AkiRa, ça fait déjà bien quelques mois qu'on le suit. Un an et demi après le lancement de son projet "semi"-solo et déjà 3 disques au compteur on se pose quelques minutes avec lui le temps d'évoquer son actu récente, ses projets, sa manière d'écrire et ses ambitions artistiques avec le projet Airborne Particles.
Allez, pour faire comme tout le monde, tu es nouveau dans la classe, tu te présentes... non je déconne je l'ai déjà fait dans ma bio, donc question suivante (oui t'as même pas le temps d'en placer une mais c'est le concept...).
Plus sérieusement, en un an et demi d'existence, le projet Akira & the Airborne Particles a vu naître déjà 3 disques. Deux albums et un EP, premier volet d'une série de disques collaboratifs. Tu comptes poursuivre longtemps à ce rythme ?
A vrai dire, je n'en sais rien. J'ai décidé arbitrairement de produire un disque par trimestre pour sortir du cadre habituel du groupe ou de l'artiste qui compose, pré-produit, enregistre, mixe, etc. et ainsi espace ses disques de plusieurs années. Je voulais casser le moule, marquer une différence, comme une force, un argument, une originalité. Que le public ou les médias se disent "mais c'est qui ce type qui sort tout le temps un nouveau truc ?" Et finissent par jeter une oreille au projet. Mais sincèrement, au fond, je me rends compte peu à peu que c'est une forme de besoin que j'ai aujourd'hui. Je me fiche un peu du succès que la démarche peu avoir "promotionnellement" parlant désormais. Je continue à me fixer un cap à chaque trimestre, parce que ça m'occupe, que ça me fait vibrer.
Du coup, pour répondre clairement à ta question : je compte poursuivre à ce rythme aussi longtemps que cela me semblera possible, que j'en ressentirai l'envie ou le besoin, que ça comblera quelque chose en moi.
J'ai entendu parler d'un EP avec Baptiste de Simone Choule et Yohan de My Own Private Alaska mais également d'un deuxième épisode de la série Ek Bara Mala, j'ai bon ?
Oui. Je travaille actuellement sur un disque avec Baptiste et Yohan, dans la veine de ce que nous avons fait avec "The Mathematics of Mind" (sur Ek Bara Mala #1). Ça me permet de créer des univers différents de ce que je fais tout seul, de puiser dans des influences très différentes (Cave in, Jane's Addiction, Oceansize, The Mars Volta...), de bosser sur des idées qui auraient difficilement leur place dans un disque "en solo", et bien sûr de travailler avec ces deux fantastiques musiciens. Nous avons humainement et artistiquement un passé commun fort, et ça me tenait à cœur d'honorer ça. Je suis très content de "The Mathematics of Mind" et ce disque réservera des surprises je pense. Nous l'enregistreront cet été a priori.
Pour ce qui est de Ek Bara Mala #2, évidemment j'y pense, j'ai contacté de futurs "collaborateurs", et j'ai quelques idées dans le sac. C'est un projet plus difficile à monter car il faut que les emplois du temps coïncident, etc... et puis j'ai envie d'aller plus loin que sur le premier volume, à tous les niveaux, donc je réfléchis encore un peu au concept global de ce disque avant de me lancer dans sa réalisation, mais l'excitation est bien là.
Je ne sais pas quand ces 2 projets aboutiront concrètement. Je travaille également sur un autre disque, j'en suis à l'élaboration de son concept. Je ne voudrais pas en dévoiler trop pour l'instant (vu que ça n'est pas encore fixé), mais il se peut que ça développe sur un album entier une des facettes de ma musique, que ça soit plus ramassé au niveau du style et de l'écriture. Plus expérimental aussi peut être. Il se peut également qu'il sorte avant les 2 autres projets.
True love waits, avant d'être le nom du premier album d'Akira & the Airborne Particles, c'était (surtout) un titre de Radiohead. Ce n'est pas difficile à porter vu l'aura que renvoie le quintet d'Oxford ? C'est un peu ton hommage à une influence évidente pour toi ou plus un coup de bluff dans le style ("allez et pourquoi je n'oserais pas l'appeler comme ça cet album ?") ?
