Une semaine tout pile avant la sortie de son tout nouvel album, L'épreuve du contraire, Lofofora, par l'intermédiaire de son frontman Reuno, nous a accordé de son temps dans un bar très sympa situé à Montreuil. Retour sur la genèse du disque, ses thématiques, sa direction, son enregistrement, son artwork, mais également, parmi d'autres questions, un petit mot sur son chant, ses modèles et une dernière épreuve dont s'est délecté notre interviewé.
Durbuy Rock 2008 : Lofofora
Votre nouvel album, L'épreuve du contraire sort dans une semaine. Est-ce que l'attente commence à devenir longue ?
On a un album qui sort effectivement dans une semaine, on a hâte mais on s'est toujours bien débrouillé avec Lofofora pour ne pas avoir six mois voire un an entre le moment où tu sors de studio et le moment où l'album sort. Il y a des groupes à qui ça arrive, ça doit être complètement horrible car tu dois déjà être dans un autre état d'esprit quand ton disque met du temps à sortir. Nous, on a toujours insisté pour tirer au plus tard les dates d'enregistrement. L'épreuve du contraire a fini d'être mixé au mois de mai donc, tu vois, c'est pas trop long mais on a hâte de retourner sur scène et de reprendre la route car finalement c'est ça qui nous manque le plus.
Raconte-moi comment est né cet album ? Vous aviez une ligne artistique définie avant la composition ?
Chaque fois qu'on rentre dans notre local pour composer, on n'a pas particulièrement d'idées, on ne fait pas de briefing et on ne définit pas de concept. On est une bonne bande de potes, ça se passe façon pique-nique : il y en a un qui ramène les œufs durs, l'autre le poulet. Non, mais c'est un peu ça en fait, chacun y met un peu du sien, les gars arrivent avec des riffs et des rythmes et on s'y colle. C'est seulement au bout de quelques chansons finies qu'on se rend compte un petit peu de la teneur de l'album. Concernant les textes, sans parler d'un fil conducteur, j'essaie d'avoir un état d'esprit un peu récurrent sur un album. J'ai souvent du mal à parler de ce que j'ai pu mettre dans un disque mais l'album s'appelle L'épreuve du contraire et en faisant un peu le point sur mon époque, je me dis qu'on est vraiment monté à l'envers pour faire ce qu'on fait et de la manière dont on le fait. On ne fait pas du rock en France pour avoir du succès et devenir riche et célèbre alors que ça a l'air d'être la préoccupation d'à peu près tous les gens qui montent sur scène aujourd'hui. Donc c'est pour dire qu'on fait les choses contre vents et marées et c'est comme ça que le vent nous pousse aussi, tu vois, pour rester dans des allégories qui vont très bien avec la pochette plus nautique. Mais sinon, on ne se met pas dans un état d'esprit particulier, on est déjà dans une cave avec des relents d'égouts de temps en temps donc le contexte est déjà bien particulier.
Est-ce que vous vouliez aborder des thématiques particulières en terme de textes sur cet album ?
C'est toujours un petit peu la question pour moi de savoir si j'ai toujours quelque chose dans mon stylo, si j'ai encore un truc à dire parce que c'est toujours un peu les mêmes thèmes qui m'inspirent quand mes copains sortent les gros riffs. Après il y a des musiques différentes comme "Double A" qu'assument à fond le fait que, malgré la quarantaine passée, on est des adolescents attardés et on le revendique. Il y a pas mal de gens qui se font taxer d'adolescents attardés et je pense que c'est plus un compliment qu'une insulte. J'avais aussi envie de faire un texte sur les enfants parce qu'il y a eu du nouveau dans la famille des Lofo cette année donc on a écrit un morceau sur les bébés, c'était un truc prémédité. Ça m'est arrivé dans les albums précédents d'avoir une idée de texte et de ne pas avoir finalement la musique qui s'y prête, et puis je ne me voyais pas dire à mes potes : "Tiens, j'ai des textes, faites-moi une bonne instru qui va bien là-dessus". Ça sort à la bonne franquette et c'est à moi de voir quelles paroles je peux poser sur telle ou telle musique. Des fois, il y a des textes que je n'arrive pas à placer. Un exemple, j'aimerais écrire sur "si j'avais été une fille plutôt qu'un garçon", je n'ai pas encore trouvé mon angle d'attaque pour le faire et c'est encore un truc que j'ai sous le coude.
