Petit retour sur une sortie qui a dû se retrouver sur pas mal de radars de fans de Mike Patton, celle de Corpse flower, album collaboratif entre le Californien et le compositeur et arrangeur français Jean-Claude Vannier, connu pour avoir co-écrit le désormais légendaire Histoire de Mélodie Nelson de Serge Gainsbourg et qui a travaillé avec des artistes aussi divers que Brigitte Fontaine, Dalida, Johnny Hallyday ou encore Michel Houellebecq. Sur le papier, la rencontre paraît presque improbable, et pourtant, c'est au cours d'un concert-hommage à Gainsbourg en 2011 au Hollywood Bowl à Los Angeles que les deux se rencontrent. Fan des travaux d'arrangements et d'orchestration du Français, il a fallu peu de temps pour que Patton lui propose de faire un disque, mais Vannier n'était pas prêt. Une relance par e-mail de l'Américain plusieurs années après et le projet se lance enfin.
Les rôles sont définis de façon logique : Vannier écrit et compose et Patton interprète, tout en laissant le soin à chacun d'apporter ses intentions, de rectifier les choses qui ne fonctionnent pas des deux côtés mais aussi d'amener chacun son équipe de musiciens et de techniciens afin de formaliser le tout (on pourra citer au hasard Smokey Hormel (Beck, Johnny Cash) côté américain ou l'ex-Magma Bernard Paganotti, côté français). L'un encourageant l'autre à s'investir au maximum (et vice-versa) sur ce projet, une confiance entre les deux artistes s'est forgée au cours des étapes de création de ses douze morceaux, qui pour certains ("Chansons d'amour", "Browning", ou "Insolubles") n'étaient ni plus, ni moins, que des réarrangements de titres de Jean-Claude Vannier déjà sortis auparavant. Mike Patton voulait absolument retrouver la richesse des sonorités et les orchestrations du Français ainsi qu'une certaine forme d'extravagance sans tomber dans l'absurde. Le résultat de ce Corpse flower correspond en effet à toutes ces exigences.
Difficile alors de ne pas penser à Gainsbourg par moments, ne connaissant pour ainsi dire pas trop les albums solos de Vannier qui n'ont pas vécu le succès, on constate déjà dès le deuxième morceau ("Camion") des arrangements de cordes similaires à Histoire de Melody Nelson, le cas le plus flagrant se trouvant sur le titre éponyme. Mais l'album, construit pas à pas par des échanges de fichiers sur Internet, révèle aussi des instants musicaux très "Pattonien" entendu sur ses bandes sons de film, même si clairement ces dernières sont moins accessibles que cet album avec Vannier. Ce dernier se plaît d'ailleurs dans son cocon mêlé de pop romantique ("Ballade C.3.3", "Camion", "Yard Bull"), des ballades plus ou moins mielleuses ("Chansons d'amour", "Browning", "On top of the world"), et de chansons pleines de fantaisie ("Cold sun warm beer" ou l'excellente "Hungry ghost" qui reprend le thème de "La Belle et la bête" de Perrault). Quant à l'interprétation, ceux qui connaissent les vocalises posées façon crooner ou talk-over de Mike Patton dans Lovage, Mondo Cane ou ses diverses participations (dont justement cet album-hommage à Gainsbourg issu de la série "Great jewish music" sorti en 1997), pourront s'y retrouver sans problème sur Corpse flower. Sauf peut-être sur sa façon de manier la langue de Molière ("Insolubles").
Ce dernier ne regorge en définitive pas de véritables surprises quand on connaît un peu le pedigree de ses deux géniteurs, mais ne fait pas l'erreur de tomber dans le superflu, le grandiloquent, toutes les idées sorties de cette collaboration sont merveilleusement bien équilibrées et soigneusement arrangées et enregistrées. C'est déjà la marque d'un très bon album, surtout que pratiquement rien est à jeter. Ce qui est presque dommage dans cette histoire, c'est de se dire qu'on ne verra probablement peut-être jamais ces morceaux vivre sur scène.
Publié dans le Mag #40