévisible. C'est un phénomène important le rugby chez nous, les gens sont tous très passionnés mais très humbles également car on perd souvent. Après, personnellement, je ne suis pas vraiment intéressé par tout ça. Johny, notre bassiste, en revanche, est complètement fou de foot.
C'est vrai qu'il portait un tee-shirt Sankt Pauli sur scène.. (NDLR : club mondialement connu pour ses supporters antifa)
Joe : Il l'a acheté lors d'une tournée en Allemagne. On a visité leur stade à Hambourg et il était comme un gamin.
Vous avez sorti deux EPs pour l'instant avec Bottlekids, un album est dans les tuyaux ? Et qu'en est-il de la suite des aventures discographiques des Burning Heads ?
Joe : Oui, c'est le plan, et la suite logique. Là on s'est concentré sur cette mini tournée en France, puis on a un dernier concert chez nous et alors, on se consacrera pleinement à ce premier album.
Fra : De notre côté, on rentre en studio en janvier/février pour enregistrer un nouvel album, le premier avec ce line-up et l'arrivée de Dudu à la guitare.
Fra, tu n'arrêtes jamais et viens de sortir un nouveau disque avec ton autre groupe, The Eternal Youth, tu peux nous en toucher deux mots ?
Fra : Il s'appelle Iguaseau et c'est donc un split quatre titres avec le groupe Tendresse, qui sont comme nous sur TFT Label. L'idée à la base était de reprendre un morceau de l'autre, puis au choix faire une autre reprise ou un morceau inédit. À mon initiative, car c'est un groupe que j'aime beaucoup, qui me fait même parfois pleurer tellement c'est beau et puissant, on a repris "In shreds" de The Chameleons de Manchester.
Joe, toute votre communication sur les réseaux est en lettres majuscules. Vous êtes les Poésie Zéro gallois ? (NDLR : groupe Nantais présent à la soirée à Tours et utilisant le même procédé, les insultes en plus)
Joe : Pour être honnête, je ne sais plus pourquoi j'ai commencé comme ça au début, et maintenant il n'est plus possible de changer. (rires) La plupart des posts n'étaient que des trucs assez stupides. On ne se prenait vraiment pas au sérieux et ça n'a pas changé.
Malgré tout, vous avez signé sur un label punk rock européen assez prestigieux (SBÄM Records en Autriche) !
Joe : C'est vrai. Le premier EP a d'abord été réalisé complètement en auto-production. On a tout payé nous-mêmes et un ami m'a dit : « Tu devrais l'envoyer à SBÄM ». On n'avait pas vraiment cherché à démarcher des labels car on faisait ce groupe sans prétention, juste pour le fun et ce sont les seuls à qui on a envoyé le disque. Ils l'ont aimé et ont voulu nous aider ! Après, ça reste du DIY, comme une sorte d'amitié virtuelle. Ils pressent les vinyles, nous envoient quelques copies et font tourner notre nom et notre musique dans leurs réseaux promos, mais on est loin de l'argent et de la coke. (rires)
Fra, les Burning ont une distribution et des labels européens ou vous n'êtes que chez Kicking Records ?
Fra : Non, on a en effet des labels et un support en Espagne, Italie et Allemagne, ce qui nous permet de tourner plus facilement là-bas, trouver des dates. On a joué en Espagne en mars, l'Allemagne c'est prévu pour novembre et l'Italie l'année prochaine.
Bottlekids
Joe, en concert, on ne retrouve pas les chœurs et les "wow-ohs" qu'il y a sur disque, il a fallu que la team HuGui(Gui) et Fra s'en chargent ce soir. C'est dommage, ça manque...