Retour à la production pour Serge Morattel qui avait produit le précèdent. Visiblement vous ne le lâchez plus là. Les Ventura nous disait il n'y a pas longtemps que c'est un type en or qui arrive à comprendre assez facilement l'univers d'un groupe. Peux-tu nous parler de lui et de cet enregistrement ?
Alors, Serge Morattel c'est un gars qui vient de Genève. C'est l'ingé son qu'on a choisi une deuxième fois pour travailler sur cet album-là. C'est vrai que c'est un mec extra, humainement t'as l'impression d'avoir un gars qui te connaît depuis toujours. On a le même sens de l'humour et quelques idoles en commun comme Jean-Pierre Marielle et Bertrand Blier, ça aide forcément. Il y a des grosses répliques qui ont ponctué nos journées, il peut te faire par exemple des tirades entières des "Galettes de Pont-Aven" donc tu te dis que c'est forcément un mec bien. On s'est aussi demandé si quelqu'un pouvait nous produire avec un son aussi voire plus épais car il avait fait quelque chose de balèze sur le précèdent. Et puis, nous n'avions pas envie d'un son purement métal car il y a des gens très doués pour faire ça en France, mais ce n'est pas le son de Lofofora. On voulait un truc un peu plus gras, un peu plus dégueu et c'est ce qui nous a apporté sur ce nouvel album, et d'après les premiers échos, les gens sont assez contents de la prod du disque. Cette fois, on a fait sortir Serge de Genève pour l'emmener en Bretagne dans un studio où on avait la chance d'habiter sur place. Donc, voilà, on a vécu ensemble pendant deux semaines et on s'est encore bien marré. Un coup, je disais à Serge : "En fait, quasiment la moitié de ton boulot d'ingé son, c'est éducateur spécialisé ?", il m'a regardé et m'a dit : "Oh, bien plus que ça !". Voilà, donc s'il y a des éduc spé qui veulent se recycler, ingé son ça peut le faire.
J'aime bien l'idée et le sens du titre de votre nouvel. Au final, on en est toujours au même point, on a des solutions alternatives prouvées pour améliorer les choses dans ce monde à tous les niveaux mais personne ne fait rien pour le rendre meilleur.
Ouais, comme je te disais tout à l'heure, L'épreuve du contraire c'est cette impression de ne rien faire comme les autres. Enfin, pas "rien" non plus, j'habite dans une maison avec un toit, je mange par la bouche, je fais caca par les fesses. Mais voilà, ça se situe dans la façon de concevoir le monde, dans cette idée de croire encore malgré la noirceur qui peut y avoir dans les albums de Lofo. Si on se sort les doigts du cul pour faire encore des disques, c'est qu'on y croit encore un petit peu. Le fait pour nous de faire du rock, de la musique violente comme ça, c'est déjà un exutoire quasiment vital. Il y a cette volonté chez nous de remuer le bazar même s'il y a de plus en plus de gens désespérés qui n'y crois plus. Comme j'avais écris il y a plusieurs albums en arrière : "Tant qu'il y a une lueur d'espoir, on essaye de s'accrocher à ça". Évidemment, parfois on me dit que ça fait 25 ans que je chante le monde qui va mal et, en fait, tout va pire encore. Bah ouais, mais en même temps, je ne pensais pas non plus que mes chansons étaient des baguettes magiques. C'est affligeant de voir que toutes les solutions sont là, il suffit juste d'ouvrir les yeux, quand on maintient une population dans une espèce d'angoisse permanente. Moi, depuis que je suis né, c'est la crise alors qu'en fait il n'y a pas de crise, il n'y a jamais eu autant de pognon. C'est juste qu'il ne va pas dans les bons tuyaux, c'est ça le problème. J'ai un peu des envies de meurtre quand je regarde le journal télévisé donc je préfère faire de la musique, vraiment.
Le jeu de mot du titre est évident d'où ma question : selon toi, est-ce que prouver le contraire est une épreuve ?
