Cet été, grâce au W-Fenec, j'ai pu réaliser la première (et à cette heure, la seule) interview de ma vie. Et je peux dire que j'ai été gâtée, puisque les "victimes" n'étaient autres que deux membres d'un groupe monumental, emblématique de la musique qui représente "toute ma jeunesse", comme disent les vieux ! Après un moment de panique de courte durée (si tu veux savoir pourquoi, je te recommande de lire l'excellent report de Gui de Champi), le branle-bas de combat pour la préparation des questions (merci Oli et pardon à sa petite famille de l'avoir accaparé une paire d'heures !), Gui et moi avons donc eu la joie de rencontrer Will DuVall et Mike Inez d'Alice In Chains, et l'immense surprise de découvrir deux types complètement à la cool, visiblement contents d'être là et de se prêter à l'exercice.
Peut-être étaient-ce nos sourires béats qui les ont amusés. L'échange commence sur une remarque approbatrice de Mike sur le T-shirt Motörhead de Gui, qui lui répond qu'il a adoré leur concert du Hellfest.
Alice in Chains (Main Square 2014)
Pouvez-vous nous parler du prochain album Rainier fog attendu pour la fin août ? Les deux premiers morceaux "The one you know" et "So far under" sont du Alice In Chains pur jus, doit-on s'attendre à des surprises ?
Will : C'est difficile à dire pour nous parce que nous en sommes tellement proches. D'après les premières réactions de ceux qui ont écouté l'album en entier, certains trucs semblent avoir agréablement surpris les gens. Mais ça fait partie du jeu : on crée l'album, on le laisse vivre sa vie et une fois qu'il est sorti, chacun réagit à sa manière. Toutes les réactions sont aussi valables que les nôtres, donc vous allez devoir l'écouter vous-mêmes pour vous faire votre propre opinion.
La pochette de l'album semble un nouvelle fois chargée de symboles, est-ce une demande de vos soins ou une volonté de l'artiste ?
Mike : Nous sommes assez impliqués à toutes les étapes et ça a toujours été le cas. Mais je vais appuyer ce que disait Will : les artistes créent des choses pour que les autres les traduisent. Donc en quelque sorte, ce que vous pensez de la symbolique de la pochette ne nous regarde pas. C'est à vous de vous l'approprier. Nous, on a donné naissance au disque et maintenant, il ne nous appartient plus. C'est votre disque. On préfère que ça se passe comme ça, on n'aime pas que ce qu'on fait soit trop figé et évident. Mais il y a quelques secrets rien que pour nous sur ce disque.
Vous n'avez pas donné de concert en 2017, la scène vous a manqué ?
Mike : Toujours !
Will : Oui et non. Ça fait du bien de s'arrêter un peu de jouer devant le public, ne serait-ce que parce qu'on a besoin de vivre tout simplement, d'intégrer la vie normale. Mais aussi en 2017, on a passé toute l'année à enregistrer. Quand on passe en mode "enregistrement", quand on entre dans cet état d'esprit qui est nécessaire pour enregistrer, c'est très difficile d'en sortir et de penser à autre chose ou de faire autre chose. Mais l'idée, c'est que quand on a terminé d'enregistrer, et c'est un processus qui est souvent long, surtout dans ce groupe, on a toute cette joie qu'on emporte avec nous en tournée. Quand il est temps de remonter sur scène, on a toute cette énergie en plus et c'est un bonheur de repartir en tournée. C'est ce qu'on ressent en ce moment, on en est exactement à cette étape-là : on est ravis d'être ici, malgré toutes les difficultés, on est super contents d'avoir de nouveaux morceaux. C'est vraiment un moment cool. Surtout ici, c'est magnifique ! [Ndlr : l'interview s'est déroulée au bord du lac du Malsaucy, en pleine nature]
Mike : Oui, cet endroit est superbe ! Moi, ça m'a manqué. Quand on s'est absenté aussi longtemps et qu'on revient après une année, c'est quand même agréable d'être là. C'est un peu notre habitat naturel, les coulisses des festivals. C'est comme des tribus qui se rassemblent, on retrouve plein de vieux potes qu'on ne voit que dans ce genre d'endroits. C'est cool de voir ces vieux potes et de faire ce qu'on fait. D'un autre côté, plus on vieillit et plus on apprécie de rester un peu plus à la maison. Comme disait Will, on a besoin de vivre notre vie. Si on passait notre temps en tournée, puis à enregistrer, puis en tournée à nouveau, sans vivre un peu entre les deux, vous n'entendriez que des chansons sur le repas qui était dégueu, mon vol agité, la femme de chambre de l'hôtel qui faisait trop de bruit, tu vois ?
Will (qui feint de s'énerver) : La mauvaise marque de flotte en coulisses !!! (rires)
Tu n'aimes pas celle-là ?
Will : Si, celle-là je l'aime bien mais celle-là, je l'aime pas !!! Je déteste celle-là, je la déteste !!! (rires) Et j'ai envoyé un mec m'en chercher exprès. non, je déconne.
Mike : Tu vois, tu n'aurais pas envie d'écouter ça pendant tout un album !
Will : Oui, exactement ! Toutes les chansons ne parleraient que de ça !
Mike : Personne ne veut que toutes ses chansons parlent de ça. Donc c'est bien de vivre un peu et d'écrire des choses sur la vie, et après libre à chacun de les traduire.
Vous avez joué au HellFest il y a 15 jours, dans un festival métal. Vous qui êtes difficilement qualifiables, êtes-vous plus à l'aise dans un festival clairement orienté ou dans un festival à la programmation éclectique ?
