Refused C'est une évidence, même définitivement enterré par les membres du groupe eux-même fin 1998 : "Refused is (not) fucking dead". Ne serait-ce que pour l'influence qu'a eu le gang d'Umeå sur toute une frange de la scène hardcore actuelle (voire toute la scène simplement...), le combo venu du froid n'a cessé d'être dans la mémoire collective même bien des années après la sortie de son ultime témoignage discographique. Logique donc que quelques dix-huit mois avant sa reformation officielle [note de l'auteur : et un peu surprenante], Burning Heart Records/Epitaph livre une réédition Deluxe de l'album le plus culte de son groupe de référence : The shape of punk to come sorti à l'origine en 1998 donc, quelques soit près de quatre décennies après le The shape of jazz to come d'Ornette Coleman dont il s'inspire pour le titre... Un bel objet 2xCD/DVD gorgé de contenu jusqu'à plus soif (même si tout n'est pas indispensable, notamment la partie live) et qui rend grâce aux patrons de la catégorie hardcore punk métallique des vingt dernières années facile.

12 titres = douze torpilles sonores surpuissantes qui défragmentent les enceintes comme rarement, à l'image du sous-titre l'indiquant assez clairement "A chimerical Bombination in 12 bursts", on n'est pas là pour se la couler douce. "Worms of the Senses / Faculties of the Skull" dépoussière la tuyauterie bien comme il faut, hargne contaminatrice, nerfs à vif, riffing acerbe et rampant, un "chant" qui rentre dedans comme personne, en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire Refused prend d'assaut la platine et s'impose définitivement comme le grand mamamushi du genre. On enchaîne avec "Liberation frequency", ses fulgurances déflagratrices incisives et ses éléments indie-rock (voire pop) incorporés au milieu, puis un "Deadly rythm" qui dégueule littéralement de cette rage brute et viscérale qui habite un groupe paradoxalement en fin de course humainement parlant. Pulsions hardcore sulfuriques, précision chirurgicale et créativité dopée par une violence passionnelle, en termes d'inspiration, musicalement par contre, on frise constamment le génie, les suédois se permettant absolument tout, brisant les règles d'un hardcore punk devenu à cette époque bien trop mainstream à leur goût pour en redéfinir les contours à leur manière.

Que ce soit avec le très fun "Summerholidays Vs. Punkroutine", un "New noise" démentiel ou l'imparable "Refused party program", le groupe, survolté comme jamais, joue la carte de la provocation intelligente, de l'ironie foudroyante en même temps qu'il distille son efficacité frondeuse doublée d'un engagement de tous les instants ("Protest song 68'"). Fracassant, intègre en même temps qu'insidieusement addictif, l'album enchaîne encore et hardcore sans jamais pousser le "truc" trop loin, même quand le groupe s'essaie furtivement à quelques digressions électroniques, jazz ou drum'n'bass ("Bruitist Pome #5") ou mettre du violon sur l'anthologique "Tannhäuser / Derivè". Classe. Et les scandinaves d'en rajouter encore quelques couches ("Refused are fuckin dead", "The shape of punk to come") rien que pour le plaisir pur de marquer l'histoire et rien de moins... avant de s'effacer sans bruit avec "The Apollo programme was a Hoax", avec l'assurance du travail bien fait. Un dernier album pour asseoir définitivement son culte et former le trident parfait (avec Meshuggah et Cult of Luna) des groupes de référence du côté d'Umeå, cette cité de moins de 100,000 habitants et pourtant bénie par les dieux de la musique du XXe siècle. Tout à la fois génialement complexe et subtilement accessible, The shape of punk to come est THE album que l'on ne peut décemment pas ne pas posséder. Parce que là, on sait définitivement qu'après une tannée pareille, il y a Refused... et les autres.

PS : On aurait pu chroniquer le live et le DVD mais ça n'aurait rien apporté de plus, ce The shape of punk to come est de toutes les façons indispensable...