Miracle de la technologie, les interviews peuvent désormais se faire depuis à peu près n'importe où et n'importe quand... Pour le "quand", c'est à la veille de la sortie de Bucéphale (et ce n'est pas une image, c'est vraiment pile le jour d'avant), pour le "où", c'est quelque part entre chez moi (à St-Omer) et les routes de Croatie d'où Lad taille la route et est très content de répondre à mes questions pour casser la monotonie du voyage. Entre deux tunnels (et c'est pas une blague), voilà la retranscription de nos échanges...
L'album sort demain, en quoi ta journée sera différente ?
Elle sera un peu comme les autres mais il y a un sentiment de concrétisation... on n'a pas sorti d'album depuis 15 ans, c'est un vrai come-back après toutes ces années. On a balancé deux titres puis l'EP Narrenschiff, et du coup, là c'est un vrai album. C'est un peu une victoire sur nous-mêmes, on a bataillé pour remettre la machine en route et on est très content du résultat, le son, les compos, l'artwork, tout nous plaît ! Le travail de Raphaël Bovey qui a enregistré et mixé l'album est incroyable, il nous a poussé dans nos retranchements et le résultat en tout cas pour nous et vraiment incroyable. On n'a jamais sonné aussi gros... Petite fierté personnelle j'ai aussi eu la chance de pouvoir masteriser l'album... Maintenant c'est au peuple de décider, on verra comment l'album sera reçu par le public et les réseaux sociaux, c'est sûr qu'aujourd'hui, on aura un feed-back beaucoup plus rapide qu'il y a 15 ans. En tout cas, on est trop fiers de ce disque !
Certains titres sont assez lourds et lents, c'est parce qu'il vous faut des temps calmes pour récupérer en concert ?
Bonne question (rires). On a aussi des morceaux qui vont beaucoup plus vite ! On a un batteur plus jeune, il tient la machine donc pas de souci pour les concerts ! On a toujours envie de se surprendre alors on a fait deux-trois morceaux différents, des titres qui vont surprendre les gens qui nous connaissent.
À quel moment de la composition décidez-vous du tempo ?
Jérôme compose la base des riffs et il colle un pattern de batterie, le rythme est donc dès le début dans la compo, ensuite Max réarrange les parties batterie. On a un processus de composition assez simple, pour ces morceaux plus lents, ce sont des collaborations. D'abord, il y a eu l'invitation pour participer à "Major Arcana" au Trianon à Paris avec Treha Sektori, on a donc composé "Katabasis", ensuite pour "Asato ma", un soir Jérôme était en studio et on discute de Ravi Shankar, on se dit pourquoi pas essayer de s'inspirer, on a riffé à partir d'un de ses mantras et on a créé ce titre. Ça peut donc venir d'idées qui tombent, des discussions ou des évènements...
Et quand vous écrivez "Asato ma", vous savez que ça resterait quasi instrumental ?
Oui, c'est comme ça qu'on le voulait.
Tu es guitariste au départ, tu composes encore à la guitare ou tu proposes des plans de basse directement ?
Je ne compose plus trop, j'aide Jérôme à réarranger les morceaux. J'aimerais pouvoir m'investir un peu plus dans la compo sur le prochain. Je lâche un scoop là ! Mon background est bien plus rock'n'roll, quand je compose, c'est de manière beaucoup plus simpliste. Dans Nostromo, j'ai apporté des idées sur "Sunset motel". Je comprends très bien ce que Jérôme fait mais je suis incapable d'écrire comme cela.
D'ailleurs, la basse suit la guitare plus que la batterie...
Oui, j'appuie la guitare mais la batterie suit la guitare aussi, on joue à trois, c'est un peu du triolisme...
Dans le mix, on ne distingue pas forcément ta basse...
Ouais, mais si t'enlèves la basse, c'est tout pourri ! (rires) On a fait des tests au moment du mix, sans basse, ça ne marche pas. En fait, elle est tout le temps derrière, tu la sens plus que tu l'entends. Elle a son rôle. Je ne suis pas démonstratif ou exigeant par rapport à ma place dans le groupe, je fais partie d'un tout, je ne suis pas un soliste. Qu'on m'entende bien ou pas, je m'en tape le cul. La basse apporte surtout de l'énergie. En fait, tu remarques si je ne suis pas là mais quand je suis là, tu te demandes "il fout quoi celui-là ?" (rires).
Vous avez deux titres avec des guests, comment vous avez choisi Monkey 3, ce sont des amis ?
On les a rencontrés en France sur quelques concerts. Pendant la période du Covid, on s'est dit que ce serait sympa de faire un morceau avec eux, on a appelé Boris, on a passé une grosse soirée avec eux et c'était parti. C'était tout simple, ce sont vraiment des mecs cools, en plus d'être des supers zicos. On a des styles très différents mais on s'apprécie, on n'est pas à fond dans le death metal ou le grind, on fait une musique brutale, extrême, mais on aime aller voir ailleurs, alors pourquoi pas une collab' avec un groupe différent ? On fait de la musique avant tout, on n'est pas très attaché aux étiquettes...
Et comment s'est fait le choix des titres où ils étaient invités ?
C'est compliqué de les faire venir jouer sur un morceau de grind. Sur "Asato ma", il y avait de la place pour mettre du synthé ou un solo de guitare et le résultat est plutôt convaincant donc c'était un bon choix. Pour "Katabasis", c'est Dehn de (Treha Sektori) qui a envoyé la base donc on n'a pas choisi.