Will : Je trouve que les deux ont leur charme et on a de la chance de pouvoir faire un festival comme le Hellfest, et ensuite d'en faire un comme celui-ci, aujourd'hui à Belfort. C'est un peu la musique qui décide, d'un point de vue sonore, et elle s'adapte bien aux différents cadres. Nous on est plutôt contents de jouer n'importe où. Certains d'entre nous peuvent avoir une préférence personnelle pour un festival comme celui-ci, ou le Werchter en Belgique, qui sont un peu plus diversifiés, mais au fond, on arrive et on est qui on est, on fait ce qu'on fait, on espère que tout se passera bien et d'habitude ça le fait !
Mike : Ce qui est cool dans notre groupe, c'est qu'on peut avoir plusieurs cordes à notre arc. Moi, je suis le mec "Heavy", j'adore le Hellfest ! Vraiment je kiffe ! [Ndlr : cette année était le deuxième passage d'AIC au Hellfest, et Mike a visiblement trouvé l'édition 2018 beaucoup mieux organisée. En effet, en 2006, il s'est retrouvé en fâcheuse posture à cause d'un problème de ravitaillement. en papier toilette.] Mais on peut aller jouer au Hellfest et ensuite. Le concert d'hier soir est un bon exemple : on a joué au Montreux Jazz Festival et on a fait un set acoustique. On a juste dit : "on ne va pas prendre les amplis, on va jouer avec des guitares acoustiques". Ce sont deux expériences très différentes : l'une devant 50 000 personnes habillées en noir qui ressemblent à des fantômes, l'autre à Montreux, au bord du lac de Genève, où tout le monde est détendu avec son verre de vin en train de manger du fromage dans une ambiance festive... Ce sont deux choses complètement différentes mais c'est bien pour nous de vivre les deux. On n'a peur de rien, on joue n'importe où... après toutes ces années, des milliers de concerts... et ils sont tous différents, ça c'est génial !
Vous avez été une pierre angulaire d'un son et d'un état d'esprit dans les années 90, que vous inspire le rock d'aujourd'hui, où aucune icône ne semble émerger ?
Mike : Je suis sûr qu'ils sont là, quelque part. Simplement, ils ne font pas de marketing, derrière une major ou un gros label. Je suis sûr qu'il y a un gosse dans un garage qui sera le prochain Kurt Cobain ou David Bowie. Je l'espère ! Et j'espère que les étoiles s'aligneront bien pour cette personne et qu'elle pourra reprendre le flambeau quand on prendra notre retraite. Je pense que le monde a besoin de la musique, que c'est très important et que c'est une vocation noble. Et je pense qu'on devrait soutenir ça. C'est dommage que ce ne soit pas tellement le cas aux États-Unis. Les programmes artistiques sont retirés des écoles publiques. Et moi je suis un produit de l'école publique où on jouait de la clarinette et du saxophone dans la fanfare, où on marchait au pas en jouant de la clarinette, tout ça. Je trouve ça très important, ça manque. Alors peut-être que c'est notre faute si aucune icône n'apparaît. Cela dit, il y a toujours quelqu'un !
Will : Oui, ils sont là, quelque part comme dit Mike. C'est une question de business. L'économie de ce secteur et sa structure ont subi des changements tellement fondamentaux que c'est devenu d'autant plus difficile de vraiment soutenir un nouveau groupe à un niveau qui lui permettrait d'être connu partout dans le monde. Bien sûr, tous les gamins peuvent former un groupe, comme moi et mes potes au début de l'ère du Hardcore où on pouvait sauter dans un break pour faire des concerts improvisés dans différentes villes, devant notre scène, tout ça. C'était très underground et en même temps c'était beau ! Mais pouvoir subventionner et soutenir les prochains Guns and Roses ou les prochains Nirvana. on parle d'un gros paquet de fric, c'est un investissement majeur. C'est de plus en plus difficile et si jamais ça se produisait comme par miracle, ce serait aussi de plus en plus difficile pour les groupes ou les artistes concernés de se faire payer à la hauteur du public qu'ils pourraient générer. On vit vraiment une époque bizarre au sein de l'industrie musicale mais peut-être que quelqu'un réussira à secouer tout ça dans la prochaine décennie !
Mike : Et pendant ce temps-là, nous on continuera de jouer ! On n'est absolument pas qualifiés pour faire autre chose, c'est ça notre boulot ! Vous n'allez pas venir nous chercher alors c'est à nous de venir vous voir. C'est pour ça qu'on est là, on est venus jouer pour vous.
Will, y aura-t-il une suite à tes aventures avec Giraffe Tongue Orchestra ?
Je l'espère ! On est tous très occupés en ce moment avec nos groupes et nos projets respectifs. Mais je pense que c'était un disque très important pour nous tous et nous sommes très heureux de l'avoir créé. On l'a ressenti comme une étape importante dans nos carrières et nous sommes ravis que de nouvelles personnes continuent de le découvrir. Malheureusement, ce disque n'a pas eu la promo qu'il méritait. On n'a pas pu faire autant de concerts qu'on aurait voulu mais ça changera peut-être un jour, au moins pour les concerts. Si on ne fait pas de nouveau disque, j'aimerais au moins refaire quelques concerts pour celui-là. Ce serait génial.
Que retenir de cette expérience ? Qu'on peut être un monument du rock et avoir les pieds sur terre, que Will Duvall est un vrai canon (!!!) et que les caprices de star ne sont plus ce qu'ils étaient.
Merci à Ephelide, Laurent BMG, Oli et Gui de Champi pour les questions.
Photo : Oli
Publié dans le Mag #34