Joe : Ne m'en parle pas, c'est un sujet de discorde avec les gars du groupe. Sur disque, je fais toutes les parties chant et je n'arrête pas de leur dire : « Prenez un microphone et chantez dedans en concert », mais ils sont trop timides, pas assez confiants pour cela. Le point positif de cette tournée c'est que Ben, le batteur, après avoir vu les Burning Heads, leurs différentes harmonies dans le chant et l'intensité que ça procure en live, ainsi que votre ferveur et vos chœurs pendant notre set, a enfin décidé de s'y mettre. Merci les gars, vous avez été géniaux ! C'était très sincèrement mon moment préféré du concert ! Et je sais que si Ben commence à travailler dessus, Johny va le rejoindre.
En France il y a ce statut particulier d'intermittent du spectacle, qui est complexe, parfois précaire mais qui bénéficie aux musiciens de Burning Heads. Comment vois-tu cela du Pays de Galles ?
Joe : J'en ai entendu parler en effet, ça semble intéressant d'avoir ce support de la part de l'État mais je n'en connais pas tous les tenants et aboutissants, les différentes contraintes. Après c'est clair que ce serait super d'avoir la même aide chez nous car l'argent n'est pas toujours facile à trouver dans le punk-rock. Je pourrais te donner une réponse plus précise si j'avais toutes les infos...
Fra : Les autresBurning sont intermittents mais ce n'est pas encore mon cas. J'y travaille mais le statut est compliqué à obtenir, il faut pour ça un certain nombre de cachets et les seules prestations d'artistes ne suffisent pas. Je suis une sorte de prof, et combiner un travail qu'on va qualifier de plus «classique» et la vie sur la route n'est pas des plus évident. Mes camarades complètent eux les concerts avec des cachets de techniciens.
Et vous Bottlekids, comment payez-vous votre loyer ? Quels sont vos jobs en dehors de la musique ?
Joe : On travaille tous à plein temps pour vivre. Je fais de la production vidéo, Johny est travailleur social pour jeunes adultes défavorisés et Ben est un ébéniste/charpentier très talentueux. Si tu as besoin d'une cuisine, c'est ton homme !
Bottlekids a été le bon tuyau de Gui "Mushroom" dans notre rubrique HuGui(Gui) (grâce à Fra), vous avez d'autres bons tuyaux à nous faire partager ? Des découvertes récentes ou groupes que vous écoutez régulièrement qu'on ne connaîtrait pas ?
Joe : Oui, bien sûr. Alors, je ne les mentionne pas seulement car ils sont hyper sympas mais je vous recommande nos amis gallois de King's Alias, qui font une sorte de ska mais c'est plus riche que cela, un peu offbeat... Il y a aussi dans un registre plus punk rock, Bruce Control, ou Incisions. Ces groupes viennent du Nord de l'Angleterre, une scène qui est bien active en ce moment.
Fra : Gui de Champi en a déjà parlé mais je n'ai pas arrêté d'écouter Schedule 1 dernièrement, et aussi Home Front, deux groupes en provenance du Canada. Sinon, en Angleterre, tu as Aerial Salad qui propose un mix étonnant et vraiment intéressant de britpop/rock indé des 90's, avec des passages limite ska voire hip-hop au niveau du phrasé. J'aime aussi beaucoup le dernier album de Grade 2, que Tomoï passe parfois dans le camion.
Tiens, en parlant de rock UK et des 90's, j'ai été surpris du choix de reprise dans votre set, les Bottlekids. Je ne m'y attendais pas du tout, je savais que je connaissais et j'ai cherché pendant tout le morceau et fini par trouver (Alzheimer c'est pas encore pour tout de suite).
Joe : Bravo, tu es très fort car on ne l'annonce pas comme telle, et on fait même comme si c'était une de nos chansons. (rires) On joue donc "Mental blocks" de 3 Colours Red depuis plusieurs mois car Pure, d'où est tirée cette reprise, est un album que j'adore, que j'ai énormément écouté à sa sortie en 1997. Ils ont été très populaires à l'époque au Royaume-Uni, tout en gardant cette énergie vraiment punk. J'ai l'impression qu'ils sont peu à peu tombés dans l'oubli, même s'il y a toujours quelqu'un à la fin des concerts qui vient me voir pour me dire qu'il adore cette chanson.