Dehn Sora est aussi responsable de l'artwork, il est superbe, vous lui avez laissé carte blanche ?
Complètement. Javier avait trouvé des éléments pour lui donner quelques pistes mais on lui a laissé carte blanche, il est extrêmement talentueux, on avait une confiance totale. Et sans trop le briefer, il avait vu juste.
Le sujet était porteur aussi, Bucéphale est associé à la puissance mais aussi à la faiblesse de par la peur de son ombre...
On aime ce côté-là justement. Comprendre la faiblesse... Alexandre avait compris le pourquoi des choses, c'est cette thématique qui nous a intéressé, le fait que l'individu cherche à comprendre la causalité des choses. J'avais lu ça dans un texte d'Alain, au début du "Propos sur le bonheur", le premier chapitre s'intitule "Bucéphale". Quand un bébé pleure, il faut se demander pourquoi, tu peux chercher des explications à travers son père ou sa mère mais s'il pleure c'est peut-être qu'il a tout simplement mal. Il faut chercher l'épingle comme dit si bien Alain. C'est pareil avec Bucéphale, Alexandre avait compris que le cheval avait peur de son ombre et qu'il fallait tourner sa tête vers le soleil et du coup il réussit à le monter. Il y a aussi l'idée de puissance, de brutalité, ça se marie assez bien mais attention, ça ne va pas plus loin. On aime bien donner des titres d'albums en lien avec la littérature, on a eu Hugo et Brant, maintenant, il y a Alain.
Tous les textes sont en anglais, vous avez réfléchi à mettre le titre de l'album en anglais aussi ?
Ouais, mais on a légèrement anticipé la réaction de certains ! (rires) En anglais, c'est Bucephalus...
On connaît votre goût pour les langues anciennes, on retrouve du grec, de l'hébreu et du latin dans les titres, Bucéphale est aussi une référence à l'Antiquité, d'où vient cet attrait ?
Je suis historien de formation, je sais où aller chercher des trucs relativement intéressants. Je lis, j'explique aux potos et on valide ensemble. Pour Ecce lex, j'étais en plein dans mes études d'histoire, le texte d'Hugo sur la peine de mort, le pendu, "Voici la loi", ça claque, et bim un titre d'album. Mais "on arrange les noix sur le bâton" comme on dit en Suisse, ça veut dire qu'on trouve un sens à nos textes a posteriori. Par exemple, pour "Lachon hara" qui vient de l'hébreu, ça n'a pas forcément de rapport avec le texte mais on trouve un lien avec la thématique et on arrive à peu près à expliquer le sens qu'on veut en donner. On s'arrange toujours pour que ça marche !
En 2019, vous espériez la sortie de l'album "idéalement en 2020", les deux ans de "retard", c'est la faute à qui ? Uniquement au Covid ?
Ouais, Nostromo est avant tout un groupe de scène. L'album était prêt mais le sortir en pleine pandémie, ça n'avait pas de sens pour nous. On a préféré attendre la réouverture des clubs et de trouver un bon label. Et dans le planning de sorties du label, ça fonctionnait mieux également.
Pourquoi avoir choisi Hummus Records ?
C'est un label de chez nous, on a la même mentalité, la même philosophie, ils font un excellent travail, on est super contents de faire partie de la famille Hummus ! Aujourd'hui les gros labels misent avant tout sur des groupes en développement et sur les vues et likes qu'ils ont sur les réseaux sociaux. Cela n'a pas été l'angle d'approche d'Hummus ni le nôtre.
Il y a encore peu de dates de concerts annoncées, c'est en préparation ?
Y'a pas mal de choses qui se mettent en place en ce moment, surtout pour le printemps prochain. On va faire deux résidences, monter une petite équipe et repartir faire des concerts, ce qu'on aime faire le plus.
On peut dire que vous serez au Hellfest ?
Pour l'instant rien de concret mais on aimerait beaucoup évidemment...
C'est bizarre car ils sont en partie responsables de votre reformation... Quand ils liront l'interview, ils changeront d'avis !
Ouais, ils vont se dire : "Merde ! Le W-Fenec en parle !" (rires)
Je n'ai pas encore rédigé la chronique de l'album mais j'aimerais le faire avec une contrainte, qu'est-ce que vous me proposez ? Obligation d'utiliser un nom, un mot, une expression... ou une interdiction...
Wouaw. Comment tu veux que je trouve ça, comme ça, au milieu des routes de Croatie, j'en ai aucune idée ! Ah si... [Note d'Oli : Sauras-tu retrouver la contrainte dans la chronique ?]
Nostromo, c'est le vaisseau d'Alien, il y a peu de liens avec la SF dans votre musique...
Au tout début, il y en avait un peu, comme le titre "Xenomorphic", mais je n'étais pas dans le groupe à l'époque. Jérôme et Maik, l'ancien batteur, sont des grands fans d'Alien mais on n'allait pas appeler nos morceaux "Ripley" ou "Ash". Nostromo était le bon choix, le vaisseau représentait bien notre musique: froid, glacial, massif...
Merci à Lad et aux Nostromo, merci également à l'entremetteuse Floriane.
Photos : Mehdi Benkler