Nous sommes allés rencontrer les Lofo en février dernier à Mains d'Oeuvres alors en pleine préparation de leur tournée acoustique. Complet cette fois-ci, le groupe nous livre - toujours avec cette humeur joyeuse et taquine imparable qui les caractérise tant - son sentiment sur cette sortie un peu particulière dans sa discographie. Une interview spécialement pour vous, les puceaux !
Ça sort d'où cette idée d'un album acoustique, pouvez-vous me raconter la naissance de ce projet ?
Phil (basse) : L'idée de ce projet, c'était de faire quelque chose de différent pour ce neuvième album. Ce n'était pas nécessairement de surprendre, mais de faire surtout ce qu'on a envie, d'aborder notre musique différemment avec un peu de musicalité et d'amener notre création un peu plus loin en réalité. En découvrant de nouvelles choses, on s'aperçoit qu'en grattant à la guitare et à la basse comme ça, on arrivait à sortir des mélodies et des idées très musicales, ce qui permettait à Reuno de poser ses textes différemment, sans les hurler, mais en faisant toujours passer le même message avec un peu plus de poésie. On voulait amener un peu de nouveauté dans ce qu'on sait faire jusqu'à présent.
En quoi le travail de composition acoustique sur Simple appareil est-il différent de celui des albums électriques de Lofofora ?
Phil : C'est différent déjà parce qu'on joue sur des amplis acoustiques derrière nous, on s'entend jouer. Du coup, c'est beaucoup plus calme, l'instrument n'est pas le même, on communique beaucoup différemment. Ça laisse place à l'imagination et à la musicalité, et moins aux coups portés comme on peut le faire jusqu'à présent dans nos morceaux qui sont plus métal, punk, énergiques, énervés. Là, c'est comme si tu bois ton café, et tac, tu joues, tu cherches, tu gratouilles, t'as une mélodie qui vient, tiens "qu'est-ce qu'il se passe ?".
Comme pour Dur comme fer ou Mémoire de singes, vous êtes allés trouver l'inspiration en Franche-Comté pour composer le disque. C'est "the place to be" ?
Reuno (chant) : Tu sais, chez Lofofora, il y a toujours eu un aspect social, les minorités ethniques, tout ça... (rires)
Daniel (guitare) : C'est une région en perdition.
Reuno : On a même un batteur de Dunkerque, donc tu vois.
Kevin (batterie) : Ça aurait pu être pire, il aurait pu être roux.
Reuno : Roux et Irlandais... (rires)
Phil : Et de Saint-Étienne !
Reuno : Non, mais ça fait longtemps cette histoire, Dur comme fer avait été en partie composé en Franche-Comté, on a toujours eu des affinités avec les gens de cette région qu'on pourrait qualifier de... je sais pas... Doudou tu les connais mieux que moi...
Daniel : Ouais, un petit peu.
Reuno : En même temps, tu vas pas trop la ramener parce que c'est là bas que t'habites.
Daniel : C'est ça, c'est surtout que j'habite là bas, donc de temps en temps on changeait de lieu, moi je viens souvent répéter à Paris chez Phil ou chez Reuno, puis des fois ils viennent chez moi. C'est pour ça qu'on s'est retrouvés parfois en Franche-Comté.
Reuno : Ouais, et puis on a composé en partie dans une ferme comtoise tout en bois. Et quand tu fais de la musique acoustique dans une maison en bois, ça prend tout son sens je trouve, au niveau du son et de l'atmosphère.
Phil : Au niveau du chauffage aussi, les bûches... (silence général)
Kevin : Coupez !
Reuno : C'est pas Phil qui écrit les paroles, je vous rassure. (rires)
À lire le titre, Simple appareil, vous considérez que vous avez été mis à nu. Vous ressentez quoi quand vous débranchez les instruments ? Ou l'inverse ?
Reuno : Des acouphènes ! (rires). Ça, c'est un truc qu'on a pas.
Phil : Si, moi j'en ai. Je les ai d'origine.
Où l'album a-t-il été enregistré et par qui ?