Joe, tu as dû avoir une enfance particulière du fait de ton père, Cavan, leader de Crazy Cavan And The Rhythm Rockers, un des groupes de rock les plus légendaires du Pays de Galles dans les années 70-80.
Joe : Complètement ! Quand j'étais enfant, c'était mon groupe préféré et ça l'est toujours. Il a influencé mes goûts et choix musicaux à 100%. Son groupe était là dès le début des 70's, ils ont joué avec The Clash, The Specials... avec tout le monde en fait et ils ont eu leur part dans l'histoire du punk/rockabilly ! Gamin, je n'avais pas vraiment de jouets, juste une petite guitare et devant la glace, je me prenais pour Elvis. (rires)
En parlant de ça, ça ne m'avait pas sauté aux yeux car je ne suis pas musicien mais Fra m'a fait remarquer que tu jouais avec les cordes à l'envers...
Fra : Comme il est gaucher, je pense qu'il a appris à jouer avec une guitare pour droitier, plus facile à trouver, simplement en la retournant. Du coup les cordes graves se retrouvent en bas et les plus aigües en haut.
Joe : C'est exactement ça ! Et c'est venu de mon père qui avait toujours une logique à toute épreuve. Il me disait que je serais sûrement amené à emprunter à plusieurs occasions une guitare à quelqu'un pour jouer, et qu'il y avait très peu de chance que ce soit une guitare pour gaucher. Il fallait donc que je sache jouer avec une guitare pour droitier et j'ai appris à jouer sur la sienne. Je l'ai toujours chez moi, elle sent le cigare et il y a même du sang, de la transpiration dessus mais sentimentalement, il n'est pas question de la nettoyer.
On arrive à la fin, quels souvenirs vas-tu garder de cette tournée ?
Joe : Notre expérience est sûrement biaisée mais c'est infiniment plus cool de tourner en France qu'au Royaume-Uni. On ne pouvait espérer meilleurs compagnons de route que les Burning Heads, qui ont été d'une gentillesse, d'une disponibilité, d'une aide à toute épreuve, en plus de leurs solides prestations scéniques. La nourriture et la bière ici sont juste incroyables ! Chez nous, quand on fait un concert, on a un pack de mauvaise lager et on est contents quand c'est accompagné d'un banal sandwich. Ici, il y a des gens qui préparent des plats délicieux, on se met à table tous ensemble avec les gens de l'orga, les bénévoles qui font ça par amour de la musique... C'est hyper inspirant mais on sait aussi qu'on a été très chanceux.
Fra : C'est vrai qu'hier à Périgueux, avec l'asso Some Produkt, c'était assez exceptionnel. J'ai booké cette tournée, j'ai vraiment choisi minutieusement les endroits et les gens qui allaient nous accueillir. Ce n'est pas tout le temps comme ça.
Fra, j'imagine que tu es plus que satisfait, toi aussi, de la façon dont ça s'est déroulé.
Fra : C'est clair ! Comme je le disais, la première fois que j'ai écouté Bottlekids, j'ai su qu'on se croiserait et que pour ça il fallait que je me bouge. Je ne savais pas quand, ni comment mais il fallait que ça se fasse et cette tournée, l'aventure humaine avec ces gars dans le camion, entre les concerts, ça va au-delà de mes espérances. On est quel jour aujourd'hui, le samedi 14 octobre ? Et bien, pour moi, c'est Noël et c'est mon cadeau de l'année !
Un dernier mot ?
Fra : Merci HuGui(Gui) the good tips !
Joe : Merci beaucoup pour le soutien, le précédent article et cette interview, ça fait vraiment plaisir !
Merci Joe Bottlekids et Fra Burning Heads, Brice et l'asso Goat Cheese de Tours pour l'accueil et Francis Blot pour les photos.
Publié dans le Mag #58