Zèbre de Belleville, 19h pile. Devant la porte de secours de la salle fermée se tient Pelo (basse) qui m'invite à rentrer. Les dernières balances et réglages s'effectuent sous mes yeux, salutations aux artistes puis direction dans les loges d'Agora Fidelio. L'heure de la soupe ayant sonnée, c'est donc Pelo (basse) qui me reçoit la première moitié de l'entrevue tandis que Milka (chant, melodica) la termine.
Votre actualité c'est la sortie du premier volume de la trilogie "Les illusions d'une route". Pouvez-vous nous en dire plus sur ce concept ? La genèse ?
Pelo (basse) : On a fait une longue pause qui a duré entre trois et quatre ans et avions vraiment le besoin de tous se retrouver pour proposer du nouveau son aux personnes qui nous suivaient auparavant. On ne se sentait pas de sortir un album de 12 titres, on a donc réfléchit à l'idée de créer une série de disques qui comporteraient des liens entre eux. D'une part, cela permettait de se concentrer sur des productions plus petites et d'autre part de travailler sur une période plus longue. C'était plus facile pour nous et c'était une manière d'être dans l'actualité plus longtemps.
Évidemment, l'idée ne s'arrête pas là. Il fallait trouver quelque chose pour que ces disques s'unissent. Je pense qu'avec cette trilogie nous revisitons l'histoire d'Agora Fidelio dans le sens où tu as un premier volet avec Barcelone qui pourrait représenter les débuts du groupe, s'en suit une petite période de désenchantement incarné dans Bagdad et la reprise chargée de dix ans d'histoire qui sera illustrée dans Belfast.
Cette sortie arrive tout juste 9 ans pile après la catastrophe de l'usine AZF ? J'imagine que ce n'est pas un hasard ?
P : On n'a pas pu s'en s'empêcher. Sortir le premier volume un 21 septembre à 10h17, une fois de plus, c'était également par rapport à l'histoire d'Agora Fidelio. "10h17", c'est un morceau du premier album, Une histoire de chair, et cette date symbolisait la reprise du groupe.
Le groupe était à Toulouse à l'époque, comment as-tu vécu cet évènement ?
P : Je sais pas ce que faisait Jouch à l'époque (NDR : Pelo est arrivé dans le groupe en 2007 après le départ d'Akira) car je ne le connaissais pas encore mais moi j'ai pris l'explosion de plein fouet. J'étais au centre-ville et j'ai été propulsé sur 2 mètres. Non seulement ca a touché Toulouse mais ca s'est ressenti jusqu'à Carcassonne qui est situé à 80 kilomètres. Toutes les vitres des commerces étaient éclatées et le pire dans tout ça c'est que, sur le coup, tu n'en connais pas les raisons. C'était flippant !
D'ailleurs pourquoi cette "route" ne s'arrête pas dans votre ville ?
P : Ça aurait trop facile ! C'était trop prêt et pas assez imaginaire, cela aurait été dommage de s'arrêter à Toulouse. Il fallait que nous soyons transcendés par l'image des autres cités et ca passe forcément par le besoin de voyager un peu comme le rôle de la musique.
Avez-vous déjà commencé à composer les deux autres ? Si oui, est-ce que l'idée va être de faire une suite logique ou faire trois disques différents ?
P : L'intérêt de ces trois volumes est de faire profiter aux gens de trois voyages différents en terme de composition et en terme de production. Maintenant c'est à nous de sortir de nos habitudes d'écriture. Ça va être difficile d'illustrer musicalement Bagdad parce qu'Agora Fidelio est un groupe neurasthénique et mélancolique. Il va falloir sortir un peu de nos rails tout en gardant notre âme. Je pense que la solution passera par un gros travail de production. De toutes les façons, Bagdad sera un disque qui dévoilera des côtés sombres. Pour Les Illusions d'une route : Barcelone, les compositions sont plus aérées mais le suivant, je l'aimerais contrasté. Il sera probablement plus éthéré, un peu à la manière d'Une histoire de chair. C'est comme ça que je l'envisage en tout cas.
Une idée de la période de sortie des deux autres ?
P : Il y aura à peu près six mois d'intervalles entre les disques. Mais je ne te garantie pas qu'on ne prendra pas de retard. L'important c'est de ne pas se sentir stressé par une dead-line et de donner quelque chose qui ne serait pas à la hauteur de Les Illusions d'une route : Barcelone même si on peut toujours lui trouver des défauts. Pour tout te dire, "Barcelone" est l'album dont je suis le plus content alors les suivants doivent être à son niveau sinon mieux. Il faut du temps, le premier volume des "Illusions d'une route" nous a pris deux ans et demi. Pour les deux suivant, le temps est plus réduit même si on a déjà d'anciennes idées de compositions qui resurgissent.