Ouais, ouais, ça peut l'être. Par exemple, ce que je viens d'évoquer avec la crise économique. On nous répète qu'elle est présente alors qu'il y a 400 000 milliards qui s'échange sur les places financières par jour. Tu vois, avec le budget pub de McDo, c'est limite si on ne résout pas le problème de la faim dans le monde. Pour prouver le contraire, sur certaines choses, faut y aller avec des formules et des idées chocs parce que c'est un peu comme ça que sont mises les idées négatives dans la tête des gens. Jamais on développe à travers les médias le pourquoi du comment, on te martèle des idées jusqu'à temps que ça rentre et que tu y crois et que tu finisses par plier l'échine. Il faut faire prendre conscience aux gens que ce sont des conneries mais c'est pas facile tout ça.
Au sujet de tes textes, est-ce que ce n'est pas difficile de se renouveler ? Par exemple, un titre comme "Romance" me fait penser à "Macho blues".
A chaque fois que je me replonge dans l'écriture, je me fais de grosses angoisses d'artiste à deux balles parce que je me dis que j'ai déjà tout dit. Et puis il y a des thèmes que m'inspire la musique qui me reviennent en tête et j'ai l'impression de plus ou moins de répéter la même chose. Si c'est un même thème, je vais essayer de le prendre en biais. Tu me disais que "Romance" te faisait penser à "Macho blues", il y a un petit peu de ça ouais, sauf que dans "Macho blues" c'était vraiment sur la domination masculine qui peut s'exercer sur une femme à n'importe quel âge de sa vie alors que "Romance" est plus anecdotique, c'est un morceau court, punk. Mes copains ont été surpris que je sorte un texte comme ça sur une telle musique. Quand j'ai fait écouter ce morceau à ma meuf, elle m'a dit : "Je vois exactement le genre de connard dont tu veux parler dans cette chanson". Ça m'a fait rire parce que c'est exactement ça, le macho possessif qu'est complètement à côté de la plaque. T'as quand même beaucoup de mecs qui sont avec leur meuf pour qu'elle remplace leur mère, il me semble quand même qu'il y a quelque chose d'hyper malsain là dedans. C'est ça que je voulais souligner dans "Romance".
Ce que j'adore dans votre dernier album ce sont des titres mi-parlé, mi-gueulé comme "Le malheur des autres". Je trouve que cet album a un tempérament plus équilibré, au final moins bourrin sur la longueur que Monstre ordinaire. C'est volontaire ?
On n'a pas particulièrement eu cette volonté de faire un album moins bourrin que le précèdent. Comme je te disais, on enchaîne les périodes de compositions et des fois ça nous arrive d'oublier des trucs qu'on avait composé 3 ou 4 mois auparavant. Phil, notre bassiste, enregistre tout sur son ordi et parfois on se réécoute des trucs qu'on avait totalement oubliés, du coup, on ne pense pas forcément à un équilibre. On s'est hyper pris la tête pour trouver le tracklist de l'album parce que contrairement à Monstre ordinaire qui est plutôt monobloc et assez métal, L'épreuve du temps rejoint peut-être un peu plus les premiers albums du groupe où on pouvait trouver différentes ambiances musicales, différentes émotions avec plusieurs façon de poser ma voix. Quand on s'est rendu compte de ça, on en était plutôt content. Quand je me remets à écrire des textes pour Lofofora, ça m'arrive souvent de réécouter ce qu'on avait fait avant et je trouvais que les deux derniers albums manquaient d'une pointe d'ironie et de dérision. Je me suis rendu compte de ça au moment d'écrire sur ce disque là que ça faisait longtemps que je n'avais pas sorti des phrases qui provoquent des petits rictus. Ce sont les différentes émotions du disque qui m'ont poussé à essayer d'aller plus loin là-dedans. Mais je vous rassure tout de suite, je ne vais pas écrire pour Gad Elmaleh, je ne suis pas banquier à la base.
Dour 2012 : Lofofora
J'ai remarqué en écoutant ce dernier disque que ça manquait de textes plus légers du genre "Buvez du cul", "Weedo" ou "Rock n' roll class affair".
