Que ce soit pour honorer le film de Pasolini ou rappeler quel était le cœur de l'Italie fasciste agonisante, Salò évoque a minima le malaise, le dégoût et la nausée. C'est donc un excellent nom pour ce groupe cherbourgeois qui sur une trame black metal (chant hurlé, double pédale à fond, saturation pesante) envoie du très lourd en ajoutant groove, samples et mots très audibles qui font froid dans le dos. Je ne suis plus un grand amateur de metal extrême car il faut que ce soit très très bien construit pour me plaire, mais depuis Pilori, je n'avais pas autant apprécié une découverte aussi violente.
L'opus s'ouvre sur "Un homme ça ne s'empêche" qui démarre par un "dialogue" d'Irréversible (Gaspar Noé) histoire de te mettre tout de suite dans le bain, la tête sous l'eau. Si tu penses pouvoir échapper au riffing surpuissant et aux attaques incessantes du chant guttural en te réfugiant dans les extraits samplés, tu fais un mauvais choix car les images qui s'associent au son sont peu ragoutantes, que ce soit ce micro-trottoir de 1975 sur le viol (banalisé) ou la référence à Baise-moi (Virginie Despentes), les moments où les instrus se calment ne sont pas des moments de répit. Certains préféreront même certainement se prendre torgnole sur torgnole et se faire défoncer par les riffs tempétueux ("Le goût du sang", "Il faut qu'ils crèvent") que de rester dans ses eaux troublées, poisseuses et clairement inhospitalières. Comme ils jouent sur le même terrain, autant qu'ils jouent ensemble, Diego de Karras amène son chant sur "J'affronte la mort" qui évoque la roulette russe avec des passages de "13 tzameti" (Gela Babluani). L'appel du néant est blindé de références (que je ne peux toutes citer) qui se mêlent parfaitement à la musique puisqu'elles font indéniablement partie d'un ensemble. Comment pour autant passer à côté du classique parmi les classiques "1984" de George Orwell ? Je me souviens encore avec dégoût de quelques passages de ce livre lu il y a près de 30 ans (ceux avec la torture par les rats par exemple) et c'est assez naturellement que des extraits viennent s'imbriquer dans les mesures de "Liberté surannée". Big Brother is watching you. Du même acabit, la fin du disque fait de la place à un chant plus audible et qui vient échanger avec Mütterlein sur un tempo apaisé mais toujours tourmenté.
S'il fallait résumer cet album en un mot, je garderais celui qui va avec l'ultime référence qui fait entendre : "...que tout soit terminé, d'être soudainement libéré de tout, plus de volonté, plus d'obligation, l'obscurité à perte de vue, pas d'hier, pas d'aujourd'hui, pas de demain ... plus rien". En un mot : Dark.
Publié dans le Mag #60