Votre pochette représente un cerf. Quelle est l'idée derrière la représentation de cet animal ? C'est tout ce que vous inspire Barcelone ?
P : C'est marrant l'idée de toujours vouloir trouver des liens entre la pochette et le contenu du disque. Comme je te le disais tout à l'heure, Les Illusions d'une route : Barcelone représente la genèse du groupe, la plus belle, avec toute cette effervescence autour. C'est mon analyse mais si tu observes bien la pochette, je pense que Jouch a inconsciemment inversé les concepts. Si tu regardes bien les anciennes, notamment celles d'Altitude zéro et Le troisième choix, il n'y a pas d'incarnation d'être humain, ce n'est que du décor. Il y a les signes d'une présence certes mais on ne le voit pas, il se tapit quelque part. Pour t'illustrer ça, je vais prendre l'exemple de Le troisième choix : quelqu'un a forcément lâché les ballons ? On a tendance à dire qu'Agora Fidelio est très humain mais, en attendant, c'est pas présent sur les pochettes. Et pour le cas de Les Illusions d'une route : Barcelone, Jouch a voulu justement inverser ça car il y a une absence de cadre, qu'une texture de fond. Et le cerf, qui n'est pas un humain, incarne cette présence que l'on ne retrouvait pas avant. Cela représente aussi le côté "illusion d'une route", car on ne sait pas où va ce cerf, il a l'air complètement perdu. Et on peut même faire un lien avec le redémarrage, la reprise du groupe après quatre ans d'absence. Si tu fais attention à la pochette d'Une histoire de chair, c'est aussi une histoire de textures.
Si vous deviez donner un mot ou un adjectif pour qualifier Barcelone, ce serait quoi ?
P : Ça m'évoque la fiesta !
Comment avez-vous abordé la composition musicale de ce nouvel opus ? Vouliez-vous apportez de nouveaux éléments ou plutôt aller dans la continuité ?
P : Je suis rentré dans Agora Fidelio pendant la tournée du troisième album donc Les Illusions d'une route : Barcelone est mon premier album avec le groupe. Je ne suis peut-être pas le mieux placé pour répondre à cette question mais je pense qu'on a voulu créer une rupture. Ce qui a fait le charme du premier album c'était ce côté lo-fi très éthéré puis les albums suivants ont reçu une production plus travaillée avec d'avantage d'efforts. C'est à partir de là qu'on a commencé à ressentir les éléments post-rock d'Agora Fidelio. Sur quatre musiciens, quand tu en changes un, il y a forcément des choses qui bougent. Je suis arrivé avec ma culture rock-noise que j'ai renforcée dans la formation. On a rendu Les Illusions d'une route : Barcelone plus rock que les autres. Donc la continuité n'était pas notre volonté, par contre on voulait garder cette logique qui nous rappelle pourquoi on est dans ce groupe. Dans le son c'est à la fois proche et différent des anciens albums. Être plus rock, plus "rentre-dedans", sera surement la voie qu'on prendra pour les suivants.
Dans le créneau de votre style musical chanté en français, j'ai l'impression qu'il n'y pas tellement de monde que ça. Partages-tu ce sentiment ?
P : En France, je t'accorde que c'est difficile de trouver des copains, c'est sûr. Agora Fidelio puise dans beaucoup de choses, on incorpore le talk-over par exemple. On a également ce côté post-rock "le cul entre deux chaises" mélangé à un peu de noise et par dessus ça un chant en langue française qui doit être l'élément le plus original de notre musique. On aurait pu se contenter d'être un groupe de rock instrumental, cela aurait fonctionné aussi. Parfois, on nous rapproche de Noir Désir, ce qui est une erreur. On est ni Noir Désir, ni Mogwai, ni Explosions in the Sky, ni même Sigur Ros.
Écrire les textes d'Agora Fidelio, c'est quelque chose de naturel ou une vraie prise de tête ?
P : Non, ce n'est pas une prise de tête. Je ne suis pas non plus dans la tête de Milka pour voir comment ca se passe mais dans l'ensemble ca va vite. Il ressent les choses et ne se pose pas trop de questions. D'ailleurs j'aime bien sa forme d'écriture notamment quand il joue sur les images flashs. Ah ben tiens, le voilà !
