Ted interviewe Reuno Ted interviewe Reuno Mémoire de singes est sorti il y a bientôt deux ans, où en êtes-vous actuellement ? Fin de tournée ? Compositions ?
La fin de la tournée, officiellement, c'était en décembre dernier. Depuis, on a fait des dates à droite, à gauche, pas mal de festivals et puis des trucs à la bonne franquette efficaces comme aujourd'hui. Sinon, on a décidé de se remettre à la composition en septembre pour un nouvel album en 2010. On ne sait pas encore à quel moment précis ça sortira, ni à quoi cela va ressembler. On va causer ensemble sur les prémices de ce futur album très prochainement.

Lofofora a connu un changement de batteur récemment. Pouvez-vous nous le présenter ? Dans quelles circonstances l'avez-vous connu ?
Il est là ! (NDR : juste en face de nous en train de remonter ses chaussettes). Il s'appelle Vincent, il remonte ses chaussettes. Je me suis dit "Tiens, ce gars là remonte bien ses chaussettes, on veut un gars comme ça pour Lofofora !". On s'est retrouvé dépourvu de batteur d'une manière assez surprenante et déconcertante sur laquelle je ne m'étendrai pas (NDR : Pierre a envoyé un e-mail au groupe pour annoncer son départ afin de rejoindre The Dø). La page est tournée et puis voilà. Je joue également dans Mudweiser avec qui on a fait des dates à un an d'intervalle avec Zoë, le groupe dans lequel joue Vincent, dont il porte le magnifique T-Shirt publicitaire en ce moment même. Il ne lui manque plus que la banderolle, on va dire (rires). Je ne sais pas pourquoi lui et pas un autre, mais j'ai pensé à lui. Parfois, c'est vrai, j'ai des idées à la con. La boîte à rythme, ça a du bon ! (rires). J'en ai parlé aux copains qui ne le connaissaient pas et ne l'avaient pas vu jouer. Ils m'ont fait confiance et je ne pense pas que Vincent regrette d'être venu. Des fois, on lui jette des cailloux mais cela ne va pas plus loin (rires).

Vingt ans de carrière déjà !
Ouais, pas loin. J'appelle pas ça une carrière mais plutôt une mine (rires). On voit pas beaucoup le ciel, tu sais. On est au fond du chariot (rires).

Toujours le même peps ?
Dis pas ce mot là, s'il te plaît (NDR : Pep's est un groupe répertorié dans la chanson française dont j'ignorais l'existence). Pourquoi pas le même Tryo ou le même La Rue Ketanou pendant que tu y es ! Tu vas te faire exorciser de ce pas ! (rires) On a jamais été blasé de Lofofora. Mais comme toute histoire, t'as des hauts et des bas, des poussées et des baisses de motivation. Normal quoi ! On est pas des robots ! Ce que je me dis c'est que chaque moment passé avec ce groupe, c'est toujours ça de pris. Je ne sais pas où tout cela va me mener.

Avez-vous un moment de votre histoire plus fort qu'un autre ? Si oui, lequel ?
C'est ponctuel et puis un bon moment en chasse un autre. Donc, c'est toujours le dernier bon souvenir qui est le plus fort. C'est peut-être bateau de dire ça mais les plus beaux souvenirs, c'est des bribes de secondes où t'as l'impression de faire un avec le public. Par exemple, il y a deux semaines lors de notre toute dernier concert du côté d'Albertville, on jouait sur un terrain de foot gravillonné. Quand on est arrivé sur scène, ça a soulevé tellement de poussières que le public était gris. Et dans cette espèce de brume, de nuage, j'ai trippé ma race ! Etant un fou de film d'horreur à la Romero, je me croyais dans un de ses films avec dans le rôle des zombies le public. L'ambiance que cela dégageait était énorme car il y avait également la lune et les montagnes. Il y a des moments où la musique t'emmène dans des situations surprenantes. Je sais pas ce que ressent Gilbert Montagné quand il joue mais ça peut-être trippant. (NDR : Vincent nous annonce que Gilbert est aveugle...) Ouais ! Justement, ca doit être trippant !
En moment fort, je retiens aussi la tournée faite avec Parabellum il y a quelques années. C'était une bonne tranche de rock n' roll concentré, un peu comme dans un film.

