Pour répondre à toutes les questions qu'on se posait sur leur nouvel album, ce sont Milka (chant) et Ju (chant et guitare) qui prennent la parole. On discute des choix artistiques mais également de la situation catastrophique, tant écologique que sanitaire...
Le nouvel album fait la part belle aux conneries de l'humanité mais y'a rien sur le Coronavirus, il est trop tôt pour qu'il soit inspirant ?
Milka : C'est surtout qu'il n'existait pas quand on a composé l'album !
Votre proximité avec les autruches ne vous fait pas craindre l'apparition d'une nouvelle maladie ?
Milka : Notre lien avec les autruches n'est que platonique, donc aucun risque.
J'avais beaucoup aimé Ctrl+Alt+Fuck mais, là, je trouve que c'est encore plus ... "tout", c'est encore plus Psykup. Est-ce que vous partagez cette sensation ou le fait de traiter d'un sujet qui me tient à cœur apporte un biais d'appréciation ?
Milka : Si tu trouves que cet album est excellent, on est bien d'accord, et tu as bon goût ! On a voulu faire une synthèse de ce qu'était Psykup, avec à la fois des riffs de guitares mordants, des passages intenses, violents ou énergiques, et également de la place aux sons clairs, aux harmonies vocales, aux ambiances plus douces. La composition de Ju a beaucoup évolué depuis des années. Son écriture gagne en efficacité et en lisibilité. Il a su prendre en comptes les retours. Il a su faire preuve de maturité et de pertinence pour ne pas céder aux sirènes de la facilité. Hello Karma ! n'est pas un album léger et quelconque. C'est toujours un album très dense, très Psykup comme tu dis, où il y a une idée toutes les secondes, comme les Z.A.Z. faisaient avec leurs films. Ce n'est pas un album purement brutal pour simplifier le propos, ni un album pop assumé parce qu'on est trop vieux et trop mous. La verve est toujours là et j'étais très excité à l'écoute des morceaux instrumentaux avant de poser les parties vocales. Le fait d'arriver à faire ces montagnes russes en 3 minutes 30, là où il nous fallait 9 minutes par le passé, est positif pour nous.
Vous savez si Greta a entendu votre "Letter to Greta" ?
Milka : Nous ne le savons pas. Mais nous devrions en effet lui envoyer le lien. Tu as son email ?
Non, désolé... C'est plus un titre "anti Trump" que "pro-écologie" ?
Milka : Anti-Trump, non. Anti-gros con qui se fout de la gueule de tous les jeunes conscients de la catastrophe climatique et qui essaient de dire aux vieux gouvernants qu'il faut qu'ils arrêtent de faire n'importe quoi", oui ! (rires)
Vous pouvez mettre fin aux guerres dans le monde ou à la pollution, vous choisissez quoi ?
Ju : C'est comme choisir entre son père ou sa mère là ! Je dirais mettre fin aux guerres dans le monde, je trouve ça complètement con et dingue que des gens s'entretuent au nom d'une idéologie, d'une religion, de simple pouvoir, ou même pour savoir si la Terre est plate ou pas.
Pourquoi avoir choisi "Lucifer is sleeping" pour en faire un clip ?
Ju : C'est le morceau qui nous paraissait le plus approprié pour être dévoilé en premier au public, à la fois très brutal et très mélodique, et complètement fou. C'est du Psykup pur jus, avec une touche de nouveauté dans le traitement, la forme et les arrangements.
C'est la première fois que vous faites faire un dessin animé, pourquoi ce choix ?
Ju : J'ai toujours rêvé de faire un clip animé pour Psykup, et ce morceau s'y prêtait à 200%. Il fallait bien ça pour faire passer le message parodique et très imagé de la chanson.
"Nice to the bone" a fait l'objet d'une très belle lyrics video, c'est parce que ce message est plus important qu'un autre ?
Ju : Le message du morceau est en effet très important, mais c'était aussi pour varier les plaisirs. La chanson est une apologie de la bienveillance, ce qui est très rare dans le métal et colle bien à ce qu'on veut véhiculer en ces temps de division et de trouble.