Reuno : Pour cet album, on souhaitait travailler à nouveau avec Serge Morattel, qui a bossé sur nos deux derniers albums studio et l'album live. C'est un mec avec qui on s'entend super bien, c'est quelqu'un qui est connu pour ses grosses productions mais qui, on le sait, est très polyvalent. Il peut enregistrer aussi bien de la pop que de l'électro acoustique et il a plein d'idées. C'est quand même l'idéal quand tu pars en studio avec un ingé-son qui soit comme le membre supplémentaire à un moment donné. Avec Serge, c'est vraiment le cas, il nous connaît bien, humainement et artistiquement, c'est un régal de bosser avec ce type-là. On lui a suggéré plusieurs studios, et c'est lui qui a choisi et on s'est retrouvés au studio MidiLive à Villetaneuse. Ce sont les anciens studios du label Vogue dans les années 60, donc un vieux studio qui a été réhabilité depuis une bonne dizaine d'années. D'après les dires de Serge, c'était l'endroit idéal car c'est un lieu qui a été construit pour être un véritable studio, contrairement à beaucoup de studios qui ont été montés dans un lieu qui existait auparavant. Et puis, ce studio a été construit à une époque où tout n'était pas forcément électrifié, donc il a une acoustique intéressante avec un paquet de matos vintage avec de la lampe à gogo. Comme on a toujours souhaité avoir un son le plus organique possible, c'était le lieu idéal. Même sa configuration permettait d'enregistrer ensemble sans se polluer au niveau du son, parce qu'il y a des panneaux qui te séparent les uns des autres. C'est vraiment un lieu chargé en histoire, il y a aussi bien Carlos qu'Annie Cordy qui ont enregistré là-bas que Aretha Franklin ou Led Zeppelin.
Daniel : Ou Jimi Hendrix.
Reuno : D'où l'intro des "Anges" de Doudou ! (rires)
Reuno, plusieurs fois, tu m'as parlé de ton admiration pour l'œuvre de Bashung. Dans "Les anges" notamment, j'ai l'impression de l'entendre. T'as pas eu cette impression ?
Reuno : C'est vrai que c'est sur ce morceau-là qu'il y a le plus l'influence de Bashung dans mon travail. Quand j'ai trouvé le placement de voix, tout de suite je me suis dit que ça faisait très Bashung. Après, il y a plein de groupes qui trouvent des riffs qui sont forcément inspirés de ce que tu as écouté. Sur les premiers retours de ce titre, les gens nous ont beaucoup parlé d'une filiation de Bashung ou de Gainsbourg, c'est plutôt cool quand t'écris des chansons et que tu chantes en français, qu'on cite ces messieurs-là plutôt qu'Obispo et Grand Corps Malade. Ouais, c'est assumé complètement, c'est le morceau qu'est sorti en premier mais c'est pas le plus représentatif de l'album parce qu'il y a cette couleur un peu ténébreuse alors qu'il y a en a quand même d'autres dans ce disque.
Vous n'en avez pas profité pour introduire une petite reprise acoustique d'un groupe que vous affectionnez ?
Reuno : Le fait de faire des reprises avec Lofo, ça fait un petit moment que ça ne nous est pas arrivé. C'est plus le genre d'exercice maintenant qu'on va pratiquer en live plus qu'en studio. D'ailleurs, il y aura une reprise sur les concerts à venir, enfin, si on arrive à bien la bosser (rires), on l'a commencé hier, ça tournait pas mal. On doit avoir une bonne centaine de titres aujourd'hui avec Lofofora, donc on essaye déjà de voir ce qu'on a sous le coude. Et puis je crois que ça ne nous est pas venu à l'idée de faire ça.
Daniel : Ouais, on n'en avait pas envie. On préférait composer quelque chose à nous. Déjà, c'était un truc complétement nouveau, avec des instruments nouveaux, on avait beaucoup de matière et on a tranché en se retrouvant avec 11 morceaux, mais je crois qu'on avait au moins...
Reuno : ...une bonne quinzaine.
Phil : Un peu plus.
Daniel : Ouais, c'est ça, un peu plus d'une quinzaine de morceaux. Et puis, on sortait du Bal des Enragés avec beaucoup de reprises jouées en un an.
Reuno : C'est ça aussi, les reprises, on est calmé pour un moment.
Plus généralement, pour chacun d'entre vous, à quels artistes vous fait penser Simple appareil quand vous le réécoutez ?
Kevin : À Lofo !
Reuno : Je ne vois pas, non.
Phil : À nous-mêmes.
Reuno : Ouais, des fois, je pense plus à Daniel, d'autres fois à Kevin ou à Phil (rires). Non, là je ne trouve pas qu'il y ait un lien direct dans la musique qu'on a pu faire en acoustique avec quelque chose qu'on aime ou qu'on écoute, ou même qu'on connaitrait. C'est peut-être prétentieux de répondre ça, mais je vois pas.
Phil : Un peu comme les autres albums d'ailleurs. Même si tu ressens des influences de part et d'autres, ça ressemble à Lofofora.