Ouais, il y a peut-être moins de textes légers que sur les tous premiers disques de Lofofora. Dans un morceau comme "Chanson d'amour", il y a des phrases un peu chelous qui restent, pour un groupe comme nous, assez légères. Pour Bénabar, ce serait du pudding au béton, tu vois ? T'as une copine, t'es amoureux, t'es chanteur, la logique voudrait que tu lui chantes une chanson d'amour mais quand tu sors de chez toi et que t'as l'impression que tu vas te prendre une bombe sur le nez, t'as moins envie forcément. Mais c'est vrai, t'as raison, il faut que je fasse un peu plus de légèreté, je vais écrire de la chanson pour enfant bientôt (rires).
Vous vous êtes retrouvés dernièrement sur un ring de boxe pour tourner le clip "Contre les murs", raconte-moi ça.
Ça faisait bien longtemps qu'on n'avait pas fait de clip, le dernier datant de deux albums en arrière, sur Mémoire de singes, c'était tout en animation donc on y avait à peine participé et ça faisait vraiment longtemps qu'on n'avait pas fait un clip où on apparaît en playback. C'était plutôt cool, on a repéré un réalisateur qui s'appelle Guillaume Panariello et on aimait bien la noirceur des quelques clips qu'il avait réalisé, il y a une espèce d'élégance et son image est plus cinématographique que clip. Je dis "clip" parce que je trouve qu'il y a beaucoup de réalisateurs qui quand ils font des clips, on dirait qu'ils font des pubs. On n'avait pas envie d'une pub pour Lofofora mais plutôt d'un truc artistique donc il nous a proposé d'aller dans une salle de boxe. Comme on aimait bien le travail de ce mec-là, on lui a fait confiance quasiment à 100%. On a trouvé la première idée qu'il a évoquée un peu cliché même si c'était là-dessus qu'il voulait jouer, on aurait eu l'impression d'être des ados, enfin, je vais pas te raconter ça. Bref, on se retrouve sur un ring de boxe avec un mec qui s'entraîne, c'est assez éthéré finalement, c'est en noir et blanc en format cinémascope, on a vu le résultat il y a quelques jours et on en est content. Ce n'est pas un clip qui illustre totalement tous les propos de la chanson qui s'appelle "Contre les murs", ça parle d'une forme de combat avec soi-même.
Il est chouette l'artwork, qui l'a réalisé ?
Pour cet album, Phil a enfin ressorti ses crayons. Pour Monstre ordinaire, c'était une photo d'Eric Canto, Mémoire de singes c'était une peinture de King Ju de Stupeflip, depuis le début du groupe c'était Phil qui dessinait nos pochettes. Phil, ça fait très très longtemps que c'est mon copain et je crois que je ne l'ai jamais vu faire un aussi beau dessin. Il a fait une espèce de pointillisme, il s'en est fait des crampes à la main à répétition parce qu'il doit y avoir deux millions de points sur cette image et je trouve ça assez joli.
Ca joue toujours avec Mudweiser ? Un petit mot sur votre actu ?
J'ai habité dans le sud de la France à Montpellier pendant quelques années et j'ai été recruté par un groupe stoner-rock, comme on dit, qui s'appelle Mudweiser. A l'heure actuelle, on a fait deux albums et un EP en vinyle. On a eu des plannings professionnels et personnels qui fait qu'en 2014 on n'a pas fait beaucoup de concerts. Là je vais m'arranger avec le tourneur de Lofofora pour qu'il m'accorde un petit break, peut-être pendant les vacances scolaires ou un truc comme ça, pour tourner avec Mudweiser. On a en projet de sortir peut-être un 45 tours l'année prochaine, on ne fait que des trucs qui ne se vendent pas, c'est un peu le projet du groupe (rires). Je te dis ça parce qu'on avait sorti un maxi 4 titres qui n'existe qu'en 33 tours, juste ça, pas de format numérique avec. Donc, là ce serait un 45 tours, le truc qui se vend le moins en format disque en fait, faut bien le savoir, c'est notre côté groupe old school.
As-tu d'autres projets musicaux en ce moment à part ces deux groupes ?
