En 2007, l'anecdote du guitariste bloqué chez sa copine à Kiev par une tempête de neige, et qui y semblait "perdu", pouvait prêter à sourire. L'actualité fait résonner le nom Lost in Kiev différemment tant la capitale ukrainienne évoque de tristes pensées. Le film froid et gris que le groupe imaginait à l'époque avec ces trois mots, connaîtrait aujourd'hui un scénario bien plus sombre et glaçant. Des images peu réjouissantes sur lesquelles pourraient tout à fait venir se placer les musiques de Rupture.
Faites d'un metal light et instrumental, les compositions des Parisiens peuvent s'incruster sur de nombreux plans, que l'on veuille donner dans le contemplatif quand ils étirent les riffs et les répètent, ou que l'on préfère souligner la tension quand les sonorités se brouillent et s'agitent. On peut même ajouter une sensation de malaise quand l'électronique vient souffler le froid sur une rythmique pourtant chaleureuse ("Squaring the circle"). Lost in Kiev prend un main plaisir à déstabiliser l'auditeur, à ne pas se simplifier la vie et à jouer sur les ruptures. Ils écrivent même un titre pour y laisser de la place à Loïc (The Ocean) dont l'apport vocal nous donne une toute autre perception du groupe qui, au-delà de quelques accointances post-hardcore sur les hurlements, nous renvoie à A Perfect Circle ou Dredg, il y a pire comme comparaison. Si ce "Prison of mind" est une grande réussite, ce n'est qu'une passade et les affaires courantes reprennent, un chant très "instrumentalisé" (comprendre par là, utilisé comme un instrument) repassera en mode filtré/robotisé sur "Dichotomy", mais ce n'est que pour l'ambiance. Avec des titres assez courts, les paysages qui se dessinent sous nos oreilles sont assez variés, on passe des plaines aux contreforts sur "Another end is possible", d'une pente escarpée ("But you don't care") au plus profond de troublantes abysses sur "Solastalgia". Quelques gimmicks amènent des repères (j'aime beaucoup celui du début de "Digital flesh" et le travail de la basse dans son ensemble sur ce titre), une guitare claire se fait régulièrement remarquer, son mariage avec le reste fait qu'on reste à l'équilibre et que la rupture n'est jamais totale.
Du noir, du gris, du béton, un nom qui s'est effacé de la pochette pour ne pas y ajouter le bruit des bombes, Lost in Kiev n'a pourtant jamais été aussi brillant et sans faire injure à Dunk! Records (leur précédent label où on trouve toujours Lethvm, Cecilia::Eyes ou A Swarm of the Sun), leur arrivée chez Pelagic Records (aux côté de Arms and Sleepers, Hypno5e ou Mono) va offrir aux Franciliens l'audience qu'ils méritent.
Publié dans le Mag #53