(Milka arrive justement au moment où l'on parle de lui )
Milka @ Zèbre de Belleville (2010)
Milka (chant, mélodica) : Ça me vient naturellement mais ca ne signifie pas que ce soit facile. Il y a un automatisme, je fonctionne par les mélodies, la sonorité et le rythme des mots. Parfois les phrases s'imposent à moi, les mots viennent de l'image que j'ai d'une idée. Mes textes ne sont pas forcément évident à comprendre du premier coup mais j'exprime les choses comme je les ressens. La musique définit aussi le sens de mes mots. Je construis mes paroles autour de quelques idées directrices qui m'amènent vers une sensation, une histoire ou une émotion. La prise de tête est présente quand tu as le début mais que tu ne trouves pas le deuxième couplet. L'inspiration vient par salves, par périodes précises. En ce moment, par exemple, elle n'est pas très présente en moi. Le fait est que plus tu te forces à écrire, moins ca vient. Quand l'inspiration vient, faut pas la lâcher !
Quand vous vous consacrez tous à Agora Fidelio, vous mettez de côté vos autres groupes ou vous arrivez à tout gérer en même temps ?
P : On essaie de tout gérer en même temps tout en ce concentrant à 100% à chaque projet.
M : C'est beaucoup d'organisation. La semaine de la première date qu'on avait faite à Paris, j'avais un concert avec Agora Fidelio, je donnais une séance de coaching vocal puis deux dates avec MOPA. On jongle beaucoup avec nos différentes activités. Ça nous ferait plaisir de pouvoir faire 15 jours de tournée avec Agora Fidelio si on avait rien à côté. On essaie d'avoir la tête à tout dans le temps et de faire ça sérieusement. Actuellement, beaucoup de mon temps est consacré à MOPA car il se passe beaucoup plus de choses, on tourne beaucoup. Je suis très heureux de faire ce que je fais avec Agora Fidelio et je veux bien le faire, c'est pour ça que parfois cela prend beaucoup de temps.
Utilisez-vous le même matos (effets, guitare, amplification) à chaque fois dans tous vos groupes respectifs?
P : Oui mais les réglages sont différents
Un petit mot sur Jerkov ? Comment se passe l'évolution de cette structure ?
M : Jerkov était à l'origine un label fondé par Akira (NDR : ancien bassiste du groupe et membre d'Akira & the Airborne Particles), Antonio Uras (batteur de Delicatessen) et moi-même. A l'époque, Jerkov sortait des disques comme un vrai label au moment où les ventes de disques commençaient à sérieusement se casser la gueule. En 2010, les gens ne mettent plus d'argent dans les disques donc la structure a totalement cessé cette activité pour se concentrer au booking d'artistes. Agora Fidelio, étant un groupe géré par Jerkov, n'a donc pas eu de label pour commercialiser Les Illusions d'une route : Barcelone. On ne se voyait pas chercher de labels car ils se cassent tous la gueule. C'est la passion qui nous guide avant tout. Si on commence à penser à tous les à-côtés de la musique, on va vite se flinguer. En terme économique, à quoi ca sert de faire un disque aujourd'hui ? A rien en fait ! Je m'en branle complètement et je laisse des gens de confiance faire ce job. On travaille avec Mathieu Artaud (de l'agence de communication Mathpromo) qui est une personne en qui nous avons confiance et qui respecte énormément les artistes. Donc maintenant on est émancipé de Jerkov niveau label, la structure se charge de booker les quelques concerts d'Agora Fidelio.
Cats On Trees fait parti du roster Jerkov, peux-tu nous les présenter ?
M : Je ne vais pas être très objectif vu que je m'en occupe et qu'on a des liens qui nous unissent (NDR : Le duo est originaire de Toulouse et est composé de Nina Goern d'Aeria Microcosme et de Yohan Hennequin de MOPA). Quand je les ai découvert, j'ai de suite ressenti une ambiance particulière. Ce groupe a vraiment avancé en très très peu de temps, progressé à vitesse grand V en seulement deux ans. Ils ont gagné le tremplin régional du Printemps de Bourges. Pas mal de professionnels suivent le projet car le retour artistique est énorme par rapport à la fraîcheur de leur son. C'est très original avec des références hyper classes (NDR : The Dresden Dolls, Regina Spector) mais recrachées de manière personnelle. Ils viennent d'enregistrer un EP 3 titres Tiki tiki boy sous la houlette de Pierre Rougean qui a déjà travaillé avec The Dodoz. Ces derniers sont de Toulouse également et ce sont des jeunes qui ne font pas de la musique pour jeunes. Pour moi, c'est la crème du rock estampillé "bébés rockeurs". Ils ont 500 fois plus digéré leurs influences que des merdes comme BB Brunes ou Plastiscines. The Dodoz a réussit à trouver un public grâce à un buzz et font un carton actuellement. C'est efficace sans tomber dans la facilité et je pense que c'est la raison pour laquelle Pierre s'est intéressé à eux. Tout comme Cats On Trees d'ailleurs. C'est la première fois qu'on joue avec eux et ce sont tous des fans d'Agora Fidelio.