Je n'ai pas particulièrement d'autres projets musicaux à part Lofofora et Mudweiser pour l'instant si ce n'est quelques fois des featurings, comme on dit. Le dernier en date, j'étais hyper étonné car c'est un groupe italien de techno plutôt hardcore, qui tape assez dur et qui s'appelle Cyberpunkers, ils font des trucs à la MSTRKRFT (NDR : prononcé Master Kraft, il s'agit d'un duo connu pour certains de leur remixes dont des titres de Justice et dans lequel est impliqué Jesse F. Keeler de Death From Above 1979). En fait, ils m'ont contacté par e-mail pour que je pose ma voix prochainement sur un texte qu'ils ont écrit en anglais. Ils veulent vraiment ma voix, j'ai été contacté par la scène internationale quoi ! (rires)
Tu es souvent invité sur des albums d'artistes divers, n'as-tu pas pensé à faire venir quelqu'un sur le nouvel album ?
C'est vrai que ça fait depuis quelques albums qu'on n'invite plus personne, les billets de train sont devenus tellement chers, c'est la crise ma bonne dame ! Non mais ça ne nous ait pas venu à l'esprit, c'est vrai qu'à chaque fois notre label nous demande si on a un invité, et cette fois-ci on lui a répondu qu'on n'y avait pas pensé. King Ju était venu pousser la chansonnette avec nous sur Mémoire de singes mais maintenant ce sera Catherine Ringer (Rita Mitsouko) ou personne de toute façon, que cela soit dit ! Mais comme j'ose pas lui demander, il y aura personne (rires).
On t'avait vu un jour dans un sujet télévisé qui traitait de cours de chant métal. Tu prends réellement des cours ?
J'ai pris des cours de chant au tout début de Lofofora donc il y a très longtemps de ça, plus précisément entre le premier et le deuxième album, avec une dame extraordinaire et généreuse qui s'appelle Sarah Sanders. Elle m'a appris énormément de choses, c'est comme si elle avait planté des graines dans ma tête et qu'elles avaient éclos quelques années plus tard. Ça nous avait été payé à l'époque grâce à un concours qu'on avait gagné, je n'avais vraiment pas les moyens de payer cette dame, enfin, ses services en tout cas. Sinon, concernant le reportage à la téloche qui est d'ailleurs passé au zapping où tu me voyais monter sur une chaise en train de faire "Raaahheuuh", c'était ridicule sorti de son contexte. Ce cours était un module éducatif sur les voix saturées, un cours collectif qui avait lieu à l'Empreinte à Savigny-le-Temple, et j'étais invité avec Poun de Black Bomb A pendant deux jours à cette espèce de colloque sur le métal et les voix saturées. Voilà, c'était rigolo à faire mais le reportage de France 3 était hyper parodique, c'était une catastrophe.
Comment tu gères ta voix au quotidien, tu la bichonnes au miel et au citron ?
Non, je ne prends rien du tout. J'ai arrêté de fumer donc ma voix va nettement mieux maintenant. A ce propos, mon ingé son m'a déjà dit que ça s'entendait et que j'arrivais à garder la même tonicité à la fin du concert qu'au début. On refaisait le rider pour la tournée - pour les gens qui ne savent pas, c'est la liste des choses que tu demandes quand t'arrives dans un lieu où tu vas faire un concert - et moi j'ai fait virer miel et citron parce que bon... en plus souvent c'est même pas du vrai miel, c'est du sirop de glucose avec du prout d'abeille ou je ne sais quoi donc hors de question que je bouffe un truc pareil.
Comment tu évalues tes capacités et l'évolution de ton chant depuis le début, tant au niveau de la technique vocale que du style ?
Oh, 12% environ avec une courbe exponentielle (rires). Qu'est-ce que je fais ? Je me la pète ? Je fais de la fausse modestie ? Plus sérieusement, je pense que j'arrive mieux à chanter qu'auparavant, il y a pas de choses que j'arrivais à faire avant que je peux plus faire aujourd'hui, c'est même plutôt le contraire. Je crois que Mudweiser m'a hyper décomplexé dans mon rôle de chanteur. Selon moi, je n'étais pas un chanteur mais plutôt un gars qui scandait des textes, qui gueulait un peu, d'ailleurs je le suis encore pour beaucoup de gens. Le fait de faire plus de mélodies, plus de choses vraiment différentes dans Mudweiser m'a donné plus de confiance dans Lofofora pour faire quelques mélodies de-ci de-là et de voir ma voix davantage comme un instrument qui fait des notes plutôt qu'une percussion par exemple.
Est-ce que le rap que tu écoutes te donne des idées pour les phrasés ?
