F. de Lancelot - La poétique des flammes Ce roman est assez difficile à présenter car on peut le lire et en parler sous différents angles. Bien entendu, le plus évident pour nous est d'en faire un point d'entrée dans le monde du métal car Ninon, notre héroïne, jeune étudiante en sciences politiques à la recherche d'un mémoire à écrire sur un sujet culturel, plonge corps et âme dans un milieu qu'elle ne connaît pas, celui du métal et à travers elle, le lecteur peu averti pourra découvrir la vie d'un jeune groupe, depuis le miteux local de répét' jusqu'aux scènes du Hellfest, depuis les démos pourraves jusqu'à un enregistrement décent, depuis un line-up d'amis jusqu'à des remplacements indispensables. L'auteur, F. de Lancelot, connaît son sujet puisqu'il a fait partie de plusieurs groupes et on imagine aisément qu'il y a une part de récit auto-biographique dans l'essor d'Aorasie dont le parcours imaginé pourrait croiser celui bien réel de Stellarvore (groupe de black métal qui a sorti L'orgueil des drapeaux et des flammes en 2017). Tout est parfaitement crédible et sonne vrai, les nombreux détails donnent parfois des allures de reportage à l'histoire mais ce n'est pas pour me déplaire. Seul petit bémol, j'ai du mal à penser qu'un zicos change d'instrument à une semaine d'un concert majeur... Surtout si c'est un clavier, savoir exploiter au mieux ces machines demande du temps et les habitudes ne se prennent pas en quelques jours. Le groupe Aorasie semble parfois assez peu travailleur et intègre momentanément d'autres musiciens sans donner l'air de bosser avec eux en amont... Jouer en groupe n'est jamais aussi simple. Idem pour la composition et les choix qu'elle demande à chacun. D'un autre côté, éviter de se prendre la tête avec ces considérations permet aux profanes de ne pas s'ennuyer et à l'histoire de progresser assez vite, les presque 3 années de récit s'étalant sur 360 pages. Même bonne idée pour ce qui est des références musicales, elles sont au final assez peu nombreuses et les non initiés n'ont pas à aller chercher à comprendre qui sont Cradle of Filth ou Loudblast (dommage, le producteur bordelais aurait pu être Stéphane Buriez !). Et pendant que je suis au petit regret, je note l'absence de relationnel avec les fans (via les réseaux sociaux ?) ou avec les autres groupes locaux qui ne semblent être là que lors des concerts.

La deuxième clef évidente est la galerie de personnages dépeinte par le Toulousain d'adoption, on y trouve quelques stéréotypes (le bassiste lourdingue, le batteur fêlé, le guitariste dragueur) mais surtout des personnages attachants qui ont tous plus ou moins un passé d'ado mal dans leur peau et des destins brisés par des conneries. Certains cherchent à se reconstruire au travers d'un projet musical, pour d'autres, c'est peut-être le dernier roc qui empêche leur auto-destruction. Et derrière les poncifs usuels, on explore la nature humaine au travers d'entretiens (et de dessins) et on découvre bien des nuances qui montrent que le méchant peut être sympa et que le mec sympa peut être de la pire espèce, le genre d'ami qu'on ne souhaite pas à ses ennemis. Au travers des musiciens et de leur entourage, de nombreux autres sujets sont abordés comme l'implication politique des groupes (et les dérives de certains, le "Semblant" du livre faisant écho au vrai Peste Noire), l'histoire, l'architecture, la poésie, la botanique, la violence ordinaire, le rap, la famille, la folie... Notre fil rouge étant Ninon, une étrangère au métal qui devient la pierre angulaire d'un combo en pleine explosion.

Côté style, la lecture est rapide et agréable, F. de Lancelot évite les tournures alambiquées adorées des élèves de Bac L, se concentrant sur les histoires qu'il raconte plutôt que sur le moyen de le faire. Il préfère jouer avec les mots et la littérature quand il s'agit d'écrire les textes du groupe et s'amuse avec des références mises en exergue, on passe alors du pointu au populaire, de l'incongru au sacré. La plume connaît des codes mais n'en abuse pas et vu le public concerné, c'est tout aussi bien, il ne s'agit pas de lire "Splendeur et misère des fans de métal" pas plus que "Martine au Hellfest", le ton est donc juste et approprié.

Très bon roman, s'il fallait quand même résumer La poétique des flammes, on pourrait oublier le cadre musical et le réduire aux errances d'une jeune étudiante qui ne sait pas trop où elle va, se laisse porter par le courant, heurte des rochers mais cherche à garder la tête hors de l'eau sans forcément chercher à voir une issue ni se soucier de la mort qui pourrait bien s'inviter dans son rite de passage.