Quelles sont les principales choses qui ont changées dans la vie d'un groupe de rock français en vingt ans ?
Il y a vingt ans, j'avais une Volkswagen Polo blanche. Maintenant, j'ai une Twingo noire.

Et sinon, au niveau de l'organisation ?
On est toujours autant des branleurs ! T'as vu, on a eu un collectif qui est devenu un label (NDR : Sriracha) qui a mis la clef sous la porte car on est trop marginal dans notre façon de fonctionner. Et puis on est dans une économie de marché où tu dois être une espèce de businessman et on a jamais eu ça dans l'âme. Il y a des gens qui y arrivent très très bien et pour qui j'ai un respect immense comme les gars d'Enrage Production. Eux savent bien s'organiser.
Pour en revenir à ta question, il n'y a pas beaucoup de choses qui ont changé. Nos modes de vie n'ont pas bougé. Au début de Lofofora, je vivais dans un squat, aujourd'hui je suis locataire d'un 3 pièces. Tiens, je suis en train de me poser une question existentielle : Est-ce que j'ai évolué ? Je ne crois pas à part le fait d'être plus sage et de prendre du recul sur certaines choses. On dépense moins d'énergie sur des conneries qui n'en valent pas la peine. On essaye d'être un peu moins dispersé et moins bordélique. Parce qu'on est pas très organisé, il faut bien l'admettre.

Lofofora à Landresse Lofofora à Landresse Le processus de création d'un morceau a t-il évolué avec l'expérience ?
C'est toujours pareil. Les musiciens créent, font évoluer des plans et des riffs. Je m'inspire de la musique pour écrire un texte, des idées que j'ai stocké dans un coin de ma tête. Et puis, j'essaie de placer ça lorsqu'ils font tourner les riffs ou quand la composition commence à prendre forme. Mais, il n'y a pas de formule donnée. La plupart du temps, j'écris sur la musique. Le contraire, c'est plus chiant. Les mots forment un rythme et si celui-ci ne colle pas sur la mélodie et les rythmes, ton texte, même rafistolé, ne sert plus à rien. Les mots et la mélodie me vient plus directement quand les riffs tournent. La construction des mots sur le son est comme un Polaroïd, le résultat se définit petit à petit.

Alors que les trois premiers albums avaient leurs propres identités musicales et poursuivaient une évolution certaine, j'ai l'impression que depuis Le fond et la forme, votre style n'a pas beaucoup évolué. Avez-vous ce sentiment ? N'avez-vous pas envie d'explorer d'autres sphères musicales, un peu comme vous le faisiez avant ?
Non, puisqu'a chaque fois, on fait ce qu'on a envie de faire. On sent que parfois on veut faire des truc plus énervés, rentre-dedans, un peu comme le dernier album. A l'époque de Le fond et la forme, on voulait faire quelque chose de plus positif. Pour Les choses qui nous dérangent, c'est plus des trucs introspectifs et cet album reste différent des autres dans le sens où il est beaucoup moins métal et sonne plus rock. La distortion a été moins importante pour celui-là. Et au final, c'est l'album qui nous a nécessité le plus d'énergie. Avec Mémoire de singes, on a voulu revenir à un esprit plus keupon. En tout cas, dans l'intention. Alors qu'au départ, l'envie était différente. On le voulait ambiancé avec l'idée d'un double-album, donc rien à voir avec ce qui est sorti au final. On se laisse porter par nos humeurs et d'avoir le son qui correspond à ça quand on compose. Parfois, c'est compliqué au niveau du son d'intégrer dans un concert des chansons de Les choses qui nous dérangent car ce n'est pas le même comparé aux autres qui sonnent bien plus métal.

Vous avez désormais beaucoup d'albums à votre actif, regrettez-vous certains choix ? que changeriez-vous ?
Sur le travail de mes copains, je suis toujours super content. Mis à part peut-être sur l'album Double où les reprises ne sont pas bien mixées. Par exemple, "Madame rêve" aurait pu sonner beaucoup mieux, je pense qu'on aurait dû aller encore plus loin dans la production. Je me dis parfois qu'il serait intéressant de les faire remixer. Je reste convaincu que ce que t'enregistres doit être spontané. C'est bien qu'il reste des trucs où tu n'es pas satisfait. Cela donne envie de faire un autre album et d'aller encore plus loin. Il n'y a rien de plus qui m'emmerde que ces gens qui croient à la notion de perfection. Ca n'existe pas ! Non seulement elle n'est pas humaine mais elle est surtout pas de ce monde. C'est même un fantasme malsain je trouve. Ce que j'aime dans le rock, c'est ce côté inachevé. A un moment, je crois qu'il faut savoir s'arrêter. J'ai pas envie de me prendre la tête deux heures sur un enregistrement de voix. Le bout-à-bout, je connais pas. A la limite, tu peux reprendre des parties où ta voix a déraillé mais c'est tout.