J'ai écouté beaucoup de rap français et étranger il y a encore une dizaine d'années. Faut dire que maintenant il faut creuser pour trouver du rap qui ne soit pas de la musique de droite car j'ai beaucoup de mal avec tous ces mecs qui revendiquent juste le fait de rouler dans des grosses voitures et d'avoir des meufs siliconées par douzaine dans des jacuzzis. Je ne me reconnais pas dans cet univers-là. Une de mes découvertes ces dernières années en terme d'écriture, c'est un mec qui habite à deux rues d'ici qui s'appelle Marc Nammour, c'est le chanteur de La Canaille, un groupe qui va également sortir son album en septembre. Gardez un peu de vos sous après avoir acheté notre disque pour celui de La Canaille car Marc écrit super bien, cela m'a fait un bien fou de tomber sur les textes de ce mec là, je me suis senti moins seul. Je ne dis pas ça pour me flatter ou quoi mais c'est quelqu'un comme moi qui a l'air de faire un petit effort dans les thèmes, dans son approche, en plus son écriture est fluide. Ouais, j'aime beaucoup sa façon d'écrire. Et puis dans le phrasé, il y a des gens extraordinaires aux Etats-Unis, je ne connais pas assez la scène rap underground française pour en parler parce que la partie immergée de l'iceberg schlingue à fond, du coup cela ne m'a pas donné envie d'écouter ce qu'il se passe en dessous. Quand t'écoutes Jay Z, un type qui est surement l'artiste le mieux payé au monde, il a un flow magique et impeccable. Après, on peut aimer ses morceaux ou pas, mais il a fait "Death of auto-tune" et moi j'y ai cru à la fin de l'auto-tune parce qu'un mec comme lui l'avait dit mais malheureusement, ça s'est pas produit. J'aime bien des mecs qui ont un flow débonnaire et nonchalant comme Method Man, ce n'est pas facile avec la langue française de faire ça. Il y a trop de saloperies dans le rap, c'est pas bien de mettre des trucs comme ça dans la tête des enfants.
As-tu des modèles en terme de chanteur ?
Ouais, il y a un mec que j'adore pour son phrasé et sa rythmique, c'est Neil Fallon de Clutch. Ça doit faire 25 ans qu'on écoute ce groupe-là, je les ai vus pour la première fois il y a un an ou deux à La Maroquinerie et il est juste impeccable. Je suis vraiment sensible au groove et il en a, et c'est rare de voir un chanteur, parmi ceux qui envoient du volume et de l'énergie, maîtriser autant cette technique de groove. Moi j'écoute énormément chez moi de musique noire américaine datant de 1940 à 1975, c'est même l'essentiel de la musique que j'écoute donc pour tripper sur une voix, j'ai besoin de groove. Idem pour la musique, si ça groove pas, j'ai beaucoup plus de mal. Et puis, je vais te citer Nina Hagen également dans mes modèles. Je suis beaucoup plus fan d'elle que de Mike Patton par exemple. Mike Patton dans le métal, c'était "the ultimate reference", sauf que ca fait vingt ans qu'il nous fait du Mike Patton. Puis, il est capable de te faire des concerts ultra chiants avec un côté égocentré assez pénible, je ne comprends pas la démarche de monter sur scène de cette façon-là. Après, chacun son truc. Je préfère Charles Bradley par exemple.
Un mot sur la réforme des intermittents du spectacle ? Es-tu allé manifester ou allé foutre le bordel sur les plateaux de télé, voire refuser de monter sur scène ?