Les deux et en même temps ni l'un ni l'autre. Ce titre s'est imposé à moi, comme cet album s'est imposé à moi d'ailleurs : ça a été une expérience exutoire dans une période assez difficile de ma vie. Composer, écrire, produire a été très salutaire, et très spontané surtout. Il n'y avait pas de projet d'album au départ, juste des chansons qui venaient frapper à la porte de ma conscience, et qui se devaient d'exister pour que j'aille mieux. Il fallait que je fasse sortir des choses, que je prenne de la merde et que j'en fasse des choses belles, pour les exorciser. Ainsi le titre s'est également imposé à moi, comme ça, un jour, dans la rue. Et puis je me suis dit "mince, c'est un titre de Radiohead", mais ça collait tellement naturellement à mon projet. alors bien sûr j'apprécie et respecte énormément Radiohead, et il y a un clin d'œil. Et bien sûr j'ai voulu aussi me détacher de ça et respecter mon ressenti, et ainsi coller à la spontanéité initiale du disque.
Ek Bara Mala, le deuxième opus du projet à voir le jour est le premier volet d'une série de disques collaboratifs. C'est donc quelque part, le versant « collectif » de ce projet plus ou moins solo où je te vois personnellement comme l'architecte d'une entité musicale finalement à géométrie variable. Les deux albums que tu as sortis par contre, sont plus, à mon sens, des travaux de soliste. Tu es d'accord avec cette définition d'Akira & the Airborne Particles qui reviendrait à dire que c'est un projet finalement mi-solo/mi-collaboratif ?
D'une certaine manière, oui. Je considère 28 days later comme mon deuxième album, même si c'est mon troisième disque. Ek Bara Mala est un projet à part au sein même du projet Akira & the Airborne Particles : c'est effectivement la réponse à l'envie d'être parfaitement libre de travailler avec des gens si je le souhaite. J'ai eu envie d'un projet solo par lassitude des contraintes qu'imposait le fonctionnement d'un groupe. Mais je n'ai pas envie de tomber dans l'excès inverse, et de me borner à être seul tout le temps, coûte que coûte. Ce projet est plutôt, comme tu disais, à géométrie variable : seul, à plusieurs, en trio, des albums, des EPs, avec du chant, instrumental, etc. En fait je ne me fixe aucune limite, je fais ce qui me semble le plus intéressant à un moment donné. Si j'ai envie de faire un disque uniquement avec une guitare sèche et en français, je le ferai.
Comment tu as travaillé sur Ek Bara Mala #1 ? Tu apportais un matériau de base et tu le faisais évoluer avec les différents musiciens participants ? Chacun venait avec ses idées et les mettait en commun ? Vous jammiez jusqu'à ce qu'il en sorte quelque chose ?
Chacun des 5 titres a été produit de manière différente, c'était très ludique.
La plupart du temps l'idée initiale est de moi, sauf pour "A psychopath in your bed" qui vient d'une ligne de basse de Pelo (Simone Choule). Le morceau découle d'une idée de featuring que je devais éventuellement faire chez Simone. Finalement on a inversé les rôles !
La plupart des morceaux ont été composés à distance, via des transferts de fichiers par internet, sans se voir. Sauf pour "The Mathematics of Mind". Vu qu'il y avait de la batterie, on a loué un box de répèt pour arranger, et un studio pour enregistrer le tout. J'avais écrit les riffs principaux à la basse, et le thème de guitare du "couplet". Baptiste m'a soumis l'idée de rajouter une partie plus calme, j'ai alors composé le pont et la fin, et fixé la structure sur laquelle on a posé les arrangements. Il a écrit le chant et les paroles, j'ai rajouté du texte à ça.
La plupart du temps, la première idée que je proposais plaisait au "collaborateur", sauf pour "L'influence de la Noire". J'ai proposé des riffs à Benjamin (MacZde Carpate), mais l'état embryonnaire ne l'a pas porté. Je lui ai alors envoyé une instru structurée et arrangée, mais la couleur du morceau ne l'inspirait pas. J'ai eu peur de ne pas trouver avec lui de "terrain d'entente" malgré notre envie commune et avouée d'y parvenir. Je lui ai proposé d'inverser les rôles : qu'il m'envoie un texte sur lequel j'écrirais de la musique, et il ferait le chant à partir de là. Mais un matin j'ai écrit un riff. Trois heures plus tard une instru complète était prête, je la lui ai envoyée, et au même moment, il m'avait envoyé un texte. Sans avoir lu ou écouté ce qu'avait fait l'autre, on était allé dans une même direction, étrangement. Le lendemain matin je recevais ses pistes voix. Ça a été le dernier titre composé et le premier terminé finalement !
