Dans la catégorie "on a bouffé du Isis au petit-dej', du Cult of Luna au repas de midi et on veut faire pareil pour le goûter", il y a des dizaines (voire plus) de groupes qui viennent s'empiler dans les files d'attentes des prochaines sorties de labels et majors... Le post-hardcore atmosphérique (ou postcore) est "hype" et depuis quelques temps, peut rapporter des petits billets verts à des indépendants qui triment. On peut les comprendre... mais là, la liste commence à dangereusement s'allonger, même si le genre dispose encore de quelques têtes d'affiche qui lui font honneur, avec Breach, ASIDEFROMADAY, Lymen ou Benea Reach par exemple. Car déjà, on peut largement imaginer que nombre de ces groupes-là ne viendront pas vraiment nous titiller l'épiderme avant de carrément susciter chez nous un ennui poli. Lassitude quand tu nous tiens... enfin pas complètement encore, parce que dans la catégorie, post-'truc" hype, il y a encore des groupes qui parviennent à faire mieux que tirer leur épingle du jeu. Kehlvin est de ceux-là. Et pour cause, Kehlvin est suisse... et, soyons honnêtes, il est de notoriété publique que ce petit pays neutre dispose d'une scène incroyablement talentueuse et ce, dans tous les sous-genres (ou presque). Pensez donc : Monkey3, Houston Swing Engine, Shora, feu-Shovel, feu-Unfold et j'en passe, la densité de bons groupes au kilomètre carré est étonnamment disproportionnée. Mais ici, dans une veine "postcore" atmosphérique, Kehlvin s'en sort bien mieux que la plupart, même si planent ci- et là les influences des deux mètres-étalons du genre.
Entre ballade stratosphérique et choc frontal tellurique, les suisses ne donnent pas dans la mesure, avec The mountain daylight time, c'est ou tout l'un, ou tout l'autre. Réservé aux oreilles averties, il dose parfaitement ses envolées post-rock évanescentes et lumineuses pour mieux nous replonger quelques instants plus tard dans les abîmes d'un metal lourd, caverneux et oppressant. Une dualité dans laquelle se complaisent aisément les déferlantes post-hardcore du combo suisse sans jamais jouer la carte du "déjà entendu cent fois". Une sorte de grand huit extrême. Organique, orchestrée dans un mouvement perpétuel, la musique de Kehlvin, est tantôt sublime, tantôt effrayante. Les artificiers suisses sont de sortie, et la violence des décharges métalliques du groupe est d'une rare intensité. Viscérale et sans concession. Le groupe maîtrise parfaitement son sujet et ses longues plages éthérées nous permettent de reprendre notre souffle pendant quelques instants de calme majestueux avant que The mountain daylight time nous replonge dans une gangue de plomb inextricable et insondable. Question : les suisses sont-ils des "suiveurs", ou parviennent-t-ils a apporter leur pierre à l'imposant édifice postcore ? Evidemment, les hurlements du chanteur évoqueront sans doute ceux d'Aaron Turner dans la période Celestial d'Isis, les comparaisons seront faciles, mais la tension permanente dans laquelle Kehlvin a mis son album, ses arrangements harmonieux qui le bercent pour mieux nous assaillir de sentiments contradictoires, apportent un début de réponse à notre questionnement. Les suisses ont parfaitement digéré leurs influences et ont eu suffisamment de personnalité pour faire en sorte que leur musique ne soit pas une pâle copie de celle des maîtres du genre. Car pour un premier album, Kehlvin nous livre, à sa manière, un véritable manifeste du genre. A méditer.
Chronique LP / The mountain daylight time
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