Black Midi au Bataclan 2022 Ce concert au Bataclan est également marquant pour d'autres raisons, d'abord le retour dans une salle que j'apprécie, depuis cette horrible soirée du 13 novembre 2015 (il fût d'ailleurs difficile voire impossible émotionnellement de remettre les pieds ici dans un délai court à la suite de sa réouverture au public), et ensuite, ce show m'a enfin permis de rencontrer en chair et en os mon collègue, l'infatigable JC, qui a eu la gentillesse de venir immortaliser cette soirée en images.

En guise d'amuse-gueule, nous découvrons les Japonais de Dos Monos ("deux singes" en espagnol), un trio exerçant avec efficacité un hip-hop boursouflé de formes expérimentales assumées aidés de samples singuliers. Les sonorités partent un peu dans tous les sens, un peu comme Black Midi justement, pour qui le trio japonais a remixé un titre de leur premier disque et avec qui ils partagent un goût prononcé pour le jazz, le rock progressif, et toutes formes de sensibilités orchestrales. Trois personnalités exubérantes aux accoutrements discutables et aux différences prononcées (en schématisant : le sage à la guitare, le fou au son, et le mystérieux qui vient apporter l'équilibre entre les deux) pour des flows en japonais totalement entrainants et apportant beaucoup de musicalité à l'ensemble. L'audience qui n'a pas totalement remplie le Bataclan (les gradins n'ont même pas été ouverts) a visiblement été ravie de cette découverte vraiment excitante.

Place à Black Midi. Le trio accompagné de Seth Evans aux claviers arrive vers 21h sur des airs d'opéra (Luciano Pavarotti ?) juste après une annonce faite à la façon d'un match de boxe. Sur le moment, on s'attendait à ce que "Sugar/Tzu" démarre le show, mais elle sera oubliée ce soir, à notre grand regret. C'est un vieux titre qui ouvre le bal : "Speedway". Pas la meilleure des façons de démarrer (sa forme un peu introductive se rajoutant à celles précitées alourdit le début) mais elle a le mérite de préchauffer les esgourdes. Dans la foulée, "Welcome to hell", le tube d'Hellfire, déboule et ne fait pas dans la dentelle. Placé devant, les basses se transforment en bourdonnement, le thermomètre monte instantanément, la machine est en place. "Dangerous liaisons" et son crooning jazz calme les ardeurs et met en exergue les qualités de chanteur de Geordie Greep et la symbiose remarquable entre chaque musicien. L'autorisation de photographier étant terminé, JC et moi-même partons sonder les différents recoins de la salle pour profiter au mieux du spectacle, à la fois en termes de vue et de son. Il s'avère que le rendu sonore depuis le fond du Bataclan est bien meilleur.

Notons que les Anglais essaient de trouver le bon compromis entre morceaux calmes et tempétueux, et égrainent même des titres non sortis tels que "Faster amaranta", "Askance", ou encore "The magician", histoire de proposer chaque live comme une pièce unique, surtout que leur setlist change à chaque venue. Sans parler des morceaux eux-mêmes qui subissent par moments quelques séances de lifting. Une expérience qui révèle aussi la dualité entre Geordie Greep (guitare/chant) et Cameron Picton (basse/chant). Lorsque ce dernier prend le micro sur "Eat men eat" par exemple, son chant éruptif et saccadé fait de distorsion et de delay vient incarner le diable tant dis que celui de Geordie, mélodieux, apaise l'âme ("The magician" et "The defence" en sont de parfaits exemples). Même "Still", titre chanté de manière douce par Cameron sur la version studio, paraissait habité par le diable. Ce concert a manifesté aussi quelques moments de barbarie musicale totalement jouissives comme la noisy "953" ou encore "Western" avec un Morgan Simpson (batteur) des grands soirs. Seth Evans a également montré tout son talent de claviériste, mais aussi de chanteur sur les deux reprises que se sont accordées le groupe ce soir : "I feel love" de Donna Summer et "Around the world" de Daft Punk.

Black Midi termine ce concert de 1h15 sans rappel avec "Slow", un morceau progressif qui résume pas mal la soirée et le style des Anglais : chancelant, puissant, imprévisible, délicat, gracieux, fou, passionnant, le tout avec maîtrise. On a déjà hâte de s'en repayer une tranche en leur compagnie.