Vous avez choisi un "petit" studio et Ayumu Matsuo pour enregistrer l'album, être à côté de Toulouse était important ?
Ju : Nous avions nos marques dans ce studio, c'est là où nous avions enregistré une partie de notre album précédent. Ayumu et Jean-Michel, qui nous accueillent là-bas, sont des musiciens de goût, des personnes adorables et de sacrés bosseurs avec des oreilles en or. Et en effet être pas trop loin de chez nous est agréable, on peut dormir dans nos lits le soir !
Olivier Monsarrat avait travaillé sur We love you all, pourquoi avoir fait de nouveau appel à lui ? Je n'ai pas trouvé beaucoup de références depuis 2008, vous l'avez sorti d'une retraite de producteur ?
Ju : Il ne fait pas de production à proprement parler en dehors de Psykup, c'est notre ingé son en live depuis très longtemps, et il a donné énormément de lui pour le groupe, il fait partie de l'équipe et de la famille. Outre ses grandes compétences techniques, il connaît très bien la musique du groupe et les personnalités diverses qui le composent, donc il est d'une aide très précieuse en studio.
Les deux ont travaillé ensemble ou avaient des taches précises ?
Ju : Ils ont travaillé ensemble et se sont relayés aussi parfois pour se reposer un minimum les oreilles, et à cause du premier confinement, on a dû enregistrer les prises voix en 3 jours au lieu de 8, donc deux personnes n'ont pas été de trop derrière la console !
Victor a également réalisé des prises, ce n'est pas compliqué de bosser à la fois "dans" et "pour" le groupe ?
Ju : Il faudrait lui poser la question, mais je pense qu'il a apprécié l'expérience, même s'il en est sorti épuisé : on a bien carburé, et il avait enregistré et mixé les pré-prods avant en plus. Le boulot avec lui a été très constructif, c'est un excellent guitariste qui s'intéresse de près au son, donc il a nous mis une pression bénéfique pour que les prises soient au top niveau jouerie et qualité. Bon, il y a eu un souci de jack déterminant pendant les prises, mais ça il ne préfère pas en parler ! (rires)
Le mix a été confié à Fred Duquesne, quelles étaient vos demandes ? Il y a tellement de trucs dans les morceaux que ça ne doit pas être évident de faire un mixage "équilibré".
Ju : Tout à fait, mixer Psykup est un challenge à chaque fois pour ceux qui s'y collent. C'est un vieux pote, il connaît bien notre musique et l'apprécie. On lui a demandé à la fois un gros son à l'américaine et une certaine rugosité, et il a relevé le défi de mixer sur notre base métal autant d'éléments différents, comme des instruments traditionnels ou un piano. Il s'est montré ultra pro, de bon conseil, bosseur et à l'écoute des désirs artistiques du groupe. Thibault Chaumont a également fait un superbe taf de mastering. A nos yeux, c'est la meilleure production que nous n'ayons jamais eue.
L'artwork est comme toujours sublime, quelles étaient les consignes données à Jouch ?
Ju : Jouch aime que le groupe lui propose un concept, et ensuite il tombe toujours juste. Il sait transcender une simple idée décalée pour en ériger un monument de classe. C'est encore le cas ici, avec en bonus cet effet de vieille affiche abîmée qu'il a ajouté, et qui donne l'impression que l'explosion nucléaire a désagrégé l'artwork en entier.
Parmi les images à l'intérieur, il y a ce couple joyeux devant une forêt en flamme, ça ressemble à l'artwork de La Phaze, vous avez évoqué ce sujet ?
Milka : A vrai dire, non, car personne n'écoute La Phaze dans le groupe. On nous a fait remonter leur artwork, qui a en effet des similitudes. Ça montre juste que beaucoup d'artistes sont sensibles au grand n'importe quoi décisionnel autour des grandes questions écologiques et sociétales.