Avez-vous envie de renouer avec l'expérience du deuxième CD de Double (version retravaillée de vos morceaux et reprises) mais sur un plus long effort ?
Non, pas trop. On bosse des reprises par contre. On en a joué quelques-unes dernièrement en acoustique avec Daniel et Phil lors d'une soirée de soutien pour un pote à qui il est arrivé un grand malheur. On a notamment fait deux morceaux de Johnny Cash. On va faire "Le bal des enragés" avec nos amis de Tagada Jones. On a repris du The Exploited qu'on jouera ce soir d'ailleurs. Et également une chanson de Parabellum, "Amsterdam", qui va se retrouver sur un tribute qui devrait sortir dans quelques mois. Mais, faire tout un disque de reprises, c'est pas vraiment une volonté.

Vous avez un répertoire conséquent, comment-faites vous pour élaborer une set-list ? Vous jouez au bras de fer pour savoir qui impose ses morceaux ?
Ouais, c'est presque ça. Tu sais, on a dû composer entre quatre-vingt et cent morceaux. Quand il faut en choisir quinze pour un concert, c'est toujours compliqué. Il y a des morceaux qu'on ne se sent plus de jouer, d'autres qu'on ne veut plus jouer et qu'on va sûrement rejouer plus tard. On essaie toujours d'éviter le piège de jouer un best-of, ce que les gens attendent de nous. Donc, il y a des titres phares de Lofofora qu'on ne joue plus du tout et d'autres pour lesquels on a une envie folle de jouer.

Avez-vous des nouvelles des anciens membres ?
Non, pas trop en fait. Pascal, je crois qu'il est professeur de guitare et il me semble qu'il a joué avec des membres de Kabal et sur des projets hip-hop, des trucs comme ça. Farid, il a quitté Lofofora pour former In Vivo et j'ai pas de nouvelles de lui. Quant à Edgar, on s'est quitté en mauvais termes à l'époque, je crois qu'il a arrêté la batterie depuis.

Tu fais un guest sur le prochain album de Noïd, The ever expanding. Comment tu t'es retrouvé à enregistrer des voix avec eux?
Ouais ! Je les ai vu sur une date et j'ai été pris de tendresse pour ces gars. Ils me rappellent des gens que je respecte beaucoup sur la scène française comme les Burning Heads ou les Sleeppers. Ce sont des gens entiers et francs qui vivent leur musique à fond, qui s'en foutent du sens du vent et qui font un truc avec leurs tripes et leur énergie. En plus c'est des... (NDR : parlant à une gamine toute mignonne qui arrive vers nous avec une tablette de chocolat) Arrête de manger du chocolat toi ! T'as rêvé ou quoi ? Mariolito, tu vas te calmer un peu !

Je sais que tu étais fan de lui, un mot à dire sur Bashung, son dernier album et sa tragique disparition ?
Pas grand chose. J'espère juste qu'il nous garde des bouteilles au frais pour quand on le rejoindra. Le dernier album, c'est la grande, grande classe. Ces deux derniers étaient vraiment pesants. Quand L'imprudence est sorti, c'était un moment où j'allais pas bien et j'ai attendu bien six mois avant de l'écouter car je savais qu'il fallait que je sois en forme pour ça. Il y a une intensité dramatique rarement atteinte sur cet album. Il m'a fait autant d'effet que quand Brel avait sorti son dernier album quand j'étais petit. Il y avait cette même intensité sur "Orly" ou "Les marquises" de Brel. Bon, ca reste mes références. Le dernier Bashung était plus léger avec un côté engagé. Sur certains textes comme "Résidents de la république", on sait de qui il parle. Et jamais, il nous avait fait ça. Dans cet album, il y a une légereté, une aisance, c'était un peu redevenu le Bashung de "Joséphine" et de "Gabi" qu'on aime beaucoup aussi. Bien sûr, sa disparition m'a touché comme tout fan. C'est une année super dure avec le décès de Lux Interior de The Cramps. Et là, je me dis "Putain ! je prends un coup de vieux là !". J'ai vraiment des idoles qui ont disparu.

