Red Mourning 2022 Merci de nous accorder cette interview. Nous commençons ces derniers temps par cette question sur la période covid puisqu'on a eu des années difficiles. Est-ce que ça a été pour vous un repli sur vous même ou au contraire, cela vous a permis de lâcher les chiens pour la composition et de prendre le temps pour le disque ?
Aurélien (batterie) : On était en pleine phase de composition justement à ce moment-là et ça nous a donné l'occasion de vraiment peaufiner les arrangements, de tester des nouvelles choses, d'incorporer des nouveaux instruments. En termes d'expériences personnelles surtout la première phase de confinement, c'était quelque chose de totalement inédit pour le monde entier et même pour nous. En fait, ça a quand même créé des émotions et des manières de penser et de voir les choses différemment et également de réfléchir sur la vie de manière générale. Cette réflexion a pu nourrir notamment "The coming wind" qui a été le premier morceau de l'album à être composé à cette période-là. C'est un titre justement qui n'aurait peut-être jamais vu le jour si on n'avait pas eu ce stop dans le monde entier et dans nos vies. Une phase intéressante...
JC (chant) : ...Outre les milliers de morts.
Aurélien : Oui cela reste tout de même une pandémie. Au tout début quand même, il y avait un élan de solidarité et d'humanité qui a peu à peu disparu, au fur et à mesure que la pandémie avançait. Voilà comment je l'ai vécue et cette période a quand même impacté pas mal cet album-là.

Je crois que vous êtes Parisiens ou habitez en région parisienne où la densité de population est plus importante que sur le reste de la France, la limitation de déplacement vous a impactée ou vous avez pu quand même vous voir ? Ou tout s'est fait à distance avec des envois de riffs ?
JC : On a fait beaucoup de choses à distance.
Aurélien : Pour notamment respecter le fait de limiter nos déplacements et de ne pas forcément aller voir les gens. Mais c'est vrai que le fait de vivre à Paris, ne nous a pas affectés de la même manière. D'un point de vue personnel, j'allais prendre l'air dans l'allée de mon parking.
JC : Ce n'était pas très fun.
Aurélien : Mais en gros, on a fonctionné en s'échangeant des mails, en s'envoyant les chansons. JC bossait son chant, il nous renvoyait ses prises, on discutait là-dessus et on avançait comme ça. Et ça marchait plutôt pas mal.

C'étaient des choses qui étaient habituelles pour vous ou au contraire, auparavant vous aviez besoin de vous rencontrer physiquement et de jouer ensemble pour composer?
JC : En fait, ce groupe existe depuis longtemps. Musicalement, on se connaît vraiment bien. Cela n'a pas été un gros obstacle à franchir pour nous de travailler à distance. On a pu le faire assez bien. On a eu des phases de composition ou cela a pu arriver qu'on s'envoie des morceaux à distance. Donc ça n'a pas été compliqué. Cependant, en termes d'intensité et de pratique, ce n'est pas la même chose. C'est à dire qu'on ne répétait pas toutes les semaines. Donc il y a eu d'autres effets secondaires, notamment par rapport au live. Le fait de ne pas jouer sur scène pendant deux ans et demi, c'était un peu plus compliqué à gérer.
Aurélien : Même si on peut avoir des chansons qui sont créées totalement chez l'un ou chez l'autre, on essaye toujours de se réunir pour les jouer en live et les peaufiner ensemble pour conserver le côté organique, le côté authentique. Pour que l'on ne pense pas que c'est un mec qui a fait sa musique sur son ordinateur de son côté et de manière un peu aseptisée. On a envie de conserver cette authenticité, même si derrière il y a des arrangements qui sont assez riches, qui viennent enrichir les chansons. Mais on veut quelque chose en live qui fasse passer une émotion.
JC : Je crois que ça s'entend sur l'album également qu'on cherche à faire quelque chose d'organique, de vrai. Je prends un exemple assez révélateur, pour nous c'est hors de question de programmer une batterie ; la batterie, on la veut rock, qu'on l'entende.
Aurélien : Sauf s'il y a un réel intérêt artistique à mettre une batterie électronique mais cela ne doit pas être subi.
JC : On mettra peut-être une boîte à rythme un jour, mais, pour l'instant, l'idée, c'est vraiment d'aller dans le sens de faire une vraie musique, un vrai truc rock.
Aurélien : Il y a des choses auxquelles tu ne penses pas aussi quand t'es devant ton ordi. J'écris mes parties de batterie dans un premier temps sur ordinateur avec Guitar Pro et après je les joue. Quelquefois ça rend très bien sur les préproductions et lorsque je les joue, l'humain reprend le dessus sur le côté "machines" des préprods. Un autre exemple, parfois je veux faire quelque chose de très compliqué à la batterie qui va très bien sonner en électronique et lorsque je vais le jouer, je vais juste faire un truc beaucoup plus simple, et rentre dedans et faire plus vivant et ça va beaucoup mieux fonctionner.