Kevin : Et pis faut dire aussi qu'on n'écoute pas de la musique acoustique à longueur de journée. Donc forcément, ça ne nous influence pas autant.
Daniel ou Phil, ça vous arrive de composer à l'acoustique pour les albums qui ne le sont pas ?
Daniel : Il m'est arrivé une fois, surtout sur le dernier album, d'avoir composé pour un album électrique sur une acoustique, notamment un morceau comme "Pornolitique" où je délirais sur mon acoustique à ce moment là, et y'a cette idée-là qu'est sortie, ça tournait et s'enchainait bien, je l'ai rejoué en électrique et leur ai proposée. Ça a donné ce que ça a donné, mais c'est parti d'une composition acoustique à la base, et pourtant c'est un morceau qui envoie pas mal. Donc, oui, ça peut arriver des fois.
Kevin, tu es arrivé dans Lofofora pour ce projet acoustique, on te connait plus pour tes collaborations avec des groupes métal. Est-ce que tu t'es décidé à les rejoindre grâce à ce projet spécifiquement, pour varier un peu les plaisirs ?
Kevin : Non, je ne suis pas rentré dans Lofo pour ce projet. Phil, via un copain en commun, m'a contacté pour me raconter l'histoire de Vincent, le batteur toujours actuel de Lofo, qui est parti faire le cycliste à plein temps dans le monde entier avec sa chérie. Du coup, il m'a proposé de faire un remplacement, et vu que j'écoutais Lofofora depuis mon adolescence, je me suis dit : "Carrément !". Ensuite, ils m'ont dit que c'était acoustique, je leur ai dit "Sûrement pas, plutôt mourir !" et ils m'ont convaincu avec le temps. Non, je plaisante, dès le début ça m'a tenté parce que j'avais envie de faire autre chose que du death métal. Lofofora en électrique c'est déjà autre chose, alors en acoustique c'est encore plus différent, il y avait ce challenge personnel qu'était super cool à prendre. J'ai accepté avec grand plaisir.
Ça peut aussi vous amener à jouer dans des endroits un peu plus intimistes, donc plus de possibilités ?
Reuno : C'est vrai que, du fait qu'on ait enregistré un album acoustique, on va faire une tournée acoustique. Il y a pas mal de gens qui se demandent si ça va être uniquement acoustique, oui, ça sera bien une tournée acoustique. On ne va pas faire moitié-moitié. Pour l'instant, il n'y a pas des lieux vraiment atypiques, si ce n'est qu'on doit être programmé sur un festival de jazz en Suisse dans lequel on va jouer sans électricité dans un temple que j'imagine protestant. Donc, pas d'ampli, pas de micro, à l'ancienne, ça va être une espèce de challenge, j'ai hâte de voir ce que ça peut donner, c'est assez excitant. On aime bien le fait d'avoir fait cet album comme ça, et puis de faire des concerts qui vont être différents de ce qu'on a toujours fait ensemble. C'est quand même plaisant quand un groupe qui existe depuis pas loin d'une trentaine d'années de se retrouver dans une situation de jeune premier.
Daniel : De jeune premier (rires)
Reuno : Ouais, d'habitude, je dis puceau. Je me dis, il y a plein de puceaux qui vont sur le fenec, donc je voulais pas... (rires)
Daniel : Faut pas le couper ça !
Kevin : Je ne savais pas qu'on avait un concert acoustique en Suisse.
Phil : Il est maintenu ce concert ?
Reuno : Ah, je ne sais pas, je pensais. Bon, ben on ne va peut-être pas le faire alors (rires). C'est pas grave, les gens vont pas voir des concerts en Suisse, à part Doudou (NDLR : Daniel, le guitariste).
Quels sont les albums acoustiques qui ont le plus tourné dans vos vies ?
Reuno : Je pense à tout ce qu'a enregistré Johnny Cash vers la fin de sa vie. Au niveau de la prod', c'est Dieu qui s'en est chargé, quand c'est Rick Rubin aux manettes, forcément c'est bon.
Kevin : John Garcia.
Reuno : Ouais, le dernier album du chanteur de Kyuss en acoustique est hyper bien. Celui des Young Gods aussi, une magnifique performance, je me suis dit : "OK, on peut faire un album acoustique, ça peut être bien", parce que je les avais vus en acoustique à l'occasion de cette expérience là, ça fait partie des raisons qui m'ont personnellement convaincu que c'était possible. Sinon quoi d'autres ?
