Né sur les cendres de ce qui était auparavant Breach, Terra Tenebrosa émerge des profondeurs de la nuit suédoise un jour d'automne 2009. Sa biographie, réduite à sa plus simple expression est, dixit les propres membres du groupe (soit The Cuckoo, Hibernal et Risperdal), ce qui ressemble de près comme de loin à une page blanche. Au printemps 2011, le groupe sort un premier album via Trust No One Recordings (Khanate, Kongh, Switchblade...) et se fait largement remarquer sur la scène indie/hard planétaire, tout en gardant son anonymat relatif. Si bien que l'on n'en sait guère plus sur l'identité précise de ses membres lorsque sort, quasiment jour pour jour deux ans plus tard, l'album The purging, toujours par le biais de la même crèmerie.
Terra Tenebrosa
Biographie > Dans les ténèbres
Terra Tenebrosa / Chronique EP > V.I.T.R.I.O.L. - Purging The Tunnels
Après avoir livré deux albums majuscules (The tunnels en 2011) puis The purging deux ans plus tard, Terra Tenebrosa met fin au premier chapitre de son histoire musicale avant d'évoluer vers d'autres cieux sans pour autant changer d'identité. Une conclusion donc, qui prend la forme d'un EP constitué de deux seuls titres, dont le premier frise à lui seul les 18 minutes tout de même (le second étant 3 fois plus court), issus des sessions d'enregistrement des deux opus déjà sortis par le groupe. Un mini-album que vient salement déflorer "Draining the well" : titre à l'atmosphère insidieusement viciée, appelant à une oppression métallique sourde en flirtant goulument avec les contrées les plus décadentes de la mouvance black-metal. Comme à son habitude, Terra Tenebrosa délivre ici une musique sur-saturée, qui reste tapie dans l'ombre avant de jaillir, quand on ne l'attend pas vraiment (ou plus trop), trancher la gorge de son auditeur. Entre effluves post-hardcore/doom/black-metal, textures dronisantes et climax à la lourdeur possédée par le Malin, les Suédois livrent une partition inaugurale d'une noirceur extrême à laquelle répond "Apokatastasis", ombrageux, viscéral, scellant définitivement cet EP en forme de voyage sans retour au bout de l'enfer. HARD.
Terra Tenebrosa / Chronique LP > The purging
Quasiment deux ans jour pour jour après l'inaugural et monstrueux The tunnels, l'énigmatique (presque) suite de Breach accouche de sa "sequel" avec The purging, toujours par le biais de la même crèmerie, drivée de main de maître par Tim Bertilsson de Switchblade : Trust No One Recordings, toujours avec l'envie de plaquer l'auditeur contre le mur avant de l'enfermer dans un véritable cocon sludge/doom/posthardcore/black-metal de l'enfer (l'obscur et introductif "The redeeming teratoma", le sauvage "The compression chamber"). Une gangue de plomb lestée de riffs telluriques eux-mêmes parsemés d'éclairs vocaux frayant assidument avec le Malin ("Black pearl in a crystalline shell"). Bienvenue dans l'univers hautement inhospitalier de Terra Tenebrosa.
La densité sonore est telle qu'elle conduit à l'asphyxie sensorielle, le chant des cavernes n'invite pas vraiment à l'apaisement ataraxique et c'est normal puisque c'est là l'idée. Car le trio suédois ne laisse aucun répit et la plongée sans filin dans l'antre de la bête, cette créature sonore à la cruauté sonore sans nom ("House of flesh") qui s'ébroue avec délectation dans des ambiances outrageusement malsaines, se fait sans espoir de retour. Parce qu'entre subtiles touches industrielles samplées, sursaturation post-métallique féconde et délires psychotiques aussi férocement brutaux que violemment déstructurés, les nordiques mettent la barre très haut. Ou très bas, dans les profondeurs boueuses d'un magma auditif en décomposition(s) qui prend aux tripes ("At the foot of the tree").
Une noirceur anxiogène doublée d'instrumentations littéralement possédées ("The nucleus turbine"), une mécanique de production idéale (le groupe n'est à l'heure où sont rédigées ces lignes "qu'un" projet exclusivement studio même s'il va prochainement s'essayer à la performance live) et cette sauvagerie brute qui éclabousse la platine dans des geysers de sang (l'éponyme "The purging"), achèvent d'immerger l'auditeur dans ce cloaque putride qu'est l'univers de Terra Tenebrosa. Un espace d'expression à la limite du jusqu'au-boutisme métallique d'avant-garde, une véritable éloge de la démence sonore ("Terra Tenebrosa") que le groupe exacerbe en livrant quelques titres diaboliques à l'image de "Disintegration" et de l'ultime "The reave", deux dernières pièces aussi glauques et terminales que les précédentes, avec ce petit zeste de folie autodestructrice qui fait de ce disque ce qu'il est. Non The purging n'est définitivement pas à mettre entre n'importe quels tympans.