Votre dernier album datait de 2018 avec entre les deux, un EP acoustique. Est-ce que cet EP acoustique n'est pas finalement un tournant pour vous, puisque vous parliez de l'album très organique ? Il est à la fois organique sur les parties acoustiques et également sur les parties plus rentre dedans. Vous auriez pu concevoir, comme Nostromo l'avait fait, un album 100% acoustique avec néanmoins des chansons rentre dedans.
JC : En fait plus ça va, plus on explore aussi cet univers acoustique dans nos albums. Sur celui-ci, par exemple, il y a trois morceaux entièrement acoustiques. Donc c'est quelque chose qui nous permet de traiter notre ambiance musicale avec un autre angle. Ce sont d'autres sensations, d'autres sonorités. Donc il n'y a pas de volonté de se dire "on ne peut pas le faire". En cela, on ne se met pas de limites, on adore cette gymnastique mentale et artistique. On va reprendre certains de nos anciens morceaux et on va les réaborder. On va les recomposer comme si c'étaient des morceaux acoustiques, pas juste les jouer à la guitare sèche, mais vraiment en refaire toutes les lignes. On n'a gardé que les paroles, finalement. Et donc c'est une autre approche et c'est plus dans la continuité. En fait, plus ça va, plus on aime cette partie acoustique aussi, on ressent d'autres choses avec la possibilité d'expérimenter d'autres instruments et c'est plus un kiff qu'on va explorer de plus en plus.
Aurélien : C'est Francis Caste chez qui on a enregistré tous nos albums qui nous a un peu poussé parce qu'on avait déjà commencé des chansons un peu acoustiques, il nous disait, "c'est con, il faudrait vraiment sauter le pas et faire quelque chose de full acoustique". Et là, il y avait le petit exercice de style de JC de réarranger totalement des morceaux électriques en acoustique. Et donc on a fait ces cinq chansons, dans un format EP parce qu'on ne savait pas trop où on allait, on ne savait pas où on n'était pas et surtout on ne savait pas si ça allait bien rendre. En termes de chant, c'est pareil. JC a travaillé l'interprétation. L'acoustique c'est se mettre à poil. Nous avons kiffé l'exercice, les retours ont été bons et on va renouveler l'expérience sur un nouvel EP. On a déjà enregistré tous les instrumentaux dans le même principe, ce sont cinq morceaux électriques, que l'on a réarrangé et on va enregistrer le chant l'année prochaine. Et l'idée, c'est après de réunir les deux EP pour éventuellement sortir en physique ces deux EP qui ne sont prévus qu'en digital.

Vous avez exploré aussi d'autres instruments, il y a de l'harmonica, du banjo...
JC : Il y a du hang drum sur "Alien langage" et du blues harp, c'est l'harmonica. Il y a également la guitare lap steel que tu joues sur les genoux.
Aurélien : Et il doit y avoir de la harpe virtuelle sur "The coming wind" mais qui est très subtile.
JC : Il y a deux ou trois samples sur le morceau.

Le disque est très empreint de blues, comment cela vous est-il venu ?
JC : Sur le blues, c'est un peu plus moi, après les différents instruments. Là, sur le prochain EP acoustique qu'on sortira l'année prochaine. Il y a de la clarinette par exemple, on ne se met aucune limite. S'il y a des choses qui nous intéressent, on va piocher dedans. Et il y a un moment dans la vie du groupe, qui est gravé très clairement dans ma mémoire. C'était le premier EP, on a fait une démo, ensuite on a fait un EP, j'aime bien ce son d'harmonica, et j'ai appris à en jouer. J'aimerais bien en mettre sur un morceau. Et je me souviens très bien cet instant où je me suis dit "Ah ouais, non mais ce n'est pas métal, ce n'est pas hardcore" et au bout de deux ou trois minutes je me suis dit "je m'en fous j'ai envie de le faire, je le fais". Et je pense que ça, c'est une approche pour moi qu'on a tous dans ce groupe : on a envie de le faire, on le fait et on ne se prend pas la tête.
Aurélien : C'est vrai que c'était le premier enregistrement, donc au premier album, on a incorporé de l'harmonica. Il y avait le souhait de mélanger blues et métal et en plus de renforcer ce mélange avec l'apport de l'harmonica et aussi du honky tonk, au fur et à mesure, en fait, on a peaufiné notre formule. La fusion entre les deux styles a été de plus en plus poussée et pour finalement vraiment arriver à un style qui nous est propre en incorporant des petits éléments de l'orgue, du lap steel, du banjo, même des instruments qui ne sont pas forcément plus communs comme le hang drum mais qui, pour finir, apportent vraiment une texture. Des textures qui nous intéressaient d'exploiter dans le nouvel album et dans le prochain album, peut-être qu'on va incorporer davantage de violons, de cuivres.
JC : Il faudra que j'apprenne à jouer du violon, par contre... (rires)

