Quand on œuvre dans un registre comme celui de Lizzard, la qualité d'enregistrement et le son qui arrive dans tes oreilles revêt une certaine importance, il faut qu'il soit agréable, précis tout en gardant de la force et du tranchant. Faire venir Peter Junge à Bordeaux pour produire ce nouvel album était un pari puisque s'il a travaillé avec Jarboe, les Melvins, Paul McCartney ou Norah Jones, le groupe osait quitter sa zone de confort en bossant avec un anglais pour puiser le meilleur de Katy et William et passer un nouveau palier. Le moins que l'on puisse dire, c'est que c'est une réussite car le son est vraiment superbe, à la fois délicat et puissant, c'est du haut niveau. Le mastering de Maor Appelbaum (Faith No More, Sepultura, Treponem Pal, Therion, Mayhem...) et l'artwork de Jérôme Oudot Trëz complètent une fiche technique sans faille. Rester à savoir si Shift allait pouvoir nous emmener au moins aussi loin que Out of reach et Majestic.
L'entrée en matière a beau être adoucie par l'introduction "Seed", elle reste brutale tant "Singularity" nous tombe dessus comme une pluie de grêles métalliques. À l'arrière-plan, une guitare cherche à arrondir des angles acérés par la rythmique et des riffs assez lourds sur le devant d'une scène également occupée par un chant aux multiples déclinaisons claires qui impressionne rapidement par son aisance à se mêler à toutes ses ambiances. Avec parfois un petit côté Aaron Lewis (Staind) pour nous toucher encore plus au cœur, Mathieu déploie tous ses talents pour nous emmener dans l'univers Lizzard, un monde où les mélodies dynamiques ("Gemini", " Bloom", "Min(e)d") croisent des sonorités plus graves, abrasives et torturées ("Open view", "Leaving the dream"). Et même sans sa voix, on est scotché par l'atmosphère qui ne choisit pas entre rock et métal, laissant juste s'exprimer les instruments ("Shift"). Le point culminant de cette débauche d'idées, de douceurs, de coups portés avec précision ne se dévoile qu'à la toute fin de l'album, pour moi, c'est l'ultime "Passing by" qui mérite le plus d'attention. À la fois dépouillé, clair et enchanteur, le morceau prend son temps pour se développer sans forcément suivre une logique destructrice, les Limougeauds finissant tout en retenue.
Superbe, forcément superbe, ce Shift permet à Lizzard de se dépasser, les comparaisons trop évidentes (Tool, A Perfect Circle, Chevelle...) sont mises au placard, Lizzard ne ressemble plus qu'à lui-même. Avec la signature sur le label allemand Metalville et la distribution Rough Trade, une bonne partie de l'Europe va devoir situer la Haute-Vienne sur la carte du métal alternatif trippant.
Publié dans le Mag #32