Extrême.
Terra Tenebrosa / Chronique LP > The tunnels
The tunnels, oeuvre enfantée par d'anciens membres de Breach, était sans doute autant attendue que redoutée avant de débarquer sur nos platines, par le biais de l'exigent Trust No One Recordings, déjà responsable de plusieurs productions signées Khanate, Kongh ou Switchblade. Pas vraiment des enfants de coeur. Une certaine retenue donc, sans doute la faute de cette aura de mystère qui enveloppe le projet, décrit comme oeuvrant dans des courants musicaux flirtant entre le postcore, l'ambient, le sludge et le metal d'avant garde, et dont on ne savait finalement que très peu de choses lorsqu'il fut annoncé. Sortant alors de l'ombre de ses respectés prédécesseurs, il fut alors annoncé avec un album, The tunnels, portant en lui un concept tenant en une phrase : l'effrayant et voyage cinématique à travers la psychée torturée du seigneur de la Terra Tenebrosa, le dénommé The Cuckoo. Tout un programme.
Musicalement, cela se traduit exactement comme espéré secrètement, "The teranbos prayer" puis "Probing the abyss" immergeant l'auditeur dans un univers musical à la noirceur plus que palpable. Des atmosphères postcore sludge étouffantes effleurant les contours de la sphère black metal, un "chant" psalmodié plus que véritablement chanté (ou vociféré/hurlé), de longues plages instrumentales sur lesquelles des textes absolument inintelligibles viennent se poser, Terra Tenebrosa ne met que quelques instants à s'extraire de la masse des formations postcore "traditionnelles" pour apposer sa griffe sur la scène dite "metal". On comprend alors la notion d'"avant-gardisme" énoncée par ailleurs, le trio scandinave livrant ici une collection de morceaux explorant des territoires musicaux où le malsain fraie avec le malin, où les parties instrumentales raclent le sol, grondent et menacent, emmenant avec elles on ne sait trop quelle matière sonore terrifiante, à la limite de l'indicible. Mais le trio de musiciens répondant aux doux pseudos de The Cuckoo, Hibernal et Risperdal (autant dire qu'on est vachement plus avancés pour la peine), s'évite le cliché évident de la grosse baffe hardcore qui écrase les tympans et fait vibrer les murs. A l'inverse, tout le travail des suédois se drape dans une menace intelligemment insinuée, joue la carte d'une violence suggérée, tapie dans l'ombre, de celle qui ne laisse véritablement de traces que dans l'esprit de celui qui la subie.
Et c'est là justement tout l'intérêt de la musique enregistrée pour ce The tunnels, savoir marquer encore plus durablement l'auditeur. Plus que si les scandinaves s'étaient simplement essayés au gros postcore sur-produit, massif et implacable que tout le monde connaît. Cinématographiquement, la terreur se terre souvent dans ce que l'on ne voit pas. Ici c'est un peu l'idée qui nous conduit à affronter "The arc of descent" la lumière allumée, le plus flippant dans la musique du trio étant peut-être ce que l'on n'entend pas, le reste n'était pas pour autant négligeable, mais servant surtout à mettre l'auditeur dans un état d'esprit particulier, en le conditionnant pour accepter ce qui va suivre. "Guiding the mist / Terraforming", diptyque en un seul morceau dont la première partie peut-être résumée à son minimalisme forcené quand la deuxième étire les sons, les laisse se distordre pour mieux imprimer leur marque, en est la meilleure preuve. Derrière, la batterie assène ses coups encore et encore, sans jamais sembler vouloir s'arrêter, la basse ébrèche les tympans et les samples, lorgnant vers l'industriel, finissent de faire sombre l'auditeur dans la démence ("Through the eyes of the maninkari"). Laquelle se fait à la fois énigmatique et fascinante, aussi ténébreuse qu'incroyablement vénéneuse, l'éponyme "The tunnels" final, jouant de ses charmes pour mieux se révéler... diabolique et obsédant. Une évidence.