Bien sûr qu'on est sensible à la cause des intermittents du spectacle. Je ne vais ni dans les manifs, ni foutre le bordel sur les plateaux télé car je trouve que ça ne sert pas forcément la cause même si ça fait parler du bazar. Je soutiens ceux qui le font, je ne suis pas en train de dire qu'ils ont déconné, mais ça se retourne vite fait contre toi ce genre de choses. Ce que j'ai trouvé scandaleux quand ils ont allé chez Pujadas, c'est que la plupart des gens qui travaillent en régie ou sur des plateaux télé y compris dans l'information - ce qui n'est pas censé être du spectacle à la base - sont des intermittents du spectacle. Donc les mecs se sont fait couper la chique par des gens qui subissent à peu près la même chose qu'eux ou par des gens qui pourrissent le statut. Ce statut est viable, contrairement à ce que Monsieur Gattaz essaie de nous faire croire, le seul problème c'est qu'il y a des tas de gens qui bossent toute l'année à temps plein dans des boites de prod ou des rédactions et qui sont payés dix ou quinze jours par leur boite et le reste du temps par Pole Emploi. Donc c'est eux qui niquent ce statut-là, ces mêmes gens qui ont coupé la chique aux vrais intermittents qui sont venus pour manifester sur les plateaux télé. Le péquin moyen devrait avoir la puce à l'oreille quand il entend que le patron du Medef dit que les intermittents coûtent un milliard par an et qu'après calcul on arrive à 130 voire 110 millions d'euros. Donc pourquoi le mec essaie de nous faire croire que ça coûte dix fois plus cher ? Il n'y a pas un seul journaliste qui s'est posé la question et moi ça me scandalise vraiment. J'ai ouvert un peu ma gueule quand on est monté sur la scène du Hellfest parce que s'il n'y avait pas tous les intermittents et notamment tous les bénévoles - ça c'est encore autre chose - pour bosser sur ce festival, il n'existerait pas. On a joué quelques temps après sur un festival avec Gojira et j'ai fait éteindre la lumière et la sono et on a joué un morceau avec le son de nos instruments, sans amplification, pour montrer ce que ça fait un concert sans intermittent. Voilà, faut arrêter, quoi ! Il y a soixante milliards minimum qui se barrent en fraude fiscale tous les ans, et qui sont les méchants ? Les chômeurs, on entend dire qu'on va faire la chasse aux chômeurs, que ça représente une centaine de millions d'euros et c'est pareil pour les intermittents. Alors qu'on sait tous que l'avenir de la France, c'est le tourisme et la culture, on sait tous qu'on ne sera plus jamais un pays industriel. On va peut-être devenir un grand parc Astérix et pour ça, il faut des intermittents du spectacle.
Votre première date de tournée pour le festival Les Forges du Feu est tombée à l'eau soi-disant parce que le lieu est inadapté. Ça commence bien, ça vous est déjà arrivé ce genre de mésaventures ?
Le premier concert devait commencer le 13 septembre et il a été annulé par un préfet qui trouve que le lieu n'est pas adapté. J'ai trouvé ça quand même louche, c'est un peu à répétition ce genre de choses. Après, on a reçu des messages sur Facebook nous disant que ce festival était très mal organisé. Bon, je ne vais pas aller mener une enquête sur place pour savoir qui a raison et qui a tort. Notre tourneur, qui a pris un peu la température, pense qu'il y a de la manœuvre politique là-dessous, un petit fight d'élus locaux donc un truc un peu miteux. On a eu la même chose à Chambéry avec un changement de municipalité et, du coup, plein de concerts ont été annulés parce qu'ils veulent sucrer le budget de la culture. C'est ça le malheur des gens, c'est qu'il y a trop de culture dans ce pays-là donc s'il y a des économies à faire c'est bien en virant ça. Le plus ridicule dans tout ça c'est que du fait que les contrats avaient déjà été signés, ils veulent reporter la date donc on va être obligé de la faire et on va toucher des indemnisations en plus parce que la date est annulée. Je dis bravo au maire de Chambéry pour ses fabuleux calculs.
Dernière épreuve : je commence une phrase par "Si" et tu la termines...
Si tu devais réparer une seule erreur que tu as faites dans Lofo ou dans la vie
Attends, tu m'envoies face à des trucs là d'un seul coup (rires). Tu sais, comme dans les parcours du combattant quand tu as des figures qui arrivent en grandeur nature comme ça. Et bien, j'essaierais de ne pas faire de mal aux gens à qui j'en ai fait.
Si tu avais le président de la république devant toi
Je mettrais des piles dans son réveil !
Si ton gosse te disait que son rêve c'est de faire la même chose que toi
Fais la même chose que TOI mais si tu veux faire le même métier que papa, c'est plutôt une bonne idée parce qu'il y a moyen de se fendre la gueule. En ce qui me concerne, je la mettrais au courant des râteaux qu'elle peut se prendre, il y a du plaisir mais il y a les risques que ça comporte avec. Faut pas faire ça pour devenir riche et célèbre, je ne le dis pas qu'à mon enfant mais à tous les jeunes : il faut y croire, que tu en aies envie, que ce soit un besoin vital presque. A mon avis, c'est la seule bonne et unique raison de faire du rock dans la vie.