Pour "Another | New | Next | Again" c'est Bernard (Sibyl Vane) qui a fait la plus grande partie du boulot de structure et d'arrangement, à partir des riffs de guitare. Pour "I can see (confusion song)", j'ai également envoyé au Dona Confuse le sample de basse uniquement, alors que j'avais jadis composé une structure et des arrangements pour celui-ci. Ils m'ont renvoyé leur vision du morceau, qui, sans le savoir, collait parfaitement à ma structure et mes arrangements initiaux, que j'ai alors réintégrés en partie. Le résultat m'a transporté, et le chant est venu alors très naturellement.
Il faut dire que pour chaque titre, j'ai cherché à donner à chacun un thème qui, de mon point de vue, pouvait se rapprocher un peu de leur univers. Je n'avais pas envie de les piéger, je voulais qu'ils se sentent à l'aise avec l'exercice.
28 days later, le troisième disque vient de voir le jour il y a quelques semaines. Le concept était d'enregistrer un titre par jour. Au-delà de l'aspect "contrainte", ce n'était pas compliqué à gérer le fait de s'imposer d'écrire quand l'inspiration n'est pas forcément aussi intense que la veille ? Tu es un stakhanoviste de l'écriture toi aussi ?
L'intérêt du concept de cet album était de nourrir la création avec toute ma vie durant ce mois : le manque de temps, les contraintes de planning, la fatigue, le doute, la lassitude sont autant de moteur à l'inspiration que le reste. Par exemple, le morceau "In the middle of nowhere" marque le jour où j'étais complètement perdu au cœur du projet. Je ne savais plus pourquoi je le faisais, pourquoi je me cassais la tête chaque jour à essayer de construire des choses belles et réfléchies. Je faisais un rejet. En réaction, j'ai enregistré tout ce qui me passait par la tête, sans réfléchir : des bruits concrets, mon dictaphone, des pistes de guitares improvisées et jouées de façon exutoire, sans attacher la moindre importance à la qualité de l'interprétation, au tempo, à l'harmonie ou à la logique. J'ai fait ça et je suis sorti prendre l'air. Il en ressortait un morceau complètement fou mais qui avait tout son sens ce jour là : Il a été une soupape qui m'a permis de mieux repartir le lendemain, comme un grand cri.
Les dernières pistes n'ont pas de titre : j'étais complètement harassé, je n'avais plus de fond, d'idée de texte, de thèmes. Je me laissais guider par le peu d'inspiration qu'il me restait, des envies essentiellement musicales, intuitives. Et pourtant parmi eux il y en a un qui n'a pas de titre par choix de ne pas expliciter son inspiration, de ne pas lui donner de l'importance. Mais je ne dirai pas lequel, forcément.
Du coup, la question que tout le monde se pose est la suivante : comment écrire autant avec une qualité constante ? Est-ce une question d'entraînement, de discipline, d'environnement propice à l'inspiration ?
Je pense que c'est en désacralisant un petit peu la création que je suis devenu plus créatif. Quand je me suis rendu compte que, paradoxalement, tout pouvait être de l'ordre de la création. Tout est question de point de vue : la beauté peut être contemplée en toute chose, à tout moment. Chaque sensation, chaque émotion peut être exprimée par une toile, une chanson, un dessin. L'accepter permet de voir un vivier inépuisable d'inspiration, la vie est un matériau unique pour ça, pour peu que l'on se donne la peine de l'observer, d'en tirer quelque chose.
J'ai personnellement perdu beaucoup de temps en cherchant à composer dans les mauvaises directions, en voulant à tout prix me défaire des schémas, accords, sons qui ont déjà été produits auparavant. C'était d'un orgueil ! Il y a tant à faire en apprenant de ce qui a été fait. J'ai appris l'importance de l'interprétation, l'émotion que l'on peut insuffler à sa création, au delà de son originalité "stylistique". Je donne aujourd'hui un rôle important à tout ça dans ma vie, j'essaye de préserver cette fraîcheur qui m'est apparue un soir. En fait, c'est en désacralisant la création que je me suis mis à la respecter de façon presque sacrée !
Electro-pop, trip-hop, rock indé, hip-hop, il y a pas mal de choses différentes dans les albums, des mélanges assez difficiles à définir et qui forment un tout quelque part assez malléable. Comment présenterais-tu la musique d'Akira & the Airborne Particles à quelqu'un qui ne l'a encore jamais écouté ?
