Nostromo-Bucephale Et oui, tu n'y échapperas pas ! Tu vas bouffer de la référence historique comme à chaque fois qu'un groupe choisit un titre d'album qui émoustille ma fibre professionnelle ! Bucéphale donc, ce "cheval à tête de bœuf" (d'où les cornes sur le fantastique artwork de Dehn Sora), réputé indomptable et maté par Alexandre le Grand (alors qu'il n'a pas encore ce surnom), son fidèle destrier qu'il suffisait de faire galoper dans la direction du soleil pour éviter qu'il ne voit son ombre. Ce n'était peut-être qu'un simple canasson mais son maître l'a rendu mythique en partie lors de sa mort puisque celui qui l'aime y fonda une ville en sa mémoire : Bucephalie (oui, Alexandre n'avait pas une grande imagination, on dénombre aussi une quinzaine d'Alexandrie...). Associé au conquérant, il est devenu un symbole de puissance et l'histoire de son dressage un message pour le futur, Alexandre est promis à une grande destinée, une idée popularisée par Plutarque deux cents ans après, quand c'était bien plus facile de parier sur lui et son ombrageux partenaire d'aventures.

Comme tout critique d'art (oui, Nostromo, c'est de l'art), je peux "arranger les noix sur le bâton" en fonction de ce que j'ai envie de dire, pour cet album fougueux, brutal, véloce où l'on trouve aussi de la tempérance et des particules fines de beauté pure, la comparaison est aisée mais je vais éviter d'en faire trop parce que je finirais par où tout nous ramène : un grand coup de sabot dans la tronche. Outre un retour dans le passé (non seulement du côté de l'Antiquité, mais aussi il y a une quinzaine d'années quand le groupe sortait son Ecce lex), ce Bucéphale rime surtout avec grosse mandale, quand tu l'écoutes pour la première fois, tu en prends pour ton grade, quand on n'a plus les yeux en face des trous, et pour rendre la pareille à Lad avec une expression locale, chez moi, on dit qu'on est "démerlé". Mises à part deux plages où l'on peut panser ses blessures ("κατάϐασις" et "Asato ma"), on se fait éparpiller façon puzzle par la puissance démultipliée des riffs et des rythmes qui tabassent à l'unisson. On peut donc remercier Treha Sektori et Monkey 3 pour leurs collaborations respectives, non seulement ces titres sont magnifiques de lourdeur et de noirceur mais en plus, ils élargissent le champ des possibles, démontrant que l'on peut intégrer aisément d'autres instruments et ralentir les cadences sans perdre l'essence de Nostromo. Pour le reste, ça pilonne et ça blaste, c'est un récital, l'analogie est peut-être de mauvais goût mais c'est un peu la Saint-Barthélemy du death. Le combo a coché d'une croix blanche toutes les cases d'un metal violent et, comme Charles IX, laisse libre cours à la tuerie ! Si en août 1572, les sbires du duc de Guise défenestrent, transpercent, poignardent, jettent dans la Seine, émasculent, étripent et pendent les protestants, les Suisses massacrent tout le monde sans exception à coups de double pédale, de riffs mastocs, de basse vrombissante, de hurlements éraillés ultra agressifs, de grésillements et d'une saturation en obésité morbide. Rarement on les a entendus aussi expéditifs que sur "IED (Intermittent Explosive Disorder)" et aussi vindicatifs que sur "Realm of mist" ou "Decimatio".

Un équarrissage en règle dont on ressort sonné (mais en meilleure santé que les huguenots !) et ébahi par tant de talents. Au moins 13, le prix payé par le père d'Alexandre pour son Bucéphale, plus du triple pour un cheval à l'époque, à la nôtre, Nostromo vaut bien aussi trois fois n'importe quel autre groupe dans son genre...