mastodon_leviathan.jpg Embarqués aux côtés du capitaine Nemo dans une équipée qui nous mènera aux confins de l'irrationnel, nous voilà en face d'un monstre annonciateur d'un cataclysme musical à venir. Après le mur sonique Remission sorti en 2002, Mastodon enfonce brutalement le clou avec Leviathan, une phénomènale hydre musicale à la technicité hallucinante. On pensait avoir pris une claque avec le premier album du groupe, erreur, ce n'était qu'un efficace galop d'essai. Cette fois, tout est en place pour un album pachydermique mais inventif, puissant et devastateur. Prisonnier de la plus profonde des failles océaniques de notre monde, on assiste incrédule à l'avènement d'une créature musicale à nulle autre pareille. "Blood and thunder" (avec Neil Fallon de Clutch en guest) sonne le premier gong, la bête est lachée... et elle a faim de décibels. Les morceaux s'enchaînent dans une foudroyante tornade de riffs massifs et de rythmiques à la complexité proche de Today is the day (dont deux des membres de Mastodon ont fait partie).
"I am Ahab", "Island", "Seabeast", peut importe l'ordre dans lequel ça nous arrive dans les tympans, de toutes les façons, le groupe nous pilonne les conduits auditifs jusqu'à les faire exploser. "Heaviesque" osera-t'on, véritable hymne au headbang furieux, "Iron tusk" est le single idéal pour démolir sa cloison à coup d'épaule et agrandir son royaume les yeux rivés sur l'horizon, alors que "Naked burn" se fait l'écho des vélléités mélodiques du groupe. Le combo joue avec les éléments et passe en revue la quasi totalité du bestiaire maritime puisque du gentil "Trilobite" (arthropodes marins ayant vécus à l'époque du paléozoïque) de Remission, on passe au "Megalodon" (sorte d'énorme requin blanc de 50 tonnes pour 15 mètres de long qui sillonnait les océans il y a encore 10 000 ans) sur ce Leviathan avant de plonger dans l'imaginaire fantastique et l'épouvante avec "Aqua dementia". Tantôt décousu, tantôt plus massif et compact, cet album est le théâtre d'un véritablement déchaînement de la nature sur notre platine. On pense notamment à Dillinger Escape Plan pour les passages les plus effrenés et à chaque fois, Mastodon en impose par sa maîtrise technique et ses compo aussi tentaculaires que bétonnées jusqu'à l'os. Leviathan est un bloc de marbre, un album-concept qui sonne comme l'assaut fulgurant d'une division de Panzer sur une position adverse à peine protégée. Le dernier titre de Remission était "Elephant man", dont le film est une adaptation romancée de la vie de Joseph Merrick, cet homme victime de diformités extrèmes dûes au Syndrome de Protée et qui inspira à David Lynch l'un de ses meilleurs films ; la transition est toute trouvée avec le dernier titre de cet album, justement intitulé "Joseph Merrick". Où comment Mastodon parvient à s'extraire des profondeurs pour revenir un temps sur la terre ferme, sans pour autant quitter l'univers des créatures hors-norme. Le groupe s'attarde sur l'un des thèmes récurrents de son oeuvre : les "freaks", que l'on retrouvera notamment sur Blood mountain (2006). Une thématique à l'image d'un groupe sinon hors-normes, au moins largement supérieur à nombre de ses semblables. Implacable mais mesuré.