Je ne sais pas si parlerais de genre ou de style. Je dirais : "c'est la musique d'un gars qui fait tout, tout seul, qui sort un disque par trimestre, et qui, pour l'un d'eux, a écrit un morceau par jour pendant un mois". Le projet dans sa globalité, avec ses contraintes et ses concepts, me semble plus intéressant, original et novateur que les étiquettes qu'on pourrait y coller. Je ne fais pas un patchwork de styles pour faire "ouvert d'esprit" : je me fiche complètement des chapelles, des codes, donc je me contrefiche de les dépasser, ou des les mêler entre eux. Je ne réagis qu'à mon inspiration. Je trouve plus excitant un John Frusciante dont on va dire qu'il sort 6 albums de lo-fi en 6 mois qu'un Mike Patton dont on dit qu'il mixe dans le même morceau de la bossa avec du death (même si j'aime beaucoup Mr Bungle et d'autres projets du monsieur). Le concept du premier me paraît plus poussé et intéressant, car il dépasse la forme stricte de l'œuvre. Il dépasse même le fond, d'une certaine manière. Ça devient une expérience, une somme, pas juste une performance stylistique.
En écoutant notamment les morceaux du dernier album, je me suis dit que ta musique était à la fois, personnelle, introspective en appartenant à un univers, mais qu'en même temps elle s'ouvrant vers l'extérieur via des collaborations, des reprises également comme celles de Gojira et Punish Yourself ? Il y a toujours cette dualité que j'évoquais précédemment avec le côté mi-solo/mi-collaboratif du projet.
Quand je réfléchissais au concept de cet album, je me disais que des participations seraient possibles, si le moment, l'endroit, l'envie y étaient propices. Ça n'a pas été le cas, mais il y aurait très bien pu y avoir des "gens de passage". En cela, l'album aurait pu intégrer une dimension participative. Mais finalement, je pense qu'il est surtout le fruit de ma solitude, transcendée, jusqu'au-boutiste. Un album sur un gars qui raconte en solo un mois qu'il a passé tout seul face à sa création. Ma vie sociale a quasiment disparue pendant ce mois de février. J'étais obsédé par ce disque. J'étais dans un état de nervosité très intense tout le temps, craignant de ne pas avoir l'inspiration, le temps. Puis je ressentais de l'euphorie, du doute, de la lassitude, du rejet face au projet. Et tout ce que je vivais je le transformais en musique, tout de suite et très naturellement. Je ne sais pas si une telle plongée intérieure est possible au sein d'un groupe.
Sans label, tout en autoproduction, c'est une volonté de passer outre les circuits de distribution traditionnels ? Même si tu collabores avec Antistatic, tu ne voudrais pas dans l'absolu travailler avec un label avec toute la machine promotionnelle que cela suppose ?
Si, pourquoi pas. Mais j'ai travaillé longtemps dans le milieu du disque, et j'ai vu à quel point il était difficile de signer sur un label aujourd'hui, pour un projet neuf et sans notoriété. Alors plutôt que d'attendre qu'on s'intéresse à moi pour sortir des choses, j'ai décidé de les sortir par moi-même. Tout d'abord, la sensation d'accomplissement est très agréable, et je pense au contraire que cela peut attirer l'attention. Mais c'est un projet qui peut s'arrêter à tout moment, pour lequel je n'ai pas de plan de carrière établi, pas envie de faire du live pour la promotion des disques : bref, c'est un peu compliqué pour un label de travailler un projet si loin des "normes" je pense.
Mais si des gens sont intéressés pour proposer quelque chose autour de ce projet, je ne suis bien sûr pas fermé à la discussion, au contraire, j'aime bien l'idée que tout cela peut encore évoluer.
Les packagings de tes disques sont pour le moins originaux, fouillés mais élégants et sans excès, tu voulais absolument éviter le format CD de base ?
Non, je cherchais quelque chose d'original, de beau et pas cher à fabriquer en autoproduction. L'idée visuelle que j'avais ne rentrait pas sur un format carré comme le cd habituel. Alors j'ai cherché du côté d'un format plus proche de la couverture de livre, et il s'est avéré que je m'y retrouvais plus, tant sur le plan artistique que financier.
Voilà, dernière question avant que je referme cette interview, alors je la joue « j'ai la flemme » et je te laisse quartier libre pour conclure.
Merci.
Merci à AkiRa.
Illustrations : www.myspace.com/theairborneparticles