Un groupe du roster à écouter d'urgence ?
M : Imaad Wasif (NDR : Milka porte le T-shirt du songwriter et me le montre). C'est un canadien d'origine indienne qui vit à Los Angeles. C'est la version indienne de Devendra Banhart avec des cheveux longs, 40 kilos tout mouillé et une dégaine super particulière. Pour moi, c'est un mix très bluffant entre Jeff Buckley et Black Sabbath. J'ai rarement entendu une voix aussi forte, puissante et classe que Buckley. C'est inné chez lui, il chante comme si il parlait. C'est assez monstrueux d'autant plus qu'il incorpore un côté rock très arpégé, très superbe, qui part un peu en stoner parfois.
Et c'est une découverte que tu as faite à Los Angeles ?
M : Pas du tout ! Je travaille pas mal avec d'anciens de chez Conspiracy Records qui est un label ayant œuvré dans le booking également. Un des leurs a monté une boîte et a récupéré des groupes de ce label. C'est pour ça qu'on bosse avec Knut ou Black Breath. C'est donc cette personne qui m'a proposé de booker Imaad Wasif que je ne connaissais pas. J'ai donc écouté son album et j'ai pris le risque de m'occuper de lui. Quand tu présentes au public un nouvel artiste complètement inconnu mais super intéressant, il y a comme une certaine fierté. Il a fait trois dates en France dont une à Toulouse qui a ramené 130 personnes dont 115 étaient complètement retournées par sa prestation. C'est pas mal pour un artiste qui n'a pas encore de renommé. Et tout ça sans grosse promo !
Pour terminer, nous allons passer aux questions des lecteurs :
Agora Fidelio au Zèbre de Belleville (2010)
A quand une participation de Frederika (Manatine) et de Tristan (MOPA) dans Agora Fidelio ?
M : Le prochain guest d'Agora Fidelio ne sera pas un garçon. On a déjà fait deux morceaux en live avec Frederika qui a une magnifique voix typée soul-jazz. C'est la voix féminine des samples de Sidilarsen mais également celle de la chanson "The shroud" de Naïve (NDR : formation dans laquelle exerce Jouch). Sa voix est vertigineuse sur ce titre. Au sujet de Tristan, c'est quelqu'un qui ne sait pas jouer autre chose que ses compositions, il est un peu autiste de ce côté là. Aucun guest avec Tristan n'est donc prévu au programme, par contre, il a fait une version personnelle d'une chanson d'Altitude zéro au piano présente sur le EP Finir à Paris qui m'a beaucoup touché.
A quand un passage du côté du Mans ou d'Angers ?
M : On n'est pas dans les trips de tournées, tout ça. Agora Fidelio n'est pas une musique qui soutient bien les conditions de qualité d'écoute pour le spectateur. Notre musique est fragile donc on ne peut pas jouer dans un PMU par exemple, on ne fait pas de la noise ! Et puis je me mets à la place des personnes qui viennent nous voir et qui seraient dérangés par des types trop bruyants à côté. Ça ne le ferait pas ! Je reste convaincu que les programmateurs seront minoritairement favorables à notre venue. Il faut déjà qu'ils arrivent à comprendre qui nous sommes. Mais cela peut changer car Les Illusions d'une route : Barcelone est un album moins rédhibitoire qui détient des facettes plus accessibles que les précédents. Ce n'est pas forcément une chose voulue mais on l'a ressenti quand on a réécouté l'album une fois terminé.
A Perfect Circle est de retour... Vous allez les contacter pour faire leur tournée ?
M : (rires) Si seulement ca se passait comme ça !
Merci Milka et bon concert !
M : Merci à toi surtout !
Remerciements chaleureux à Mathieu Artaud, Agora Fidelio et le Zèbre de Belleville (Big up à la Valmy !)
Photos : Ted
Re: Agora Fidelio / Conversations en aparté (oct. 2010)
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