Tu l'as déjà rencontré ?
Non, jamais. J'ai rencontré son libraire il n'y a pas longtemps. On est venu à parler de lui, ça faisait bizarre. Lemmy et Iggy, tenez bon ! (rires)

Reuno à l'oeuvre Reuno à l'oeuvre Cite moi le dernier groupe que tu as découvert et que tu as aimé et celui que tu as détesté
Ma dernière claque, c'est un truc auquel tu vas pas t'attendre !

Un truc des années 80 ?
Non, c'est le live d'Erykah Badu que j'ai fait la semaine dernière avec ma fille au Zenith de Paris. J'ai pris une méchante claque. La grande classe de A à Z. Son jeu de scène, son chant et parfois ses discours, notamment politique sans la démagogie de base, m'ont carrément scotché. Elle chante comme une reine et est très intelligente. Enormissime !
J'avais vu Nine Inch Nails quelques jours avant, je me suis emmerdé grave. J'ai détesté, c'était trop carré. Ca sert à rien, il ne se passe rien en fait ! Même les réorchestrations des morceaux sont mauvaises. Maintenant, le gars, il fait des UV et du body building. J'ai vraiment été super déçu, je trouve qu'il n'a plus la foi ce type. Son show est un vrai programme de démonstration. En concert, j'aime bien quand il y a du danger. Erykah Badu, elle prend des risques, c'est des choses qui sont vachement plus sur la corde raide.
Et sinon, je vais voir The BellRays dans deux jours ainsi que Jello Biafra & Guantanamo School of Medicine au Nouveau Casino, fin août, avec Sven de Parabellum. Et puis il y a plein de truc qu'on aime bien comme le dernier The Gossip. Tu sais, j'aime les voix soul moi.

Ce soir, vous jouez au fin fond de la Franche-Comté. C'est une région que vous connaissez, je crois. C'est bien là que vous avez composé ou tout du moins travaillé Mémoire de singes ?
La moitié de Dur comme fer a été faite au Moulin de Brainans et deux-trois morceaux de Mémoire de singes également. On est resté trois semaines pour le dernier et on a surtout fait de la pétanque et de la dégustation de produits régionaux dont de la bonne gnôle dans des bouteilles de Perrier, va savoir pourquoi. On a fait le championnat de pétanque nocturne, fallait bien se tenir en forme !

Connais-tu des groupes de la région ?
Ouais, j'aime bien Ampools. Et un autre groupe dont le nom est Jack and the Bearded Fishermen. Ca c'est mortel et c'est de Besançon. (NDR : faisant mine que je ne connaissais pas) Quoi ? Tu connaissais pas ? Je te la cloue là, hein ? (rires) La Franche-Comté, c'est quand même la région qui a vu naître un des premiers groupes de hardcore français avec Original Disease, des mecs de Pontarlier. Cela fait bien une bonne dizaine d'années qu'ils ont arrêté maintenant. Il y a un myspace posthume qui a été créé d'ailleurs. L'un des tout premiers concerts de Lofofora à Paris, c'était justement la première partie de ce groupe là en soutien pour le Scalp.

Pour terminer, as-tu un petit mot à faire passer à nos lecteurs ou à des personnes proches ou bien un coup de gueule ?
Comme tu le disais, on est en Franche-Comté et j'adore cette région et les gens d'ici. Il faut dire aux groupes parisiens qu'ils se payent des plaisirs en allant jouer en province dans des régions comme la vôtre et notamment dans des festivals comme celui-ci. C'est des pures ambiances, à la bonne franquette. Et c'est dans ce genre d'endroits que le rock se passe, pas sur Internet ! Même si cela permet aussi de découvrir des groupes par l'intermédiaire de blogs ou de webzines. L'essence du truc, c'est pas dans des boîtes en plastique. Le rock c'est comme les champignons, ca pousse dans les caves et dans les champs.