Rorcal - Myrra, mordvynn, marayaa Rorcal, l'image renvoie à la famille des balénoptères, (d'ailleurs, le terme est directement emprunté au "røyrkval" des langues scandinaves), la musique elle, semble directement immergée dans les profondeurs abyssales des failles océaniques. Voyage à travers les mers, l'oeuvre de la formation suisse est une véritable épopée explorant les mondes sous-marins et son bestiaire empruntant à l'imaginaire collectif. Dans un autre genre, Mastodon avait clairement identifié cette imagerie, ici Rorcal la joue plus en finesse... sur le papier tout du moins. Car musicalement, le quintet genevois impressionne par la lourdeur de son propos dès les premières secondes du premier morceau de Myrra, mordvynn, marayaa. L'"Aurore" s'élève du Chaos, une lumière tente de percer les ténèbres et Rorcal assène ses coups, dans un tempo relativement lent mais avec une régularité telle qu'il est quasi impossible de reprendre son souffle. Les deux genoux à terre, on se prend quelques 10 minutes d'une ode à la sauvagerie doom/post-hardcore implacable et sans concession.
Guitares lancinantes, bloc métallique que rien ne peut entamer, des atmosphères oppressantes à la noirceur indicible, le temps des deux premières pistes de l'album, Rorcal sème la destruction partout où il passe. Les territoires musicaux explorés par le groupe, affiliés au mouvement post-hardcore, ont beau avoir longtemps été défrichés par de nombreux et prestigieux prédécesseurs (d'Isis à AmenRa en passant par Cult of Luna, Dirge, Rinoa, ou leurs compatriotes de d'Art of Falling et Kehlvin, avec lesquels ils ont partagé le split Ascension), les Genevois parviennent à imprimer leur marque via des compositions aux saturations infernales et songwriting marqué par la haine. Viscérale, la première partie de l'album ne laisse rien au hasard. On passe ainsi du post-hardcore/doom chaotique au (post)-rock minimaliste (qui aurait presque pu trouver un écho chez les écossais de Mogwai) et qui semble s'éteindre lentement, laissant encore derrière lui les débris des enceintes mises en pièces par l'ouragan suisse. L'interlude "As doubt grew from her soul" prolongeant l'arrêt contemplatif sur les ruines encore fumantes des panoramas autrefois idylliques, mais définitivement ravagés par la puissance des déferlantes métalliques.
Après le calme, voici la deuxième vague et une nouvelle tornade musicale qui s'abat sur les rares survivants du cyclone helvétique au travers de "Norys" et "Dysrethmia". Morceaux fleuves, riffs postcore abrasifs, un sens aigu de la "mélodie" corrosive noyée dans des océans de doom angoissant, les Suisses développent des compositions de haute volée, à la violence abrupte nous lacérant les tympans et qui, bien qu'entre-coupés d'interludes déviants ou plus lénifiants, nous laisse avec le sentiment d'avoir traversé le royaume de Poséidon pour que notre route se termine aux portes de l'antre d'Hadès. Il était écrit que Rorcal ne sacrifierait pas à l'intensité dramatique de sa musique pour aérer son album, d'où l'intérêt des interludes qui permettent de scinder Myrra, mordvynn, marayaa en chapitres, sinon actes d'une seule et même tragédie musicale dont le noeud de l'intrigue se dévoile devant nous. Un chant qui éructe sa rage brute et latente, des éléments instrumentaux splanchniques et une puissance paroxystique qui nous poussent aux limites de la démence ("Ether). La tranquilité de l'âme vue par Démocrite et érigée au rang de précepte par les philosophes stoïciens, semble être ici de mise sur le presque ironique "Ataraxia", sauf qu'après une minute trente de petite douceur mélodique, Rorcal s'embarque pour un véritable grand huit musical qui entre crescendo efflorescents et decrescendo raffinés défraient la chronique d'un album qui, tant en termes de formats que de violence, s'impose comme une oeuvre d'une intensité telle qu'elle en deviendrait par instants presque inhumaine...