sleep_dopesmoker.jpg S'il y a un terme que je déteste voir dans les chroniques d'album, c'est bien "Ultime" (avec un grand U, ou en majuscule pour les die-hard fans). En effet, il est souvent vrai que le chroniqueur, une fois venu à bout de tous les adjectifs dithyrambiques de son répertoire pour qualifier son disque préféré, a tendance à nous balancer du "Ultime" à toutes les sauces. Il y a donc bien longtemps que j'avais banni ce mot de mon vocabulaire pour décrire un disque. Oui mais voilà, quand on se tient à des principes à la con comme celui-là est que l'on se retrouve face à un disque pareil. et bien on est tout embêté. Parce que oui, ce Dopesmoker est un génial pavé extatique avec des airs d'absolu, de perfection, de définitif, de... (non je le dirai pas !).

Bon, je vais tout de même essayer d'étayer un peu mon propos, commençons donc par une mise en situation historique. Nous sommes à San José, Californie, au milieu des années 90 (pile 1995) et nous avons trois glandeurs complètement stone (Matt Pike (guitare), Al Cisneros (basse et chant) et Chris Hakius (Batterie)) qui décident, en rigolant bêtement, de composer la plus longue chanson jamais enregistrée en guise de troisième album. Ainsi naquit la bien nommée "Dopesmoker", chanson de 63 minutes et 31 secondes. Seulement voilà, nos gaillards n'ayant pas vraiment leur label à la bonne (ils avaient plutôt tendance à dépenser tout leur budget en herbe médicinale que pour faire des chansons), la réponse de ce dernier sera un refus catégorique et non négociable de sortir le disque. L'amertume qui en découla entraînera directement le split du groupe. Fort heureusement, 3 ans plus tard Rise Above, label du bon Lee Dorian (Cathedral, Napalm Death...), acceptera de sortir l'album . amputé de 10 minutes et sous le nom de Jerusalem. Cool, mais pas top. Il faudra finalement attendre 2003 (soit 8 ans après l'enregistrement tout de même !) pour que sorte Dopesmoker, tel que l'avait voulu le groupe. Entre temps, Matt Pike sera parti fonder High on fire (très bon mais dans un style carrément différent, soit heavy-métal stoner teinté de thrash), Chris Hakius lancera The Sabians avec son pote Justin Marler (ex-Sleep justement) tandis que Al Cisneros arrêtera la musique pour un temps (voir biographie).

Mais bon qu'en est-il de la musique dans tout ça ? Et bien on est face à un doom/stoner mystique et écrasant, fleurant bon la verdure et le sable chaud (non non, ce n'est pas antinomique). Un riff d'une lenteur et d'une lourdeur abrutissantes est répété inlassablement, puis évolue en douceur tout au long de cette heure. On pense forcément à Earth pour le jusqu'au-boutisme vrombissant (même si on est bien loin du drone de Earth 2) ou à Electric Wizard pour l'épais nuage de fuzz et de fumée. Le grain de la guitare de Matt Pike est superbe, chacun de ses coups de marteau nous enfonçant un peu plus profondément dans le sable rougeâtre. Le jeu tournoyant de Chris Hiakus convient parfaitement à l'exercice de style, rajoutant à l'état de transe dans lequel vous plonge cette galette. Et le tout est accompagné périodiquement par la voix shamanique de Cisneros, excellent dans son rôle de troll des cavernes sous champis ne connaissant qu'un note (mais quelle note !), et dont la basse omniprésente et bourdonnante vous remue délicieusement les entrailles et vous envoie encore un peu plus haut dans les nuages, contempler d'un air distant cette misérable humanité qui n'est décidément que peu de chose face à la puissance des éléments. Vos tympans se liquéfient, votre cerveau explose et vous atteignez enfin l'éveil au milieu de la destruction vous entourant de toute part (au choix : une pluie de météorite, l'Apocalypse, le Ragnarök, la station Mir, ou n'importe quelle autre fin du monde.).

Un disque forcément à part donc, dont on se relève difficilement (voire pas) pour peu qu'on se laisse prendre dans ses méandres. Un disque culte qui a marqué son empreinte au fer rouge dans la famille des musique lentes et lourdes (à fort juste titre). En un mot : un disque ULTIME (et merde, je l'ai dit.). De plus, vous est offert en digestif "Sonic titan", une chanson live fort sympathique qui permet de revenir dans le monde réel de manière un peu plus progressive et qui vous donne un aperçu de ce qu'était Sleep avant ce monumental monolithe. Bon, nul besoin de vous dire que je recommande chaudement l'écoute de ce disque à tous ceux qui pensent que faire une chanson d'une heure n'est qu'un vaste foutage de gueule ainsi bien sûr qu'à tous les fans de musiques désertiques et hallucinatoires. Et puis sinon un petit conseil pour la fin, le mode d'emploi est dans le titre.