Kevin : Nostromo forcément, Hysteron-Proteron que j'avais pas mal écouté.
Daniel : En dehors de ce qu'a cité Reuno, je dirais Steve Von Till, l'un des guitaristes de Neurosis. J'aime beaucoup ce qu'il fait en acoustique, c'est particulier, il est tout seul, c'est très sombre, j'aime beaucoup l'atmosphère qui s'en dégage.
Reuno : Je suis assez fan de vieux blues, du delta blues, c'est souvent des gars tout seuls avec leur guitare. Ce sont un peu les pères fondateurs du blues donc ces sonorités là résonnent aussi dans mon petit cerveau.
Est-ce qu'il y a des groupes pour lesquels vous aimeriez qu'ils sortent un album acoustique ?
Daniel : Ils font ce qu'ils veulent... (rires)
Reuno : Je dirais Clutch, on en parlait hier, c'est un groupe qu'on aime bien. Et il me semble qu'ils avaient fait ça mais je ne sais pas si c'est sorti sous forme d'un album ou d'un bonus d'un de leurs disques. Je trouvais que ça leur collait bien aussi. Sinon, je ne vois pas trop. Daft Punk ? (rires)
Ça ne vous surprendrait/dérangerait pas que les gens découvrent seulement Lofofora par le biais de cet album acoustique ?
Reuno : S'il y a des gens qui ne connaissent pas Lofo et qui nous découvrent avec ce disque-là, ça leur fera une bonne introduction pour écouter par la suite les albums précédents, ça reste nous. Je fais souvent des parallèles entre la musique et la bouffe parce que c'est un peu pareil, c'est un truc que tu prépares dans ta cuisine et puis après t'es content de partager avec tes potes. Ça met vachement plus de temps à préparer qu'à dévorer ou déguster, selon le cas, mais du coup c'est un peu comme si on avait toujours fait du chili bien épicé et puis là on fait une tartiflette (rires). C'est la même équipe, la même cuisine, mais pas la même recette.
Du coup, est-ce que vous pensez que ça peut vous ouvrir des portes pour passer sur des radios un peu plus grand public ?
Daniel : C'est le but ! On fait ça pour passer à la radio et à la télé, et surtout aller aux Victoires De la Musique (rires).
Reuno : Franchement, si on voulait passer sur France Inter, on ferait du rap autotune, pas du rock acoustique. Vu que c'est la nouvelle émotion des gens de la culture aujourd'hui, ça y est, maintenant que les rappeurs se prennent vraiment pour les mecs de la variét', c'est le truc qu'il faut faire car ça leur fait plus peur. Je ne pense pas que la musique acoustique puisse nous ouvrir des portes "commerciales" ou promotionnelles.
Dans quel état d'esprit pensez-vous trouver vos lofofurieux à l'aube de cette nouvelle tournée ?
Reuno : C'est évident qu'on se demande comment notre public qu'on a secoué à base de pogos et de mosh-pits pendant 25 piges, va prendre le fait de partager un moment un peu plus posé avec nous. Mais jusqu'alors, en ayant posté juste un seul titre pour les réseaux sociaux, ils ont l'air en majorité de plutôt bien prendre la chose. Je pense qu'il y a une partie de notre public qui sait que notre manière de les respecter c'est de ne pas leur réchauffer la même soupe en permanence, mais au contraire essayer de se renouveler, de leur montrer ce qu'on a dans le bide à un moment donné. Je pense que la plupart d'entre eux le prennent comme ça et se disent qu'on peut partager autre chose avec eux que juste des torgnoles.
Le plan pour cette année, c'est uniquement de tourner en acoustique ? Même pour les festivals rock ?
Reuno : Ouais, pendant à peu près 6 mois, Lofofora sera en acoustique. Cette tournée comportera les 11 titres du nouvel album, et on en train de réadapter des morceaux de nos précédents albums électriques en acoustique. Ce n'est pas forcément évident mais c'est un exercice intéressant.
Daniel : On voyage un peu dans chaque album pour trouver les titres qui s'adaptent le mieux en acoustique. C'est une coïncidence si tous les albums sont représentés.
Reuno : Ouais, on puise dans tous. Je ne crois pas qu'il y ait de morceaux du premier album pour l'instant. Et puis, on ne réadaptera pas forcément nos standards, nos classiques.
Merci aux Lofo, à Olivier d'At(h)ome, à Guillaume et Simon pour la capta vidéo et au personnel du restaurant de Mains d'Oeuvres.
Photos : Guillaume Vincent / Studio Paradise Now
Publié dans le Mag #32