Amplifier - The octopus Si Amplifier a clairement pris son temps pour sortir son troisième album long-format, quelques cinq années après l'excellent Insider, le groupe n'a pas non plus complètement chômé. Produisant ses albums lui-même et ayant expérimenté de près les affres de l'industrie du disque dans toute sa splendeur (les deux premiers opus sont sortis chez Music for Nations et SPV), le groupe est retourné à l'autoproduction en 2008 en livrant un EP intitulé Eternity, non sans avoir auparavant profité de l'appel d'air médiatique provoqué par son précédent opus en tournant en première partie d'Opeth puis Porcupine Tree. Toujours en cette même année, les mancuniens annoncent un troisième effort long-format... lequel ne sortira donc que trente-six mois plus tard.

La raison? En plein enregistrement (finalement étalé entre fin 2008 et mi 2010), Samir Balamir et les siens, qui voulaient au départ enregistrer deux albums à la suite se sont rendus compte que ce qu'ils mettaient en boîte ne forme qu'un seul et même tout... à re-conceptualiser. Si bien que The octopus a finit par être un double album-...concept sorti en digital et au format physique collector accompagné d'un e-book relatant ce qu'est cet opus un peu particulier dont la durée dépasse allègrement les deux heures de musique. Mais nous ne leurrons pas, seul le groupe a compris les tenants et aboutissements de sa démarche (qui consiste à ne pas se revendiquer comme l'auteur dudit album mais à dire que l'album l'est lui-même... allez comprendre). L'important est ailleurs.

Musicalement, le résultat de cette démarche de DIY absolu (autoproduction, auto-distribution) est totalement ébouriffant et après quelques pistes seulement démontrent que l'autre groupe phare de Manchester (après Oceansize) est en train d'atteindre le niveau d'ambition artistique d'un Steven Wilson (le leader d'entre autres Porcupine Tree et référence incontestée de la mouvance prog' depuis plus de deux décennies maintenant) lorsqu'il est au meilleur de sa forme (c'est à dire... tout le temps). Des murailles de guitares prog-rock à l'ultra-reverbération massive ("The wave"), un songwriting pop avec piano/voix jonglant entre intimisme élégant et grandiloquence affirmée ("Minion's song"), Amplifier exhale une superpuissance indie juste étourdissante ("Interglacial spell", "Planet of insects"), avant de se permettre de faire tout ce que l'on vient d'évoquer... en un seul et même morceau (l'immense éponyme "The octopus"). Bluffant à tel point que l'on en vient presque à se dire que le groupe de Manchester ressemble par instants à ce que serait Pink Floyd au XXIe siècle...

Et si l'on freine de nous-mêmes l'emballement, les anglais eux poussent le vice jusqu'à instiller durablement cette impression, en accouchant de titres-fleuves et labyrinthiques dont on comprend de fait, a posteriori, la durée de gestation plutôt longue ("White horses at sea // Utopian daydream", "Trading dark matter on the stock exchange"), alors qu'il nous envoient dans les hautes sphères d'un space-rock, parfois aux frontières du stoner, halluciné mais envoûtant. Avec en prime la notion du "beau" en matière sonore portée par à son paroxysme sur des pièces qui renvoient tantôt à Porcupine Tree (évidemment) pour les passages les plus classieux mais également inventifs, tantôt à Tool pour les épisodes à la puissance exaltées (mais pas que). En clair une démonstration de maestria créative rarement égalée ces dernières années ("The sick rose", "Interstellar") pour un album-somme à la longueur démesurée (assez rare de notre époque) paradoxalement - et c'est tant mieux - jamais ennuyeux ni répétitif, c'est dire le niveau d'écriture atteint par les anglais qui gratifient l'auditeur d'une oeuvre aussi mégalomane qu'aboutie ("The emperor", "Oscar night // Embryo").

5 ans après son dernier album en date, Amplifier a définitivement changé de catégorie, passant du groupe de post-rock/progressif lambda au capital de sympathie évident à un potentiel poids-lourd du genre, prenant ainsi la place livre d'Oceansize (dont il a quelques temps après la sortie de The octopus embauché un ex-membre, Steve Duros) sur l'échiquier musical contemporain, ce en y imprimant durablement sa marque ("Fall of the empire", "Forever and ever"). Difficile dans ce troisième album de pas y voir leur chef-d'oeuvre, aussi inattendu qu'impressionnant. On appelle ça "avoir la classe" par ici...