Votre limite c'est que vous puissiez en jouer ?
JC : On peut solliciter quelqu'un d'autre aussi éventuellement. Mais ce sont beaucoup des trucs qu'on joue nous-mêmes.
Aurélien : Il y a un kiff aussi de se dire "c'est moi qui ai joué sur cet instrument là", c'est vrai, et pas peut être un peu moins gratifiant si on demande à quelqu'un d'extérieur.
Aurélien : Tant que c'est pertinent et que ça apporte quelque chose à la chanson et que ça nous fait vibrer on prend.

Red Mourning - Flowers & feathers Vous parliez de la pénurie de live, est ce que vous jouez de ce type d'instrument, aussi en live ?
JC : L'harmonica, on l'incorpore depuis très longtemps dans les morceaux métal, la guitare lap steel nous les jouons également sur scène. On fait toutes les harmonies vocales, et on se dirige vers des concerts acoustiques dans lesquels on va pouvoir incorporer le fameux hang drum, des lap steel acoustiques et ce genre de choses. Peut-être pas la totalité, mais en grande partie ce sont des choses qu'on joue effectivement sur scène.
Aurélien : Parce qu'après, ça demande aussi de l'organisation. Si on commence à arriver avec un orgue et ce genre d'instruments...
JC : Il y a des morceaux où il y a un tout petit peu d'orgue. Effectivement, on ne va pas amener l'orgue en tournée, pour le mettre sur scène pour faire trois secondes sur un morceau. De toute façon, les versions live sont un peu différentes des versions album. Il va y avoir des choses en plus, des choses en moins, des adaptations qui correspondent au fait de partager avec un public. Et il y a effectivement un peu de logistique. On essaye de rester aussi raisonnable.
Aurélien : Et on a la volonté aussi de garder quelque chose de vivant. Donc pas forcément d'être sous les couches de samples dans tous les sens on chante tous sur scène. Il y a peut-être des imperfections dans notre interprétation, mais c'est vivant. Il y a quelque chose d'authentique et d'organique. C'est en live qu'on est là pour pas pour écouter un album, mais pour voir des humains jouer leur musique et l'interpréter.

On va peut-être s'attarder un petit peu sur la pochette de l'album. C'est un peu le fil conducteur également avec votre premier clip qu'on peut aborder ensuite. Déjà pourquoi Le titre éponyme n'a pas été le premier à sortir ? Parce que l'album, c'est le corbeau, les fleurs et les plumes...
JC : Pour le titre de l'album, à chaque fois, on reprend le titre d'un morceau de l'album, pas forcément parce que c'est celui-là qu'on veut mettre en avant mais parce que c'est une image évocatrice. C'est plutôt ça qui est intéressant. Donc ce n'est pas forcément le titre phare de l'album. Ils sont tous excellents.(rires) Blague à part, le choix des clips, c'est quelque chose de décorrélé. On va discuter un peu avec les gens qu'on connaît, avec qui on a envie de travailler pour faire des clips. Les interroger sur ce qui leur plait, ce qui les inspire, c'est une collaboration, c'est une coopération.
Aurélien : Il y a quand même un souhait de mettre en premier et en avant "The coming wind" parce qu'elle est quand même assez atypique. Elle est surprenante et elle marque vraiment une fracture avec ce qu'on a pu faire auparavant et on voulait vraiment mettre ça en premier en avant pour créer un effet de surprise.

Tu parlais de la composition qui partait 100 % d'une page vide. J'ai lu quelque part que le précédent album avait encore des teintures de votre ancien membre.
JC : Il y a vraiment cette volonté de renouveau.
Aurélien : Oui, c'est vrai. C'est vraiment le premier album sur lequel il n'y a aucune composition de Romaric. Ce sont essentiellement des compositions d'Alex et mes compositions. Forcément, au niveau des influences, on peut voir nos influences personnelles et notre manière d'écrire, il y a un changement, même si c'est toujours dans l'univers Red Mourning." The coming wind" c'était à la base une chanson qui était même pas composée pour être du Red Mourning. En fait, je l'ai composée dans mon coin et je l'ai proposée parce que c'est quand même assez différent de ce qu'on a pu faire. Je l'ai proposé aux gars. Ils m'ont dit " elle est cool, voyons ce qu'on peut en faire". Et au final, la chanson est super.
JC : Il y a une volonté permanente d'avancer, d'évoluer, de ne pas tourner en rond, de ne pas refaire tout le temps le même morceau.
Aurélien : Et de ne pas être attendu aussi là où on voudrait nous attendre.
JC : C'est une volonté qu'on affiche aussi, alors on évolue, on fait des nouvelles choses, on s'autorise des nouvelles choses, on expérimente et on essaie de faire quelque chose d'original ou différent. Voilà qui est qui progresse.