Bérangère apporte sa voix sur deux titres, sa participation reste discrète, pourquoi ne pas lui avoir fait plus de place ?
Ju : Je lui ai demandé de venir poser sa voix plus dans une optique de sample éthéré à la Prodigy que dans une intention de guest traditionnel. Béra est une machine de guerre de précision et de feeling mélodique ! C'était un bonheur de chanter avec elle dans Rufus Bellefleur, elle s'est acquittée de la tâche avec grâce.
Julien Truchan se fait plus remarquer, qu'est-ce qui vous plaît dans son growl ?
Ju : Juju possède une puissance de feu, des grains reconnaissables entre mille, un sens rythmique impeccable et une bienveillance naturelle. Il était le candidat idéal pour "Nice to the bone".
Il y a quelques concerts de prévus au printemps, vous y croyez ou vous pensez que la culture sera encore confinée ?
Milka : Je pense qu'aucun concert "debout" ne reprendra avant septembre. Pour les concerts "assis", j'espère que le gouvernement va sortir de son illogisme dramatique et rouvrir les lieux de culture au plus vite. Nous sommes les premiers désireux de jouer sur scène, avec un public assis. Pour moi, c'est pas optimal mais c'est déjà quelque chose. Et les gens qui nous connaissent sur scène savent qu'avec Psykup, on devrait passer un bon moment, même assis ! On va trouver un moyen de rendre ça fun, mais il faut que ça joue. Les salles, mais aussi les théâtres, les cinémas. Les gens ont besoin de ça. Se retrouver et vibrer autour d'émotions communes, nous sommes tous de plus en plus déconnectés les uns des autres, c'est très dangereux comme situation.
Une sortie d'album en mode corona, ça se déroule comment ?
Milka : C'est beaucoup moins fun ! Les journées presse se déroulent en skype, nous-mêmes, en tant que musiciens, on se voit moins, on profite moins de tous ces moments d'effusion qui sont la base même d'un groupe : charger un camion à 6h du matin pour faire 900 km, se serrer les coudes, rigoler ensemble, transpirer ensemble, jouer ensemble accessoirement, puis rencontrer le public, les sourires, les hugs, les verres qui se cognent à la santé de ces moments précieux. C'est vraiment l'antithèse de pourquoi on fait ce métier.
Qu'est-ce qui est le plus frustrant ?
Milka : La vraie rencontre avec le public je pense. Voir l'effet en live de notre musique sur le regard et le corps des gens. Là, on reçoit plein de félicitations par message numérique. C'est positif mais c'est comme si tout cela était impalpable. Quand vous avez un gars ému aux larmes en face de vous qui vous remercie 15 fois de venir dans sa ville, là, ça prend une autre ampleur.
Quand on pourra de nouveau faire la fête, ça va être la ruée vers les festoches et les concerts ou le public aura appris à vivre sans ?
Milka : C'est bien le problème. L'homme a une capacité de résilience énorme, et on s'habitue. "Même à la morosité, même à l'absence de goût" disait Prohom. Et c'est exactement ce qui se passe. Plus cette situation s'enlise et plus je pense qu'il n'y aura absolument pas d'effet "c'est la teuf partout". Je pense que les gens seront heureux de retourner en festival ou dans les salles, mais ils n'iront malheureusement pas plus dans les lieux de culture, en quantité. Il y aura un mini boom de fréquentation au début, qui se tassera, et les chiffres vont revenir à la normale, donc pas obligatoirement des chiffres hauts qui suffiront à faire vivre les artistes. Voilà, j'ai bien plombé l'ambiance pour la fin de l'interview ! Maintenant, les gens, faites-moi mentir, arrêtons de zombifier sur Netflix et déplaçons-nous en masse et plus souvent dans les lieux de culture vivante ! (rires)
Ju : Wait and see, comme on dit en Espagne.
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Merci à Milka et Ju ainsi qu'à tout Psykup ! Merci aussi à Elo et l'Agence Singularités pour assurer les relais.
Photo : Pierre Wetzel
Publié dans le Mag #46