Si tu devais autoriser une chanson de Lofo pour une publicité
Ouah, putain ! Franchement, non, je peux pas. Ou alors, ce serait pour un truc genre Greenpeace ou Sea Shepherd et je leur laisse choisir la chanson qu'ils veulent. Tout à l'heure, j'évoquais le truc : quand tu sais ce que représente un budget publicitaire sur un an dans le monde, c'est juste incroyable, on résout la misère dans le monde. Ça, c'est L'épreuve du contraire mon pote !
Si tu devais jouer à la mi-temps d'une rencontre sportive comme certains le font aux States
Déjà, ce serait pas l'hymne national, c'est sûr et certain. Voilà, ça c'est pour ceux qui chouinent quand elle est mal chantée par des footballeurs qui sont toxicomanes et milliardaires. Le sport, ce n'est pas mon truc. Avant dans Lofo, il y en avait deux mais depuis l'arrivée de Vincent, il y a trois mecs qui aiment le foot et des fois je me sens seul, tu peux pas savoir, donc faudrait leur demander. Je sais pas moi, une chanson tranquille pour pacifier un PSG-Marseille ou, non, un truc pour qu'ils se foutent sur la gueule une bonne fois pour toute qu'on en parle plus
Si on te filait un paquet de fric pour jouer à l'anniversaire d'un rejeton d'un patron du CAC40
On aurait vraiment du mal à faire ça. On reçoit souvent des messages sur le site internet ou sur notre page Facebook de gens qui veulent qu'on joue pour leur mariage ou pour leur anniversaire et qui nous demandent nos conditions. Je suis désolé mais on ne répond même pas, on ne fait pas les bar-mitzvahs, les communions, les mariages, les enterrements. Peut-être que si c'était pour une grosse somme d'argent, on monterait une arnaque, envoyer d'autres gens à notre place, prendre le pognon et en faire quelque chose de marrant.
Si tu devais recommander un seul album de Lofo à un ami qui ne connaît pas le groupe
J'ai des amis dans la vraie vie qui ne connaissent pas forcément ma musique alors ça ne peut être que dans des conditions particulières genre très tard le soir ou dans la nuit. Tu vois, quand un pote vient dormir chez toi après un long apéro et à 3h du mat tu lui dis : "Bon, allez je vais te faire quand même écouter ce que je fais". Je sélectionne les morceaux selon la personne, je suis assez bon pour ça comme à l'époque où on faisait des cassettes, des compils pour faire découvrir des trucs aux copains. Mais, pour faire découvrir Lofofora, je l'enverrais direct sur le dernier. Ça paraît un peu bateau mais quand tu fais ce métier là, plus t'avances, plus tu maîtrises les processus de création donc plus le produit fini ressemble à ce que tu avais dans le crâne.
Si Phil te disait : "Bon écoute Reuno, il serait peut-être temps qu'on arrête"
Arrête, tu vas me faire pleurer ! Si cela arrive, c'est peut-être une nuit où on aurait dérapé dans un hôtel en pleine tournée, il serait arrivé un truc qui fait qu'on arriverait plus à se regarder en face, peut-être un truc comme ça (rires). Mais ça se peut, je ne sais pas... Si on avait cette impression d'être arrivé au bout de notre histoire, ce serait le moment d'arrêter. Je préférerais que ça passe comme ça plutôt que de s'inventer des faux problèmes et en se jetant tout à la gueule juste parce que l'un ou l'autre n'a plus trop envie. Comme les gens font dans les couples, par exemple, tu vois ce que je veux dire ? Il n'y a pas longtemps, un gars m'a demandé si je ne me sentirais pas ridicule en continuant Lofo à 55 balais et, en toute humilité gardé, je lui ai répondu que si Lemmy à 68 balais et Iggy à 67 ne le sont pas, je vois pas trop pourquoi je le serais à 55. Ou alors, c'est que j'avais déjà l'air con depuis un moment !
Merci à Reuno pour sa disponibilité et à Olivier d'At(h)ome.
Photo officielle : François Berthier
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