Comme tu disais, vous avez un groupe qui a un certain vécu, maintenant une quinzaine d'années. Comment vous voyez votre évolution et votre carrière du premier EP à aujourd'hui ?
JC : C'est vraiment ça. C'est une volonté toujours d'essayer de chercher quelque chose de différent ou d'original, qui nous plaît et qui nous correspond. Nous aussi, on évolue individuellement, en tant que groupe. Quand on est ensemble on évolue. Notre technique, les capacités des uns, des autres, évoluent. Nous n'avons pas eu énormément de changement de line-up, Donc je vois une vraie progression, une vraie évolution du groupe, une vraie marche à chaque fois. On n'a plus aujourd'hui de barrière.
Aurélien : C'est avant tout du plaisir. Tant qu'on a une nouvelle aventure, un nouveau défi justement, on ne reste pas dans le fait de faire le même album, d'être un peu blasé. En fait, même s'il n'y a que dix personnes qui écoutent notre album. Nous avons fait notre truc, on a fait notre aventure. Personnellement, je suis rentré dans le groupe, j'avais 18 ans donc pour le premier album. On a fait un premier album avec Francis Caste. En tant que batteur, je ne savais pas encore très bien frapper. Et au fur et à mesure de nos cinq albums chez Francis nous avons évolué et même lui nous a vus évoluer. Au cinquième album, on s'est posés avec Francis, et comme si j'avais mon père qui me regardait et qui avait vu que j'avais acquis une bonne frappe et qu'enfin ma batterie était musicale. En fait, on a eu une évolution aussi bien musicale qu'humaine.

Donc c'est peut être aussi avec une proximité qui peut aussi vous dire "là tu as merdé, refait".
Aurélien : Ah oui, complètement. On est sans filtre. On ne prend pas de pincettes avec les autres. Par exemple, parfois avec JC, je suis un peu brut, je lui dis ça, c'est un peu nul. Donc il faut réécrire le truc. Mais on a tous le même but de faire quelque chose qui nous plaît, qui est original et qui est bien écrit. On se fait confiance les uns les autres, on n'a jamais eu de grosse bagarre entre nous. C'est notre bébé et on veut en faire quelque chose de bien tous ensemble.

On parlait en introduction avant de lancer l'interview du fait d'avoir un job à côté de la musique. C'est certainement aussi une liberté de ne pas se dire que vous êtes tributaires de votre album pour vivre.
JC : On nous pose souvent la question "Et si vous pouviez vivre de votre musique?" Premièrement, c'est une question relativement théorique parce qu'en fait, vivre de sa musique n'importe quelle musique en France, c'est très compliqué et le métal, c'est quasiment impossible. Je ne connais pas beaucoup de musiciens en France qui vivent de leur business. Il ne doit y avoir que deux ou trois groupes et des groupes qui existent depuis 30 ans. Et donc elle est un peu théorique cette question. Mais même en pratique, tous les gens que j'ai vus avoir une approche 100 % artistique de leur vie professionnelle, je les ai tous vus galérer. A quelques très rares exceptions près. Il y a vraiment un aspect de survie financière. Et puis il y a aussi une pression, mais qui va de pair "ce que je fais là, il faut que ça vende. Il faut que ça vende parce qu'il faut que je gagne de la thune. Il faut que je mange, il faut que je paye mon loyer, etc."
Aurélien : Donc forcément inconsciemment, ça joue sur ton esprit.
JC : Nous sommes complètement affranchis de cela en fait. On a tous notre métier, tous notre gagne-pain en dehors de Red Mourning et quand on approche la musique, ce n'est pas avec cette angoisse ou cette pression de se dire "OK, il faut que ça vende". On l'approche en se disant alors en toute humilité, "on va faire un truc mortel. On va essayer de faire le truc le plus mortel qui soit, qui nous plaît. Et on va aller au bout de notre délire" on est finalement très libres et c'est très confortable. Je souhaiterais que ce ne soit pas comme ça, mais quasiment tous les gens que je vois vivre de la musique ou de métiers artistiques, c'est un enfer. À un moment, ton art, c'est ton âme, C'est l'expression de ce qui est à l'intérieur de toi. Et si tu es obligé de vendre ton âme finalement qu'est-ce que tu crées ?

Le temps passe et nous arrivons à la fin de l'interview, nous vous laissons le mot de la fin.
JC : Merci à W-Fenec de s'investir aussi dans la vie de cette scène. Pour rejoindre ce qu'on disait on ne fait pas ça pour gagner plein d'argent. On fait ça parce qu'on est passionné, qu'on adore ça. Et je pense que pour vous c'est pareil. Donc merci à vous pour cet engagement pour la scène.